Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 75

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– Pas un mot, murmura Lupin.

Il s’effaça contre le mur, auprès de la porte. Le battant s’ouvrit. Lupin le referma violemment, bousculant un homme, un geôlier qui poussa un cri.

Lupin le saisit à la gorge.

– Tais-toi, mon vieux. Si tu rouspètes, tu es fichu. Il le coucha par terre.

– Es-tu sage ?… Comprends-tu la situation ? Oui ? Parfait… Où est ton mouchoir ? Donne tes poignets, maintenant… Bien, je suis tranquille. écoute… On t’a envoyé par précaution, n’est-ce pas ? Pour assister le gardien-chef en cas de besoin ?… Excellente mesure, mais un peu tardive. Tu vois, le gardien-chef est mort !… Si tu bouges, si tu appelles, tu y passes également.

Il prit les clefs de l’homme et introduisit l’une d’elles dans la serrure.

– Comme ça, nous sommes tranquilles.

– De votre côté… mais du mien ? observa le vieux Steinweg.

– Pourquoi viendrait-on ?

– Si l’on a entendu le cri qu’il a poussé ?

– Je ne crois pas. Mais en tout cas mes amis t’ont donné les fausses clefs ?

– Oui.

– Alors, bouche la serrure… C’est fait ? Eh bien ! Maintenant nous avons, pour le moins, dix bonnes minutes devant nous. Tu vois, mon cher, comme les choses les plus difficiles en apparence sont simples en réalité. Il suffit d’un peu de sang-froid et de savoir se plier aux circonstances. Allons, ne t’émeus pas, et cause. En allemand, veux-tu ? Il est inutile que ce type-là participe aux secrets d’état que nous agitons. Va, mon vieux, et posément. Nous sommes ici chez nous.

Steinweg reprit :

– Le soir même de la mort de Bismarck, le grand-duc Hermann III et son fidèle domestique – mon ami du Cap – montèrent dans un train qui les conduisit à Munich… à temps pour prendre le rapide de Vienne. De Vienne ils allèrent à Constantinople, puis au Caire, puis à Naples, puis à Tunis, puis en Espagne, puis à Paris, puis à Londres, à Saint-Pétersbourg, à Varsovie… Et dans aucune de ces villes, ils ne s’arrêtaient. Ils sautaient dans un fiacre, faisaient charger leurs deux valises, galopaient à travers les rues, filaient vers une station voisine ou vers l’embarcadère, et reprenaient le train ou le paquebot.

– Bref, suivis, ils cherchaient à dépister, conclut Arsène Lupin.

– Un soir, ils quittèrent la ville de Trêves, vêtus de blouses et de casquettes d’ouvriers, un bâton sur le dos, un paquet au bout du bâton. Ils firent à pied les trente-cinq kilomètres qui les séparaient de Veldenz où se trouve le vieux château de Deux-Ponts, ou plutôt les ruines du vieux château.

– Pas de description.

– Tout le jour, ils restèrent cachés dans une forêt avoisinante. La nuit d’après, ils s’approchèrent des anciens remparts. Là, Hermann ordonna à son domestique de l’attendre, et il escalada le mur à l’endroit d’une brèche nommée la Brèche-au-Loup. Une heure plus tard il revenait. La semaine suivante, après de nouvelles pérégrinations, il retournait chez lui, à Dresde. L’expédition était finie.

– Et le but de cette expédition ?

– Le grand-duc n’en souffla pas un mot à son domestique. Mais celui-ci, par certains détails, par la coïncidence des faits qui se produisirent, put reconstituer la vérité, du moins en partie.

– Vite, Steinweg, le temps presse maintenant, et je suis avide de savoir.

– Quinze jours après l’expédition, le comte de Waldemar, officier de la garde de l’Empereur et l’un de ses amis personnels, se présentait chez le grand-duc accompagné de six hommes. Il resta là toute la journée, enfermé dans le bureau du grand-duc. À plusieurs reprises, on entendit le bruit d’altercations, de violentes disputes. Cette phrase, même, fut perçue par le domestique, qui passait dans le jardin, sous les fenêtres :

« Ces papiers vous ont été remis, Sa Majesté en est sûre. Si vous ne voulez pas me les remettre de votre plein gré… » Le reste de la phrase, le sens de la menace et de toute la scène d’ailleurs, se devinent aisément par la suite : la maison d’Hermann fut visitée de fond en comble.

– Mais c’était illégal.

– C’eût été illégal si le grand-duc s’y fût opposé, mais il accompagna lui-même le comte dans sa perquisition.

– Et que cherchait-on ? Les mémoires du Chancelier ?

– Mieux que cela. On cherchait une liasse de papiers secrets dont on connaissait l’existence par des indiscrétions commises, et dont on savait, de façon certaine, qu’ils avaient été confiés au grand-duc Hermann.

Lupin était appuyé des deux coudes contre le grillage, et ses doigts se crispaient aux mailles de fer. Il murmura, la voix émue :

– Des papiers secrets… et très importants sans doute ?

– De la plus haute importance. La publication de ces papiers aurait des résultats que l’on ne peut prévoir, non seulement au point de vue de la politique intérieure, mais au point de vue des relations étrangères.

– Oh ! répétait Lupin, tout palpitant… oh ! Est-ce possible ! Quelle preuve as-tu ?

– Quelle preuve ? Le témoignage même de la femme du grand-duc, les confidences qu’elle fit au domestique après la mort de son mari.

– En effet… en effet… balbutia Lupin… C’est le témoignage même du grand-duc que nous avons.

– Mieux encore ! s’écria Steinweg.

– Quoi ?

– Un document ! Un document écrit de sa main, signé de sa signature et qui contient…

– Qui contient ?

– La liste des papiers secrets qui lui furent confiés.

– En deux mots ?…

– En deux mots, c’est impossible. Le document est long, entremêlé d’annotations, de remarques quelquefois incompréhensibles. Que je vous cite seulement deux titres qui correspondent à deux liasses de papiers secrets ; « Lettres originales du Kronprinz à Bismarck. » Les dates montrent que ces lettres furent écrites pendant les trois mois de règne de Frédéric III. Pour imaginer ce que peuvent contenir ces lettres, rappelez-vous la maladie de Frédéric III, ses démêlés avec son fils…

– Oui… oui… je sais… et l’autre titre ?

– « Photographies des lettres de Frédéric III et de l’impératrice Victoria à la reine Victoria d’Angleterre »

– Il y a cela ? Il y a cela ?… fit Lupin, la gorge étranglée.

– écoutez les annotations du grand-duc : « Texte du traité avec l’Angleterre et la France. » Et ces mots un peu obscurs : « Alsace-Lorraine… Colonies… Limitation navale… »

– Il y a cela, bredouilla Lupin… Et c’est obscur, dis-tu ? Des mots éblouissants, au contraire !… Ah ! Est-ce possible !…

Du bruit à la porte. On frappa.

– On n’entre pas, dit-il, je suis occupé…

On frappa à l’autre porte, du côté de Steinweg. Lupin cria :

– Un peu de patience, j’aurai fini dans cinq minutes.

Il dit au vieillard d’un ton impérieux :

– Sois tranquille, et continue… Alors, selon toi, l’expédition du grand-duc et de son domestique au château de Veldenz n’avait d’autre but que de cacher ces papiers ?

– Le doute n’est pas admissible.

– Soit. Mais le grand-duc a pu les retirer, depuis.

– Non, il n’a pas quitté Dresde jusqu’à sa mort.

– Mais les ennemis du grand-duc, ceux qui avaient tout intérêt à les reprendre et à les anéantir, ceux-là ont pu les chercher là où ils étaient, ces papiers ?

– Leur enquête les a menés en effet jusque-là.

– Comment le sais-tu ?

– Vous comprenez bien que je ne suis pas resté inactif, et que mon premier soin, quand ces révélations m’eurent été faites, fut d’aller à Veldenz et de me renseigner moi-même dans les villages voisins. Or j’appris que, deux fois déjà, le château avait été envahi par une douzaine d’hommes venus de Berlin et accrédités auprès des régents.

– Eh bien ?

– Eh bien ! Ils n’ont rien trouvé, car, depuis cette époque, la visite du château n’est pas permise.

– Mais qui empêche d’y pénétrer ?

– Une garnison de cinquante soldats qui veillent jour et nuit.

– Des soldats du grand-duché ?

– Non, des soldats détachés de la garde personnelle de l’Empereur. Des voix s’élevèrent dans le couloir, et de nouveau l’on frappa, en interpellant le gardien-chef.

– Il dort, monsieur le Directeur, dit Lupin, qui reconnut la voix de M. Borély.

– Ouvrez ! Je vous ordonne d’ouvrir.

– Impossible, la serrure est mêlée. Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de pratiquer une incision tout autour de ladite serrure.

– Ouvrez !

– Et le sort de l’Europe que nous sommes en train de discuter, qu’est-ce que vous en faites ?

Il se tourna vers le vieillard :

– De sorte que tu n’as pas pu entrer dans le château ?

– Non.

– Mais tu es persuadé que les fameux papiers y sont cachés.

– Voyons ! Ne vous ai-je pas donné toutes les preuves ? N’êtes-vous pas convaincu ?

– Si, si, murmura Lupin, c’est là qu’ils sont cachés… il n’y a pas de doute… c’est là qu’ils sont cachés.

Il semblait voir le château. Il semblait évoquer la cachette mystérieuse. Et la vision d’un trésor inépuisable, l’évocation de coffres emplis de pierres précieuses et de richesses, ne l’aurait pas ému plus que l’idée de ces chiffons de papier sur lesquels veillait la garde du Kaiser. Quelle merveilleuse conquête à entreprendre ! Et combien digne de lui ! Et comme il avait, une fois de plus, fait preuve de clairvoyance et d’intuition en se lançant au hasard sur cette piste inconnue !

Dehors, on « travaillait » la serrure.

Il demanda au vieux Steinweg :

– De quoi le grand-duc est-il mort ?

– D’une pleurésie, en quelques jours. C’est à peine s’il put reprendre connaissance, et ce qu’il y avait d’horrible, c’est que l’on voyait, paraît-il, les efforts inouïs qu’il faisait, entre deux accès de délire, pour rassembler ses idées et prononcer des paroles. De temps en temps il appelait sa femme, la regardait d’un air désespéré et agitait vainement ses lèvres.

– Bref, il parla ? dit brusquement Lupin, que le « travail » fait autour de la serrure commençait à inquiéter.

– Non, il ne parla pas. Mais dans une minute plus lucide, à force d’énergie, il réussit à tracer des signes sur une feuille de papier que sa femme lui présenta.

– Eh bien ! Ces signes ?…

– Indéchiffrables, pour la plupart…

– Pour la plupart… mais les autres ? dit Lupin avidement… Les autres ?

– Il y a d’abord trois chiffres parfaitement distincts : un 8, un 1 et un 3…

– 813… oui, je sais… après ?

– Après, des lettres… plusieurs lettres parmi lesquelles il n’est possible de reconstituer en toute certitude qu’un groupe de trois et, immédiatement après, un groupe de deux lettres.

– « Apoon », n’est-ce pas ?

– Ah ! Vous savez…

La serrure s’ébranlait, presque toutes les vis ayant été retirées. Lupin demanda, anxieux soudain à l’idée d’être interrompu :

– De sorte que ce mot incomplet « Apoon » et ce chiffre 813 sont les formules que le grand-duc léguait à sa femme et à son fils pour leur permettre de retrouver les papiers secrets ?

– Oui.

Lupin se cramponna des deux mains à la serrure pour l’empêcher de tomber.

– Monsieur le Directeur, vous allez réveiller le gardien-chef. Ce n’est pas gentil, une minute encore, voulezvous ? Steinweg, qu’est devenue la femme du grand-duc ?

– Elle est morte, peu après son mari, de chagrin, pourrait-on dire.

– Et l’enfant fut recueilli par la famille ?

– Quelle famille ? Le grand-duc n’avait ni frères, ni sœurs. En outre il n’était marié que morganatiquement et en secret. Non, l’enfant fut emmené par le vieux serviteur d’Hermann, qui l’éleva sous le nom de Pierre Leduc. C’était un assez mauvais garçon, indépendant, fantasque, difficile à vivre. Un jour il partit. On ne l’a pas revu.

– Il connaissait le secret de sa naissance ?

– Oui, et on lui montra la feuille de papier sur laquelle Hermann avait écrit des lettres et des chiffres, 813, etc.

– Et cette révélation, par la suite, ne fut faite qu’à toi ?

– Oui.

– Et toi, tu ne t’es confié qu’à M. Kesselbach ?

– À lui seul. Mais, par prudence, tout en lui montrant la feuille des signes et des lettres, ainsi que la liste dont je vous ai parlé, j’ai gardé ces deux documents. L’événement a prouvé que j’avais raison.

– Et ces documents, tu les as ?

– Oui.

– Ils sont en sûreté ?

– Absolument.

– À Paris ?

– Non.

– Tant mieux. N’oublie pas que ta vie est en danger, et qu’on te poursuit.

– Je le sais. Au moindre faux pas, je suis perdu.

– Justement. Donc, prends tes précautions, dépiste l’ennemi, va prendre tes papiers, et attends mes instructions. L’affaire est dans le sac. D’ici un mois au plus tard, nous irons visiter ensemble le château de Veldenz.

– Si je suis en prison ?

– Je t’en ferai sortir.

– Est-ce possible ?

– Le lendemain même du jour où j’en sortirai. Non, je me trompe, le soir même… une heure après.

– Vous avez donc un moyen ?

– Depuis dix minutes, oui, et infaillible. Tu n’as rien à me dire ?

– Non.

– Alors, j’ouvre.

Il tira la porte, et, s’inclinant devant M. Borély :

– Monsieur le Directeur, je ne sais comment m’excuser…

Il n’acheva pas. L’irruption du directeur et de trois hommes ne lui en laissa pas le temps. M. Borély était pâle de rage et d’indignation. La vue des deux gardiens étendus le bouleversa.

– Morts ! s’écria-t-il.

– Mais non, mais non, ricana Lupin. Tenez, celui-là bouge. Parle donc, animal.

– Mais l’autre ? reprit M. Borély en se précipitant sur le gardien-chef.

– Endormi seulement, monsieur le Directeur. Il était très fatigué, alors je lui ai accordé quelques instants de repos. J’intercède en sa faveur. Je serais désolé que ce pauvre homme…

– Assez de blagues, dit M. Borély violemment.

Et s’adressant aux gardiens :

– Qu’on le reconduise dans sa cellule… en attendant. Quant à ce visiteur…

Lupin n’en sut pas davantage sur les intentions de M. Borély par rapport au vieux Steinweg. Mais c’était pour lui une question absolument insignifiante. Il emportait dans sa solitude des problèmes d’un intérêt autrement considérable que le sort du vieillard. Il possédait le secret de M. Kesselbach.

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur

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