Читать книгу Les pourquoi de mademoiselle Suzanne - Émile Desbeaux - Страница 8
ОглавлениеLE MARI ET LE PÈRE.
Suzanne courut vers la chambre de Mme de Sannois.
— C’est moi, petite mère! dit-elle en ouvrant la porte.
Mme de Sannois, une charmante femme, paraissant encore jeune quoiqu’elle eût un grand fils de vingt-six ans, embrassa avec tendresse sa chère Suzanne tout en s’étonnant de la voir déjà habillée.
— Je suis venue vite, petite mère, dit Suzanne en montrant de la main les toits tout blancs qu’on apercevait derrière les vitres, pour te demander si tu sais pourquoi il neige?
Mme de Sannois, habituée à l’heureuse curiosité de sa petite fille, ne put cependant s’empêcher de sourire.
— Je le sais, répondit-elle, mais ton grand-père et ton frère le savent bien mieux que moi. Interroge l’un ou l’autre.
Suzanne regarda la pendule, dont les aiguilles marquaient neuf heures.
— Paul est déjà sorti pour son travail. Il ne me reste que bon papa, je vais aller le trouver.
Mme de Sannois arrêta Suzanne au moment où, toute vive, elle se dirigeait vers la chambre du grand-père.
— Attends un peu, ma chère enfant, dit avec douceur Mme de Sannois. Il sera toujours temps d’aller tourmenter bon papa, qui se lève plus tard que nous, tu le sais bien.
Suzanne dut se résigner à subir ce retard. Elle se mit, en face de sa mère, à une petite table où des tasses de chocolat étaient déjà servies.
Mais à peine était-elle assise que la neige se reprit à tomber avec violence.
Le vent, qui s’était élevé, sifflait, lugubre, enveloppant la neige dans de rapides tourbillons.
Des flocons venaient à chaque instant s’écraser et se fondre contre les carreaux.
Mme de Sannois avait repoussé sa tasse, et, accoudée sur la table, elle regardait fixement au dehors.
Ses regards essayaient de percer le grand voile blanc qui semblait tomber par lambeaux.
Elle restait grave et recueillie devant cette désolation de la nature.
Suzanne aussi avait interrompu son repas.
Soudain, n’entendant plus de bruit à côté d’elle, elle détacha ses regards de la croisée pour les reporter sur sa mère.
Elle vit Mme de Sannois plongée dans une rêverie si profonde que, d’abord, elle n’osa parler.
Enfin, doucement, timidement, comme si elle eût craint de connaître à l’avance la réponse qu’on allait lui faire, elle dit:
— A quoi penses-tu, maman?
Mme de Sannois ne répondit pas.
Elle tourna seulement vers sa chère enfant ses yeux emplis d’une immense tristesse.
Suzanne avait compris.
— Papa! s’écria-t-elle.
Mme de Sannois baissa lentement la tête.
Mais déjà Suzanne s’était jetée dans ses bras; et elle couvrait de baisers pleins de larmes sa petite mère chérie.
L’épouse et l’enfant cherchaient à se consoler dans leur affection mutuelle.
M. de Sannois était capitaine de vaisseau.
Depuis de longs mois il était parti, en mission du gouvernement, pour notre colonie de la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, il venait d’être rappelé en France, et, sans doute, l’heure même où l’ouragan de neige se déchaînait sur l’hôtel de Sannois, le vaisseau qui portait le père de Suzanne était au milieu de l’Océan.
Peut-être était-il livré aux horreurs d’une tempête bien plus terrible encore!
La mère et l’enfant voyaient le navire devenu le jouet des vagues en courroux, les voiles déchirées sous l’étreinte du vent, les mâts brisés; des montagnes de glace se précipitant sur lui, prêtes à l’engloutir; et, sur le pont dévasté, un homme commandant à ses marins, aveuglés par la rafale, des manœuvres impossibles à exécuter.
L’homme que Mme de Sannois et Suzanne apercevaient ainsi dans leur imagination, c’était le mari, c’était le père!
Voilà pourquoi Suzanne pleurait, pressée contre sa mère, qui versait aussi des larmes silencieuses.
Mme de Sannois reprit un peu courage et, chassant ces sombres pensées, elle essuya ses yeux et passa son mouchoir sur le visage éploré de sa pauvre Suzanne.
Juste en ce moment la neige cessa de tomber. Une éclaircie se fit dans le ciel et on eût dit qu’un rayon de soleil se donnait quelque peine pour transpercer les vilains nuages qui lui cachaient la terre.
Cette vue ranima Mme de Sannois qui dit à Suzanne:
— Ne pleurons plus, ma chère enfant; et souhaitons que notre chagrin soit sans motif! Ton père est un habile marin; son vaisseau est un des meilleurs qui soient sortis des chantiers de l’État, et rien n’indique qu’il ait, sur sa longue route, à souffrir des temps contraires!
Comme Suzanne restait encore soucieuse, Mme de Sannois ajouta avec un doux sourire:
— Et n’oublie pas ta question!
— Quelle question?
— Celle que tu veux adresser à ton grand-père.
— Ah! oui, pourquoi il neige?
Et, la curiosité reprenant vite ses droits sur elle, Suzanne courut frappera la porte de son bon papa.