Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 69

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Ce fut dans le monde entier une explosion de rires. Certes, la capture d’Arsène Lupin produisit une grosse sensation, et le public ne marchanda pas à la police les éloges qu’elle méritait pour cette revanche si longtemps espérée et si pleinement obtenue. Le grand aventurier était pris. L’extraordinaire, le génial, l’invisible héros se morfondait, comme les autres, entre les quatre murs d’une cellule, écrasé à son tour par cette puissance formidable qui s’appelle la Justice et qui, tôt ou tard, fatalement, brise les obstacles qu’on lui oppose et détruit l’œuvre de ses adversaires.

Tout cela fut dit, imprimé, répété, commenté, rabâché. Le préfet de Police eut la croix de Commandeur, M. Weber, la croix d’Officier. On exalta l’adresse et le courage de leurs plus modestes collaborateurs. On applaudit. On chanta victoire. On fit des articles et des discours.

Soit ! Mais quelque chose cependant domina ce merveilleux concert d’éloges, cette allégresse bruyante, ce fut un rire fou, énorme, spontané, inextinguible et tumultueux.

Arsène Lupin, depuis quatre ans, était chef de la Sûreté ! ! !

Il l’était depuis quatre ans ! Il l’était réellement, légalement, avec tous les droits que ce titre confère, avec l’estime de ses chefs, avec la faveur du gouvernement, avec l’admiration de tout le monde.

Depuis quatre ans le repos des habitants et la défense de la propriété étaient confiés à Arsène Lupin. Il veillait à l’accomplissement de la loi. Il protégeait l’innocent et poursuivait le coupable.

Et quels services il avait rendus ! Jamais l’ordre n’avait été moins troublé, jamais le crime découvert plus sûrement et plus rapidement ! Qu’on se rappelle l’affaire Denizou, le vol du Crédit Lyonnais, l’attaque du rapide d’Orléans, l’assassinat du baron Dorf… autant de triomphes imprévus et foudroyants, autant de ces magnifiques prouesses que l’on pouvait comparer aux plus célèbres victoires des plus illustres policiers.

Jadis, dans un de ses discours, à l’occasion de l’incendie du Louvre et de la capture des coupables, le président du Conseil Valenglay, pour défendre la façon un peu arbitraire dont M. Lenormand avait agi, s’était écrié :

« Par sa clairvoyance, par son énergie, par ses qualités de décision et d’exécution, par ses procédés inattendus, par ses ressources inépuisables, M. Lenormand nous rappelle le seul homme qui eût pu, s’il vivait encore, lui tenir tête, c’est-à-dire Arsène Lupin. M. Lenormand, c’est un Arsène Lupin au service de la société. »

Et voilà que M. Lenormand n’était autre qu’Arsène Lupin !

Qu’il fût prince russe, on s’en souciait peu ! Lupin était coutumier de ces métamorphoses. Mais chef de la Sûreté ! Quelle ironie charmante ! Quelle fantaisie dans la conduite de cette vie extraordinaire entre toutes !

M. Lenormand ! Arsène Lupin !

On s’expliquait aujourd’hui les tours de force, miraculeux en apparence, qui récemment encore avaient confondu la foule et déconcerté la police. On comprenait l’escamotage de son complice en plein Palais de Justice, en plein jour, à la date fixée. Lui-même ne l’avait-il pas dit : « Quand on saura la simplicité des moyens que j’ai employés pour cette évasion, on sera stupéfait. C’est tout cela, dira-t-on ? Oui, c’est tout cela, mais il fallait y penser. »

C’était en effet d’une simplicité enfantine : il suffisait d’être chef de la Sûreté.

Or, Lupin était chef de la Sûreté, et tous les agents, en obéissant à ses ordres, se faisaient les complices involontaires et inconscients de Lupin.

La bonne comédie ! Le bluff admirable ! La farce monumentale et réconfortante à notre époque de veulerie ! Bien que prisonnier, bien que vaincu irrémédiablement, Lupin, malgré tout, était le grand vainqueur. De sa cellule, il rayonnait sur Paris. Plus que jamais il était l’idole, plus que jamais le Maître !

En s’éveillant le lendemain dans son appartement de « Santé-Palace » comme il le désigna aussitôt, Arsène Lupin eut la vision très nette du bruit formidable qu’allait produire son arrestation sous le double nom de Sernine et de Lenormand, et sous le double titre de prince et de chef de la Sûreté.

Il se frotta les mains et formula :

– Rien n’est meilleur pour tenir compagnie à l’homme solitaire que l’approbation de ses contemporains. Ô gloire ! Soleil des vivants !…

À la clarté, sa cellule lui plut davantage encore. La fenêtre, placée haut, laissait apercevoir les branches d’un arbre au travers duquel on voyait le bleu du ciel. Les murs étaient blancs. Il n’y avait qu’une table et une chaise, attachées au sol. Mais tout cela était propre et sympathique.

– Allons, dit-il, une petite cure de repos ici ne manquera pas de charme… Mais procédons à notre toilette… Ai-je tout ce qu’il me faut ?… Non… En ce cas, deux coups pour la femme de chambre.

Il appuya, près de la porte, sur un mécanisme qui déclencha dans le couloir un disque-signal.

Au bout d’un instant, des verrous et des barres de fer furent tirés à l’extérieur, la serrure fonctionna, et un gardien apparut.

– De l’eau chaude, mon ami, dit Lupin.

L’autre le regarda, à la fois ahuri et furieux.

– Ah ! s’écria Lupin, et une serviette-éponge ! Sapristi ! Il n’y a pas de serviette-éponge !

L’homme grommela :

– Tu te fiches de moi, n’est-ce pas ? ça n’est pas à faire.

Il se retirait, lorsque Lupin lui saisit le bras violemment :

– Cent francs, si tu veux porter une lettre à la poste.

Il tira de sa poche un billet de cent francs, qu’il avait soustrait aux recherches, et le tendit.

– La lettre, fit le gardien, en prenant l’argent.

– Voilà !… le temps de l’écrire.

Il s’assit à la table, traça quelques mots au crayon sur une feuille qu’il glissa dans une enveloppe et inscrivit :

Monsieur S. B. 42.

Poste Restante, Paris.

Le gardien prit la lettre et s’en alla.

« Voilà une missive, se dit Lupin, qui ira à son adresse aussi sûrement que si je la portais moi-même. D’ici une heure tout au plus, j’aurai la réponse. Juste le temps nécessaire pour me livrer à l’examen de ma situation. »

Il s’installa sur sa chaise et, à demi-voix, il résuma :

« Somme toute, j’ai à combattre actuellement deux adversaires : 1°La société qui me tient et dont je me moque ; 2°Un personnage inconnu qui ne me tient pas, mais dont je ne me moque nullement. C’est lui qui a prévenu la police que j’étais Sernine. C’est lui qui a deviné que j’étais M. Lenormand. C’est lui qui a fermé la porte du souterrain, et c’est lui qui m’a fait fourrer en prison. »

Arsène Lupin réfléchit une seconde, puis continua :

« Donc, en fin de compte, la lutte est entre lui et moi. Et pour soutenir cette lutte, c’est-à-dire pour découvrir et réaliser l’affaire Kesselbach, je suis, moi, emprisonné, tandis qu’il est, lui, libre, inconnu, inaccessible, qu’il dispose des deux atouts que je croyais avoir, Pierre Leduc et le vieux Steinweg… – bref, qu’il touche au but, après m’en avoir éloigné définitivement. »

Nouvelle pause méditative, puis nouveau monologue :

« La situation n’est pas brillante. D’un côté tout, de l’autre rien. En face de moi un homme de ma force, plus fort, même, puisqu’il n’a pas les scrupules dont je m’embarrasse. Et pour l’attaquer, point d’armes. »

Il répéta plusieurs fois ces derniers mots d’une voix machinale, puis il se tut, et, prenant son front entre ses mains, il resta longtemps pensif.

– Entrez, monsieur le Directeur, dit-il en voyant la porte s’ouvrir.

– Vous m’attendiez donc ?

– Ne vous ai-je pas écrit, monsieur le Directeur, pour vous prier de venir ? Or, je n’ai pas douté une seconde que le gardien vous portât ma lettre. J’en ai si peu douté que j’ai inscrit sur l’enveloppe, vos initiales : S. B. et votre âge : 42.

Le Directeur s’appelait, en effet, Stanislas Borély, et il était âgé de quarante-deux ans. C’était un homme de figure agréable, doux de caractère, et qui traitait les détenus avec autant d’indulgence que possible. Il dit à Lupin :

– Vous ne vous êtes pas mépris sur la probité de mon subordonné. Voici votre argent. Il vous sera remis lors de votre libération… Maintenant vous allez repasser dans la chambre de fouille.

Lupin suivit M. Borély dans la petite pièce réservée à cet usage, se déshabilla, et, tandis que l’on visitait ses vêtements avec une méfiance justifiée, subit lui-même un examen des plus méticuleux.

Il fut ensuite réintégré dans sa cellule et M. Borély prononça :

– Je suis plus tranquille. Voilà qui est fait.

– Et bien fait, monsieur le Directeur. Vos gens apportent, à ces fonctions, une délicatesse dont je tiens à les remercier par ce témoignage de ma satisfaction.

Il donna un billet de cent francs à M. Borély qui fit un haut-le-corps.

– Ah ! ça, mais… d’où vient ?

– Inutile de vous creuser la tête, monsieur le Directeur. Un homme comme moi, menant la vie qu’il mène, est toujours prêt à toutes les éventualités, et aucune mésaventure, si pénible qu’elle soit, ne le prend au dépourvu, pas même l’emprisonnement.

Il saisit entre le pouce et l’index de sa main droite le médius de sa main gauche, l’arracha d’un coup sec, et le présenta tranquillement à M. Borély.

– Ne sautez pas ainsi, monsieur le Directeur. Ceci n’est pas mon doigt, mais un simple tube en baudruche, artistement colorié, et qui s’applique exactement sur mon médius, de façon à donner l’illusion du doigt réel.

Et il ajouta en riant :

– Et de façon, bien entendu, à dissimuler un troisième billet de cent francs… Que voulezvous ? On a le porte-monnaie que l’on peut et il faut bien mettre à profit…

Il s’arrêta devant la mine effarée de M. Borély.

– Je vous en prie, monsieur le Directeur, ne croyez pas que je veuille vous éblouir avec mes petits talents de société. Je voudrais seulement vous montrer que vous avez affaire à un… client de nature un peu… spéciale… et vous dire qu’il ne faudra pas vous étonner si je me rends coupable de certaines infractions aux règles ordinaires de votre établissement.

Le directeur s’était repris. Il déclara nettement :

– Je veux croire que vous vous conformerez à ces règles, et que vous ne m’obligerez pas à des mesures de rigueur…

– Qui vous peineraient, n’est-ce pas, monsieur le Directeur ? C’est précisément cela que je voudrais vous épargner en vous prouvant d’avance qu’elles ne m’empêcheraient pas d’agir à ma guise, de correspondre avec mes amis, de défendre à l’extérieur les graves intérêts qui me sont confiés, d’écrire aux journaux soumis à mon inspiration, de poursuivre l’accomplissement de mes projets, et, en fin de compte, de préparer mon évasion.

– Votre évasion !

Lupin se mit à rire de bon cœur.

– Réfléchissez, monsieur le Directeur ma seule excuse d’être en prison est d’en sortir.

L’argument ne parut pas suffisant à M. Borély. Il s’efforça de rire à son tour.

– Un homme averti en vaut deux

– C’est ce que j’ai voulu. Prenez toutes les précautions, monsieur le Directeur, ne négligez rien, pour que plus tard on n’ait rien à vous reprocher. D’autre part je m’arrangerai de telle manière que, quels que soient les ennuis que vous aurez à supporter du fait de cette évasion, votre carrière du moins n’en souffre pas. Voilà ce que j’avais à vous dire, monsieur le Directeur. Vous pouvez vous retirer.

Et, tandis que M. Borély s’en allait, profondément troublé par ce singulier pensionnaire, et fort inquiet sur les événements qui se préparaient, le détenu se jetait sur son lit en murmurant :

« Eh bien ! Mon vieux Lupin, tu en as du culot ! On dirait en vérité que tu sais déjà comment tu sortiras d’ici ! »

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