Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 81

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– Silence, dit vivement l’étranger. Ne prononcez pas ce mot-là.

– Comment dois-je appeler Votre… ?

– D’aucun nom.

Ils se turent tous les deux, et ce moment de répit n’était pas de ceux qui précèdent la lutte de deux adversaires prêts à combattre. L’étranger allait et venait, en maître qui a coutume de commander et d’être obéi. Lupin, immobile, n’avait plus son attitude ordinaire de provocation ni son sourire d’ironie. Il attendait, le visage grave. Mais, au fond de son être, ardemment, follement, il jouissait de la situation prodigieuse où il se trouvait, là, dans cette cellule de prisonnier, lui détenu, lui l’aventurier, lui l’escroc et le cambrioleur, lui, Arsène Lupin… et, en face de lui, ce demi-dieu du monde moderne, entité formidable, héritier de César et de Charlemagne.

Sa propre puissance le grisa un moment. Il eut des larmes aux yeux, en songeant à son triomphe.

L’étranger s’arrêta.

Et tout de suite, dès la première phrase, on fut au cœur de la position.

– C’est demain le 22 août. Les lettres doivent être publiées demain, n’est-ce pas ?

– Cette nuit même. Dans deux heures, mes amis doivent déposer au Grand-Journal, non pas encore les lettres, mais la liste exacte de ces lettres, annotée par le grand-duc Hermann.

– Cette liste ne sera pas déposée.

– Elle ne le sera pas.

– Vous me la remettrez.

– Elle sera remise entre les mains de Votre… entre vos mains.

– Toutes les lettres également.

– Toutes les lettres également.

– Sans qu’aucune ait été photographiée.

– Sans qu’aucune ait été photographiée.

L’étranger parlait d’une voix calme, où il n’y avait pas le moindre accent de prière, pas la moindre inflexion d’autorité. Il n’ordonnait ni ne questionnait : il énonçait les actes inévitables d’Arsène Lupin. Cela serait ainsi. Et cela serait, quelles que fussent les exigences d’Arsène Lupin, quel que fût le prix auquel il taxerait l’accomplissement de ces actes. D’avance, les conditions étaient acceptées.

« Bigre, se dit Lupin, j’ai affaire à forte partie. Si l’on s’adresse à ma générosité, je suis perdu… »

La façon même dont la conversation était engagée, la franchise des paroles, la séduction de la voix et des manières, tout lui plaisait infiniment.

Il se raidit pour ne pas faiblir et pour ne pas abandonner tous les avantages qu’il avait conquis si âprement.

Et l’étranger reprit :

– Vous avez lu ces lettres ?

– Non.

– Mais quelqu’un des vôtres les a lues ?

– Non.

– Alors ?

– Alors, j’ai la liste et les annotations du grand-duc. Et en outre, je connais la cachette où il a mis tous ses papiers.

– Pourquoi ne les avez-vous pas pris déjà ?

– Je ne connais le secret de la cachette que depuis mon séjour ici. Actuellement, mes amis sont en route.

– Le château est gardé : deux cents de mes hommes les plus sûrs l’occupent.

– Dix mille ne suffiraient pas.

Après une minute de réflexion, le visiteur demanda :

– Comment connaissez-vous le secret ?

– Je l’ai deviné.

– Mais vous aviez d’autres informations, des éléments que les journaux n’ont pas publiés ?

– Rien.

– Cependant, durant quatre jours, j’ai fait fouiller le château…

– Herlock Sholmès a mal cherché.

– Ah ! fit l’étranger en lui-même, c’est bizarre… c’est bizarre… Et vous êtes sûr que votre supposition est juste ?

– Ce n’est pas une supposition, c’est une certitude.

– Tant mieux, tant mieux, murmura-t-il… Il n’y aura de tranquillité que quand ces papiers n’existeront plus.

Et, se plaçant brusquement en face d’Arsène Lupin :

– Combien ?

– Quoi ? dit Lupin interloqué.

– Combien pour les papiers ? Combien pour la révélation du secret ?

Il attendait un chiffre. Il proposa lui-même :

– Cinquante mille… cent mille ?…

Et comme Lupin ne répondait pas, il dit, avec un peu d’hésitation :

– Davantage ? Deux cent mille ? Soit ! J’accepte.

Lupin sourit et dit à voix basse :

– Le chiffre est joli. Mais n’est-il point probable que tel monarque, mettons le roi d’Angleterre, irait jusqu’au million ? En toute sincérité ?

– Je le crois.

– Et que ces lettres, pour l’Empereur, n’ont pas de prix, qu’elles valent aussi bien deux millions que deux cent mille francs aussi bien trois millions que deux millions ?

– Je le pense.

– Et, s’il le fallait, l’Empereur les donnerait, ces trois millions ?

– Oui.

– Alors, l’accord sera facile.

– Sur cette base ? s’écria l’étranger non sans inquiétude.

– Sur cette base, non… Je ne cherche pas l’argent. C’est autre chose que je désire, une autre chose qui vaut beaucoup plus pour moi que des millions.

– Quoi ?

– La liberté.

L’étranger sursauta :

– Hein ! Votre liberté… mais je ne puis rien… Cela regarde votre pays… la justice… Je n’ai aucun pouvoir.

Lupin s’approcha et, baissant encore la voix :

– Vous avez tout pouvoir, Sire… Ma liberté n’est pas un événement si exceptionnel qu’on doive vous opposer un refus.

– Il me faudrait donc la demander ?

– Oui.

– À qui ?

– À Valenglay, président du Conseil des ministres.

– Mais M. Valenglay lui-même, ne peut pas plus que moi…

– Il peut m’ouvrir les portes de cette prison.

– Ce serait un scandale.

– Quand je dis : ouvrir… entrouvrir me suffirait… On simulerait une évasion… le public s’y attend tellement qu’il n’exigerait aucun compte.

– Soit… soit… Mais jamais M. Valenglay ne consentira…

– Il consentira.

– Pourquoi ?

– Parce que vous lui en exprimerez le désir.

– Mes désirs ne sont pas des ordres pour lui.

– Non, mais entre gouvernements, ce sont des choses qui se font. Et Valenglay est trop politique…

– Allons donc, vous croyez que le gouvernement français va commettre un acte aussi arbitraire pour la seule joie de m’être agréable ?

– Cette joie ne sera pas la seule.

– Quelle sera l’autre ?

– La joie de servir la France en acceptant la proposition qui accompagnera la demande de liberté.

– Je ferai une proposition, moi ?

– Oui, Sire.

– Laquelle ?

– Je ne sais pas, mais il me semble qu’il existe toujours un terrain favorable pour s’entendre… il y a des possibilités d’accord…

L’étranger le regardait, sans comprendre. Lupin se pencha, et, comme s’il cherchait ses paroles, comme s’il imaginait une hypothèse :

– Je suppose que deux pays soient divisés par une question insignifiante… qu’ils aient un point de vue différent sur une affaire secondaire… une affaire coloniale, par exemple, où leur amour-propre soit en jeu plutôt que leurs intérêts… Est-il impossible que le chef d’un de ces pays en arrive de lui-même à traiter cette affaire dans un esprit de conciliation nouveau ?… et à donner les instructions nécessaires pour…

– Pour que je laisse le Maroc à la France, dit l’étranger en éclatant de rire.

L’idée que suggérait Lupin lui semblait la chose du monde la plus comique, et il riait de bon cœur. Il y avait une telle disproportion entre le but à atteindre et les moyens offerts !

– évidemment… évidemment… reprit l’étranger, s’efforçant en vain de reprendre son sérieux, évidemment l’idée est originale… Toute la politique moderne bouleversée pour qu’Arsène Lupin soit libre ! Les desseins de l’Empire détruits, pour permettre à Arsène Lupin de continuer ses exploits… Non, mais pourquoi ne me demandez-vous pas l’Alsace et la Lorraine ?

– J’y ai pensé, Sire, dit Lupin.

L’étranger redoubla d’allégresse.

– Admirable ! Et vous m’avez fait grâce ?

– Pour cette fois, oui.

Lupin s’était croisé les bras. Lui aussi s’amusait à exagérer son rôle, il continua avec un sérieux affecté :

– Il peut se produire un jour une série de circonstances telles que j’aie entre les mains le pouvoir de réclamer et d’obtenir cette restitution. Ce jour-là, je n’y manquerai certes pas. Pour l’instant, les armes dont je dispose m’obligent à plus de modestie. La paix du Maroc me suffit.

– Rien que cela ?

– Rien que cela.

– Le Maroc contre votre liberté ?

– Pas davantage… ou plutôt, car il ne faut pas perdre absolument de vue l’objet même de cette conversation, ou plutôt : un peu de bonne volonté de la part de l’un des deux grands pays en question… et, en échange, l’abandon des lettres qui sont en mon pouvoir.

– Ces lettres !… Ces lettres !… murmura l’étranger avec irritation… Après tout, elles ne sont peut-être pas d’une valeur…

– Il en est de votre main, Sire, et auxquelles vous avez attribué assez de valeur pour venir à moi jusque dans cette cellule.

– Eh bien ! Qu’importe ?

– Mais il en est d’autres dont vous ne connaissez pas la provenance, et sur lesquelles je puis vous fournir quelques renseignements.

– Ah ! répondit l’étranger, l’air inquiet.

Lupin hésita.

– Parlez, parlez sans détours, ordonna l’étranger… parlez nettement.

Dans le silence profond, Lupin déclara avec une certaine solennité :

– Il y a vingt ans, un projet de traité fut élaboré entre l’Allemagne, l’Angleterre et la France.

– C’est faux ! C’est impossible ! Qui aurait pu ?

– Le père de l’Empereur actuel et la reine d’Angleterre, sa grand-mère, tous deux sous l’influence de l’Impératrice.

– Impossible ! Je répète que c’est impossible !

– La correspondance est dans la cachette du château de Veldenz, cachette dont je suis seul à savoir le secret.

L’étranger allait et venait avec agitation. Il s’arrêta et dit :

– Le texte du traité fait partie de cette correspondance ?

– Oui, Sire. Il est de la main même de votre père.

– Et que dit-il ?

– Par ce traité, l’Angleterre et la France concédaient et promettaient à l’Allemagne un empire colonial immense, cet empire qu’elle n’a pas et qui lui est indispensable aujourd’hui pour assurer sa grandeur, assez grand pour qu’elle abandonne ses rêves d’hégémonie, et qu’elle se résigne à n’être… que ce qu’elle est.

– Et contre cet empire, l’Angleterre exigeait ?

– La limitation de la flotte allemande.

– Et la France ?

– L’Alsace et la Lorraine.

L’Empereur se tut, appuyé contre la table, pensif. Lupin poursuivit :

– Tout était prêt. Les cabinets de Paris et de Londres, pressentis, acquiesçaient. C’était chose faite. Le grand traité d’alliance allait se conclure, fondant la paix universelle et définitive. La mort de votre père anéantit ce beau rêve. Mais je demande à Votre Majesté ce que pensera son peuple, ce que pensera le monde quand on saura que Frédéric III, un des héros de 70, un Allemand, un Allemand pur sang, respecté de tous ses concitoyens et même de ses ennemis, acceptait, et par conséquent considérait comme juste, la restitution de l’Alsace-Lorraine ?

Il se tut un instant, laissant le problème se poser en termes précis devant la conscience de l’Empereur, devant sa conscience d’homme, de fils et de souverain.

Puis il conclut :

– C’est à Sa Majesté de savoir si elle veut ou si elle ne veut pas que l’histoire enregistre ce traité. Quant à moi, Sire, vous voyez que mon humble personnalité n’a pas beaucoup de place dans ce débat.

Un long silence suivit les paroles de Lupin. Il attendit, l’âme angoissée. C’était son destin qui se jouait, en cette minute qu’il avait conçue, et qu’il avait en quelque sorte mise au monde avec tant d’efforts et tant d’obstination… Minute historique née de son cerveau, et où son « humble personnalité », quoi qu’il en dît, pesait lourdement sur le sort des empires et sur la paix du monde

En face, dans l’ombre, César méditait.

Qu’allait-il dire ? Quelle solution allait-il donner au problème ?

Il marcha en travers de la cellule, pendant quelques instants qui parurent interminables à Lupin.

Puis il s’arrêta et dit :

– Il y a d’autres conditions ?

– Oui, Sire, mais insignifiantes.

– Lesquelles ?

– J’ai retrouvé le fils du grand-duc de Deux-Ponts-Veldenz. Le grand-duché lui sera rendu.

– Et puis ?

– Il aime une jeune fille, qui l’aime également, la plus belle et la plus vertueuse des femmes. Il épousera cette jeune fille.

– Et puis ?

– C’est tout.

– Il n’y a plus rien ?

– Rien. Il ne reste plus à Votre Majesté qu’à faire porter cette lettre au directeur du Grand Journal pour qu’il détruise, sans le lire, l’article qu’il va recevoir d’un moment à l’autre.

Lupin tendit la lettre, le cœur serré, la main tremblante. Si l’Empereur la prenait, c’était la marque de son acceptation.

L’Empereur hésita, puis d’un geste furieux, il prit la lettre, remit son chapeau, s’enveloppa dans son vêtement, et sortit sans un mot.

Lupin demeura quelques secondes chancelant, comme étourdi…

Puis, tout à coup, il tomba sur sa chaise en criant de joie et d’orgueil…

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur

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