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CHAPITRE VIII.

Table des matières

LE CABINET DE TRAVAIL DE M. PAUL ET LA MAISON DE PLATRE.


Mlle Suzanne, restée seule après le départ de son frère, alla se mettre à ses devoirs.

A quatre heures, prenant sa récréation ordinaire, elle eut l’idée de voir si son frère était rentré.

Elle se dirigea vers son cabinet de travail et frappa à la porte.

Comme on ne répondait pas, elle se décida à tourner le bouton et, bientôt, elle se trouva au milieu d’une grande pièce dont les murs disparaissaient sous des tablettes surchargées de livres de toute sorte. Il y en avait de gros, de minces, de larges, de courts, de dorés, de brochés, de vieux et de neufs.

Un escalier mobile permettait d’atteindre ceux qui reposaient sur les rayons les plus élevés.

Suzanne, bien certaine que son frère n’était pas là, allait se retirer quand une réflexion vint l’arrêter.

Là-haut, tout là-haut, sur la dernière tablette, il y avait un gros livre d’images que Paul lui donnait quelquefois, quand elle venait tourner autour de lui.

Alors, elle se tenait tranquille, regardant les dessins qui représentaient des fleurs superbes de tous les pays du monde dans des paysages très jolis et très pittoresques.

Elle leva les yeux vers le livre, qui se montrait nettement au milieu des autres et qui semblait lui dire: «Viens donc me prendre!»

L’escalier était justement auprès, paraissant indiquer le chemin à gravir, tout disposé à prêter ses marches à Mlle Suzanne.

— Ma foi! pensa Suzanne après un peu d’hésitation, je ne ferai point de mal en prenant ce livre, puisque Paul me le prêterait s’il était là !

Aussitôt pensé, aussitôt fait.

Elle monta avec soin les degrés, se tenant bien, prenant garde de tomber.

Déjà elle arrivait au but.

Encore une marche, et sa petite main allait s’emparer du volume, lorsque la porte s’ouvrit doucement.


Celui qui survenait ainsi n’était autre que M. Paul.

Il venait se mettre à l’étude, en tenue de travail, la cigarette à la bouche.

Le tapis avait étouffé le bruit de ses pas, la serrure n’avait pas grincé. Aussi Suzanne ne pouvait-elle point se douter que son grand frère, appuyé contre la porte, les mains dans les poches, l’observait tranquillement, très gentiment, content de la surprendre en flagrant délit de curiosité.

— Eh bien, c’est joli, mademoiselle, ce que vous faites là, dit-il enfin en prenant une voix sévère, mais sans pouvoir s’empêcher de sourire.

Et déjà il était au pied de l’escalier, prêt à retenir sa chère petite Suzanne, au cas où cette grosse voix inattendue lui aurait fait peur.

Mais Suzanne, sans paraître trop effrayée, se retourna:

— Ah! c’est toi! dit-elle cependant en rougissant un peu.

— Oui, mademoiselle, c’est moi. Et je suis très fâché. Ne vous ai-je pas défendu de toucher à mes livres?

— C’est vrai, dit Suzanne; mais celui-là, c’est presque le mien.

— Quand même il serait à vous, vous savez bien que je ne veux pas vous voir monter sur cet escalier.

— Mais, riposta Suzanne avec une logique indéniable, si tu n’étais pas rentré si tôt, tu ne m’aurais pas vue.

— Comment! vous vous permettez encore de raisonner? dit Paul gardant difficilement son sérieux, pendant que ce colloque s’échangeait toujours de haut en bas. Vous n’ignorez pas que vous auriez pu tomber et vous blesser en cherchant à atteindre ce volume.

— Tiens! dit Suzanne, pourquoi le mets-tu si haut?

Cette fois, Paul, ne trouvant point de «parce que» au «pourquoi» de Mlle Suzanne, s’avança, prit sa petite sœur sous les bras et la déposa à terre.

— Maintenant, prends-le toi-même, dit Suzanne sans se déconcerter, en étendant sa main vers la bibliothèque.

— Quoi? dit Paul.

— Mais, le livre!

— Ah! non, non. Tous ne l’aurez pas aujourd’hui. Cela vous apprendra!

— Ça m’apprendra! ça m’apprendra! répéta Suzanne à mi-voix. Puis, soudain, elle s’écria: — Au fait, c’est toi qui as quelque chose à m’apprendre.

— Quelle chose?

— L’histoire du liquide rouge, tu sais bien.

Paul était heureusement de bonne humeur.

Il avait appris de Mme de Montlaur, qui était veuve comme on le sait, que son mari avait eu, en effet, un frère, Pierre de Montlaur; mais ce frère, qui avait été enseigne de vaisseau, comme le disait M. de Sannois, était mort très jeune pendant la guerre de Crimée.

Paul n’avait rien vu d’inquiétant dans ces renseignements, qu’il avait rapportés aussitôt à sa mère et à son grand-père. Ceux-ci avaient été complètement de son avis, et voilà pourquoi le grand frère de Suzanne était, à ce moment-là, prêt à se laisser tyranniser par sa petite curieuse de sœur.

— Le liquide rouge! dit-il enfin, tu veux savoir l’histoire du sang; mais dis-moi d’abord si tu es bien sûre d’avoir compris ce que je t’ai raconté tantôt et si tu as retenu les quelques mots barbares dont j’ai été forcé d’émailler mon récit.

— Certainement, répondit Suzanne, et tu en es resté au moment où le chyle va passer dans le sang.

— Eh bien, puisque tu as si bonne mémoire, sache donc que le sang est un personnage d’une importance considérable. C’est lui qui nourrit tout notre corps; c’est lui qui se charge d’y faire tout marcher, tout fonctionner; c’est lui qui distribue à toutes les parties de notre corps, aussi bien aux ongles qu’aux dents et aux cheveux, les matériaux dont elles ont besoin pour se développer ou pour réparer les avaries qui y sont survenues.

Ainsi, c’est le sang qui va donner à tes petits os la matière nécessaire pour qu’ils puissent grossir et grandir, à tes petits muscles la matière qu’il leur faut pour devenir plus vigoureux.

Mais tu sais bien que tout s’use à la longue; et le sang, lui-même, finirait par n’avoir plus de matériaux à distribuer à notre corps, si le chyle ne venait pas, après chacun de nos repas, lui rapporter ces matériaux si utiles.

— Voilà donc pourquoi il faut manger pour grandir! s’écria Suzanne; et, récapitulant la leçon sur ses doigts, elle se dit à elle-même: — Il faut manger pour produire du chyle, qui donne au sang de quoi nous faire grandir.

— Eh mais, ce n’est pas trop mal, dit Paul enchanté de l’intelligence de sa petite sœur. Pourtant le sang ne sert point seulement à cela. Lorsque nous avons atteint notre développement naturel, le sang a pour but de nous conserver en bonne santé, et de réparer sans cesse les usures de notre corps.

— Mais alors, puisque le sang nous répare sans cesse, pourquoi ne vit-on pas toujours? dit Mlle Suzanne après quelques instants de réflexion et avec un raisonnement inattendu.

— Pourquoi, dis-tu? Eh bien, je vais choisir une comparaison qui te fera aisément comprendre ce «pourquoi».

Suppose que l’on construise devant toi une modeste maisonnette faite de bois et de plâtre.

On commencera par établir la charpente, puis on la recouvrira de plâtre.

C’est la base de la maison qui recevra d’abord ce plâtre, puis les murs qui s’élèveront...

— Qui grandiront, interrompit Suzanne pour montrer à Paul qu’elle devinait déjà le sens de la comparaison.

— Qui grandiront, comme tu le dis fort justement. Peu à peu, toujours à l’aide du plâtre, la maison montera, et un jour tu seras fort surprise de la voir déjà terminée.

— Elle aura atteint tout son développement.

— Oui, à l’aide du plâtre, que j’appellerai, pour la nécessité de la cause, le sang de cette maison.

La voilà donc terminée.

Pendant quelque temps, elle se tient solide, brillante, fraîche...

— Jeune, dit Suzanne.

— Jeune, c’est cela. Puis, un matin, tu apercevras une légère crevasse sur l’un de ses murs.

C’est un dégât sans importance. On va chercher un peu de plâtre qui se dépêche de boucher la crevasse.

Quelque temps après, une autre crevasse se produit, plus grande que la première. Le plâtre se charge encore de la faire disparaître.

Une autre fois, c’est un de ses murs qui s’écroule, et c’est toujours le plâtre qu’on appelle à l’aide.

Cependant les années se passent...

— La maison vieillit?...

— Parfaitement, elle vieillit, comme nous aussi nous vieillissons. Ses crevasses se multiplient; son plâtre, qui n’a plus de force, se détache par fragments, et, quand même on y remettrait du plâtre neuf, sa charpente, usée par le temps, ne pourrait pas le supporter, et à la suite d’une secousse, d’un orage, d’un coup de vent...


— D’un chaud et froid...

— D’un chaud et froid, continua Paul en souriant, ou par toute autre cause, la voilà qui tombe.

— Malade?

— Non, par terre.

Et, cette fois. Paul ne put s empêcher de rire de bon cœur, tant les interruptions, l’air attentif et l’accent convaincu de sa petite Suzanne l’avaient amusé.

Celle-ci se mit aussitôt à partager la gaieté de son frère. Mais elle s’arrêta pour dire:

— La pauvre maisonnette! Elle est morte!

— Hélas! dit Paul, et je vois que tu as compris: le sang se charge de nous remettre à neuf jusqu’au jour où notre charpente est si usée que...

— La maison s’écroule! Et on n’a pas trouvé le moyen d’empêcher cela? s’écria Suzanne.

— Ah! non, répondit Paul avec un sourire, pas encore. Mais, ajouta-t-il sérieusement, il y a un moyen de faire durer la maison le plus longtemps possible, c’est de se procurer de bon plâtre, c’est-à-dire de bon sang, en mangeant des aliments sains, à des heures régulières, et en étant toujours bien sage afin d’avoir une bonne digestion.

— Oh! pour être sage, s’écria Suzanne, tu sais bien que je le suis toujours. Mais est-ce de ma faute, si je n’ai pas faim à chaque repas?

— Certainement! tu ne sais pas te modérer; et, quand tu as mangé à déjeuner plus qu’il ne faut, tu n’as plus faim au dîner. Et puis notre mère, qui est trop bonne, te laisse grignoter, dans la journée, un tas de friandises qui te coupent l’appétit. Enfin tu ne prends pas assez d’exercice.

— Ah! par exemple, voilà qui n’est pas de ma faute; tu oublies le temps qu’il fait, dit Suzanne en montrant les routes couvertes de neige. Est-ce que je puis sortir et aller jouer par un temps pareil?

— Allons! dit Paul, en reconnaissant que sa petite sœur n’avait point tout à fait tort, nous mettrons la moitié de la faute sur ton dos et l’autre moitié sur celui de Mme la Neige.

Les pourquoi de mademoiselle Suzanne

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