Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 86

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La cassette était vide !

Ce fut un coup de théâtre, énorme, imprévu. Après le succès des calculs effectués par Lupin, après la découverte si ingénieuse du secret de l’horloge, l’Empereur, pour qui la réussite finale ne faisait plus de doute, semblait confondu.

En face de lui, Lupin, blême, les mâchoires contractées, l’œil injecté de sang, grinçait de rage et de haine impuissante. Il essuya son front couvert de sueur, puis saisit vivement la cassette, la retourna, l’examina, comme s’il espérait trouver un double fond. Enfin, pour plus de certitude, dans un accès de fureur, il l’écrasa, d’une étreinte irrésistible.

Cela le soulagea. Il respira plus à l’aise.

L’Empereur lui dit :

– Qui a fait cela ?

– Toujours le même. Sire, celui qui poursuit la même route que moi et qui marche vers le même but, l’assassin de M. Kesselbach.

– Quand ?

– Cette nuit. Ah ! Sire, que ne m’avez-vous laissé libre au sortir de prison ! Libre, j’arrivais ici sans perdre une heure. J’arrivais avant lui ! Avant lui je donnais de l’or à Isilda !… Avant lui je lisais le journal de Malreich, le vieux domestique français !

– Vous croyez donc que c’est par les révélations de ce journal ?…

– Eh ! Oui, Sire, il a eu le temps de les lire, lui. Et, dans l’ombre, je ne sais où, renseigné sur tous nos gestes, je ne sais par qui ! Il m’a fait endormir, afin de se débarrasser de moi, cette nuit.

– Mais le palais était gardé.

– Gardé par vos soldats, Sire. Est-ce que ça compte pour des hommes comme lui ? Je ne doute pas d’ailleurs que Waldemar ait concentré ses recherches sur les communs, dégarnissant ainsi les portes du palais.

– Mais le bruit de l’horloge ? Ces douze coups dans la nuit ?

– Un jeu, Sire ! Un jeu d’empêcher une horloge de sonner !

– Tout cela me paraît bien invraisemblable.

– Tout cela me paraît rudement clair, à moi, Sire. S’il était possible de fouiller dès maintenant les poches de tous vos hommes, ou de connaître toutes les dépenses qu’ils feront pendant l’année qui va suivre, on en trouverait bien deux ou trois qui sont, à l’heure actuelle, possesseurs de quelques billets de banque, billets de banque français, bien entendu.

– Oh ! protesta Waldemar.

– Mais oui, mon cher comte, c’est une question de prix, et celui-là n’y regarde pas. S’il le voulait, je suis sûr que vous-même…

L’Empereur n’écoutait pas, absorbé dans ses réflexions. Il se promena de droite et de gauche à travers la chambre, puis fit un signe à l’un des officiers qui se tenaient dans la galerie.

– Mon auto… et qu’on s’apprête… nous partons.

Il s’arrêta, observa Lupin un instant, et, s’approchant du comte :

– Toi aussi, Waldemar, en route… Droit sur Paris, d’une étape…

Lupin dressa l’oreille. Il entendit Waldemar qui répondait :

– J’aimerais mieux une douzaine de gardes en plus, avec ce diable d’homme !…

– Prends-les. Et fais vite, il faut que tu arrives cette nuit.

Lupin haussa les épaules et murmura :

– Absurde !

L’Empereur se retourna vers lui, et Lupin reprit :

– Eh ! Oui, Sire, car Waldemar est incapable de me garder. Mon évasion est certaine, et alors…

Il frappa du pied violemment.

– Et alors, croyez-vous, Sire, que je vais perdre encore une fois mon temps ? Si vous renoncez à la lutte, je n’y renonce pas, moi. J’ai commencé, je finirai.

L’Empereur objecta :

– Je ne renonce pas, mais ma police se mettra en campagne.

Lupin éclata de rire.

– Que Votre Majesté m’excuse ! C’est si drôle ! La police de Sa Majesté ! Mais elle vaut ce que valent toutes les polices du monde, c’est-à-dire rien, rien du tout ! Non, Sire, je ne retournerai pas à la Santé. La prison, je m’en moque. Mais j’ai besoin de ma liberté contre cet homme, je la garde.

L’Empereur s’impatienta.

– Cet homme, vous ne savez même pas qui il est.

– Je le saurai, Sire. Et moi seul peux le savoir. Et il sait, lui, que je suis le seul qui peut le savoir. Je suis son seul ennemi. C’est moi seul qu’il attaque. C’est moi qu’il voulait atteindre, l’autre jour, avec la balle de son revolver. C’est moi qu’il lui suffisait d’endormir, cette nuit, pour être libre d’agir à sa guise. Le duel est entre nous. Le monde n’a rien à y voir. Personne ne peut m’aider, et personne ne peut l’aider. Nous sommes deux, et c’est tout. Jusqu’ici la chance l’a favorisé. Mais en fin de compte, il est inévitable, il est fatal que je remporte.

– Pourquoi ?

– Parce que je suis le plus fort.

– S’il vous tue ?

– Il ne me tuera pas. Je lui arracherai ses griffes, je le réduirai à l’impuissance. Et j’aurai les lettres. Il n’est pas de pouvoir humain qui puisse m’empêcher de les reprendre.

Il parlait avec une conviction violente et un ton de certitude qui donnait, aux choses qu’il prédisait, l’apparence réelle de choses déjà accomplies.

L’Empereur ne pouvait se défendre de subir un sentiment confus, inexplicable, où il y avait une sorte d’admiration et beaucoup aussi de cette confiance que Lupin exigeait d’une façon si autoritaire. Au fond il n’hésitait que par scrupule d’employer cet homme et d’en faire pour ainsi dire son allié. Et soucieux, ne sachant quel parti prendre, il marchait de la galerie aux fenêtres, sans prononcer une parole.

À la fin il dit :

– Et qui nous assure que les lettres ont été volées cette nuit ?

– Le vol est daté. Sire.

– Qu’est-ce que vous dites ?

– Examinez la partie interne du fronton, qui dissimulait la cachette. La date y est inscrite à la craie blanche : minuit, 24 août.

– En effet… en effet… murmura l’Empereur interdit… Comment n’ai-je pas vu ?

Et il ajouta, laissant percevoir sa curiosité :

– C’est comme pour ces deux N peints sur la muraille… je ne m’explique pas. C’est ici la salle de Minerve.

– C’est ici la salle où coucha Napoléon, Empereur des Français, déclara Lupin.

– Qu’en savez-vous ?

– Demandez à Waldemar, Sire. Pour moi, quand je parcourus le journal du vieux domestique, ce fut un éclair. Je compris que Sholmès et moi, nous avions fait fausse route. Apoon, le mot incomplet que traça le grand-duc Hermann à son lit de mort, n’est pas une contraction du mot Apollon, mais du mot Napoléon.

– C’est juste… vous avez raison… dit l’Empereur les mêmes lettres se retrouvent dans les deux mots, et suivant le même ordre. Il est évident que le grand-duc a voulu écrire Napoléon. Mais ce chiffre 813 ?…

– Ah ! C’est là le point qui me donna le plus de mal à éclaircir. J’ai toujours eu l’idée qu’il fallait additionner les trois chiffres 8,1 et 3, et le nombre 12 ainsi obtenu me parut aussitôt s’appliquer à cette salle qui est la douzième de la galerie. Mais cela ne suffisait pas. Il devait y avoir autre chose, autre chose que mon cerveau affaibli ne pouvait parvenir à formuler. La vue de l’horloge, de cette horloge située justement dans la salle Napoléon, me fut une révélation. Le nombre 12 signifiait évidemment la douzième heure. Midi ! Minuit ! N’est-ce pas un instant plus solennel et que l’on choisit plus volontiers ? Mais pourquoi ces trois chiffres 8,1 et 3, plutôt que d’autres qui auraient fourni le même total ?

« C’est alors que je pensai à faire sonner l’horloge une première fois, à titre d’essai. Et c’est en la faisant sonner que je vis que les pointes de la première, de la troisième et de la huitième heure, étaient mobiles. J’obtenais donc trois chiffres, 1,3 et 8, qui, placés dans un ordre fatidique, donnaient le nombre 813. Waldemar poussa les trois pointes. Le déclenchement se produisit. Votre Majesté connaît le résultat…

« Voilà, Sire, l’explication de ce mot mystérieux, et de ces trois chiffres 813 que le grand-duc écrivit de sa main d’agonisant, et grâce auxquels il avait l’espoir que son fils retrouverait un jour le secret de Veldenz, et deviendrait possesseur des fameuses lettres qu’il y avait cachées. »

L’Empereur avait écouté avec une attention passionnée, de plus en plus surpris par tout ce qu’il observait en cet homme d’ingéniosité, de clairvoyance, de finesse, de volonté intelligente.

– Waldemar ? dit-il.

– Sire ?

Mais au moment où il allait parler, des exclamations s’élevèrent dans la galerie. Waldemar sortit et rentra.

– C’est la folle, Sire, que l’on veut empêcher de passer.

– Qu’elle vienne, s’écria Lupin vivement, il faut qu’elle vienne, Sire.

Sur un geste de l’Empereur, Waldemar alla chercher Isilda. À l’entrée de la jeune fille, ce fut de la stupeur. Sa figure, si pâle, était couverte de taches noires. Ses traits convulsés marquaient la plus vive souffrance. Elle haletait, les deux mains crispées contre sa poitrine.

– Oh ! fit Lupin avec épouvante.

– Qu’y a-t-il ? demanda l’Empereur.

– Votre médecin. Sire ! Qu’on ne perde pas une minute !

Et s’avançant :

– Parle, Isilda… Tu as vu quelque chose ? Tu as quelque chose à dire ?

La jeune fille s’était arrêtée, les yeux moins vagues, comme illuminés par la douleur. Elle articula des sons… aucune parole.

– écoute, dit Lupin… réponds oui ou non… un mouvement de tête… Tu l’as vu ? Tu sais où il est ?… Tu sais qui il est ?… écoute, si tu ne réponds pas…

Il réprima un geste de colère. Mais, soudain, se rappelant l’épreuve de la veille, et qu’elle semblait plutôt avoir gardé quelque mémoire visuelle du temps où elle avait toute sa raison, il inscrivit sur le mur blanc un L et un M majuscules.

Elle tendit les bras vers les lettres et hocha la tête comme si elle approuvait.

– Et après ? fit Lupin… Après !… écris à ton tour.

Mais elle poussa un cri affreux et se jeta par terre avec des hurlements.

Puis, tout d’un coup, le silence, l’immobilité. Un soubresaut encore. Et elle ne bougea plus.

– Morte ? dit l’Empereur.

– Empoisonnée, Sire.

– Ah ! La malheureuse… Et par qui ?

– Par lui, Sire. Elle le connaissait sans doute. Il aura eu peur de ses révélations.

Le médecin arrivait. L’Empereur lui montra Isilda. Puis, s’adressant à Waldemar :

– Tous tes hommes en campagne… Qu’on fouille la maison… Un télégramme aux gares de la frontière…

Il s’approcha de Lupin :

– Combien de temps vous faut-il pour reprendre les lettres ?

– Un mois, Sire…

– Bien, Waldemar vous attendra ici. Il aura mes ordres et pleins pouvoirs pour vous accorder ce que vous désirez.

– Ce que je veux, Sire, c’est la liberté.

– Vous êtes libre…

Lupin le regarda s’éloigner et dit entre ses dents :

– La liberté, d’abord… Et puis, quand je t’aurai rendu tes lettres, ô Majesté, une petite poignée de mains, parfaitement, une poignée de mains d’Empereur à cambrioleur… pour te prouver que tu as tort de faire le dégoûté avec moi. Car enfin, c’est un peu raide ! Voilà un monsieur pour qui j’abandonne mes appartements de Santé-Palace, à qui je rends service, et qui se permet de petits airs… Si jamais je le repince, ce client-là !

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur

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