Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 70
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ОглавлениеLa prison de la Santé est bâtie d’après le système du rayonnement. Au centre de la partie principale, il y a un rond-point d’où convergent tous les couloirs, de telle façon qu’un détenu ne peut sortir de sa cellule sans être aperçu aussitôt par les surveillants postés dans la cabine vitrée qui occupe le milieu de ce rond-point.
Ce qui étonne le visiteur qui parcourt la prison, c’est de rencontrer à chaque instant des détenus sans escorte, et qui semblent circuler comme s’ils étaient libres. En réalité, pour aller d’un point à un autre, de leur cellule, par exemple, à la voiture pénitentiaire qui les attend dans la cour pour les mener au Palais de Justice, c’est-à-dire à l’instruction, ils franchissent des lignes droites dont chacune est terminée par une porte que leur ouvre un gardien, lequel gardien est chargé uniquement d’ouvrir cette porte et de surveiller les deux lignes droites qu’elle commande.
Et ainsi les prisonniers, libres en apparence, sont envoyés de porte en porte, de regard en regard, comme des colis qu’on se passe de main en main.
Dehors, les gardes municipaux reçoivent l’objet, et l’insèrent dans un des rayons du « panier à salade ».
Tel est l’usage.
Avec Lupin il n’en fut tenu aucun compte.
On se méfia de cette promenade à travers les couloirs. On se méfia de la voiture cellulaire. On se méfia de tout.
M. Weber vint en personne, accompagné de douze agents – ses meilleurs, des hommes de choix, armés jusqu’aux dents –, cueillit le redoutable prisonnier au seuil de sa chambre, et le conduisit dans un fiacre dont le cocher était un de ses hommes. À droite et à gauche, devant et derrière, trottaient des municipaux.
– Bravo ! s’écria Lupin, on a pour moi des égards qui me touchent. Une garde d’honneur. Peste, Weber, tu as le sens de la hiérarchie, toi ! Tu n’oublies pas ce que tu dois à ton chef immédiat.
Et, lui frappant l’épaule :
– Weber, j’ai l’intention de donner ma démission. Je te désignerai comme mon successeur.
– C’est presque fait, dit Weber.
– Quelle bonne nouvelle ! J’avais des inquiétudes sur mon évasion. Je suis tranquille maintenant. Dès l’instant où Weber sera chef des services de la Sûreté…
M. Weber ne releva pas l’attaque. Au fond il éprouvait un sentiment bizarre et complexe, en face de son adversaire, sentiment fait de la crainte que lui inspirait Lupin, de la déférence qu’il avait pour le prince Sernine et de l’admiration respectueuse qu’il avait toujours témoignée à M. Lenormand. Tout cela mêlé de rancune, d’envie et de haine satisfaite.
On arrivait au Palais de Justice. Au bas de la « Souricière », des agents de la Sûreté attendaient, parmi lesquels M. Weber se réjouit de voir ses deux meilleurs lieutenants, les frères Doudeville.
– M. Formerie est là ? leur dit-il.
– Oui, chef, M. le Juge d’instruction est dans son cabinet. M. Weber monta l’escalier, suivi de Lupin que les Doudeville encadraient.
– Geneviève ? murmura le prisonnier.
– Sauvée…
– Où est-elle ?
– Chez sa grand-mère.
– Mme Kesselbach ?
– À Paris, hôtel Bristol.
– Suzanne ?
– Disparue.
– Steinweg ?
– Nous ne savons rien.
– La villa Dupont est gardée ?
– Oui.
– La presse de ce matin est bonne ?
– Excellente.
– Bien. Pour m’écrire, voilà mes instructions.
Ils parvenaient au couloir intérieur du premier étage. Lupin glissa dans la main d’un des frères une petite boulette de papier.
M. Formerie eut une phrase délicieuse, lorsque Lupin entra dans son cabinet en compagnie du sous-chef.
– Ah ! Vous voilà ! Je ne doutais pas que, un jour ou l’autre, nous ne mettrions la main sur vous.
– Je n’en doutais pas non plus, monsieur le juge d’instruction, dit Lupin, et je me réjouis que ce soit vous que le destin ait désigné pour rendre justice à l’honnête homme que je suis.
« Il se fiche de moi », pensa M. Formerie.
Et, sur le même ton ironique et sérieux, il riposta :
– L’honnête homme que vous êtes, monsieur, doit s’expliquer pour l’instant sur trois cent quarante-quatre affaires de vol, cambriolage, escroquerie, faux, chantage, recel, etc. Trois cent quarante-quatre !
– Comment ! Pas plus ? s’écria Lupin. Je suis vraiment honteux.
– L’honnête homme que vous êtes doit s’expliquer aujourd’hui sur l’assassinat du sieur Altenheim.
– Tiens, c’est nouveau, cela. L’idée est de vous, monsieur le juge d’instruction ?
– Précisément.
– Très fort ! En vérité, vous faites des progrès, monsieur Formerie.
– La position dans laquelle on vous a surpris ne laisse aucun doute.
– Aucun, seulement, je me permettrai de vous demander ceci : de quelle blessure est mort Altenheim ?
– D’une blessure à la gorge faite par un couteau.
– Et où est ce couteau ?
– On ne l’a pas retrouvé.
– Comment ne l’aurait-on pas retrouvé, si c’était moi l’assassin, puisque j’ai été surpris à côté même de l’homme que j’aurais tué ?
– Et selon vous, l’assassin ?…
– N’est autre que celui qui a égorgé M. Kesselbach, Chapman, etc. La nature de la plaie est une preuve suffisante.
– Par où se serait-il échappé ?
– Par une trappe que vous découvrirez dans la salle même où le drame a eu lieu. M. Formerie eut un air fin.
– Et comment se fait-il que vous n’ayez pas suivi cet exemple salutaire ?
– J’ai tenté de le suivre. Mais l’issue était barrée par une porte que je n’ai pu ouvrir. C’est pendant cette tentative que l’autre est revenu dans la salle, et qu’il a tué son complice par peur des révélations que celui-ci n’aurait pas manqué de faire. En même temps il dissimulait au fond du placard, où on l’a trouvé, le paquet de vêtements que j’avais préparé.
– Pourquoi ces vêtements ?
– Pour me déguiser. En venant aux Glycines, mon dessein était celui-ci : livrer Altenheim à la justice, me supprimer comme prince Sernine, et réapparaître sous les traits…
– De M. Lenormand, peut-être ?
– Justement.
– Non.
– Quoi ?
M. Formerie souriait d’un air narquois et remuait son index de droite à gauche, et de gauche à droite.
– Non, répéta-t-il.
– Quoi, non ?
– L’histoire de M. Lenormand… C’est bon pour le public, ça, mon ami. Mais vous ne ferez pas gober à M. Formerie que Lupin et Lenormand ne faisaient qu’un.
Il éclata de rire.
– Lupin, chef de la Sûreté ! Non ! Tout ce que vous voudrez, mais pas ça ! Il y a des bornes… Je suis un bon garçon… mais tout de même… Voyons, entre nous, pour quelle raison cette nouvelle bourde ? J’avoue que je ne vois pas bien…
Lupin le regarda avec ahurissement. Malgré tout ce qu’il savait de M. Formerie, il n’imaginait pas un tel degré d’infatuation et d’aveuglement. La double personnalité du prince Sernine n’avait pas, à l’heure actuelle, un seul incrédule. M. Formerie seul…
Lupin se retourna vers le sous-chef qui écoutait, bouche béante.
– Mon chef Weber, votre avancement me semble tout à fait compromis. Car enfin, si M. Lenormand n’est pas moi, c’est qu’il existe… et s’il existe, je ne doute pas que M. Formerie, avec tout son flair, ne finisse par le découvrir… auquel cas…
– On le découvrira, monsieur Lupin, s’écria le juge d’instruction… Je m’en charge et j’avoue que la confrontation entre vous et lui ne sera pas banale.
Il s’esclaffait, jouait du tambour sur la table.
– Que c’est amusant ! Ah ! On ne s’ennuie pas avec vous. Ainsi, vous seriez M. Lenormand, et c’est vous qui auriez fait arrêter votre complice Marco !
– Parfaitement ! Ne fallait-il pas faire plaisir au président du Conseil et sauver le Cabinet ? Le fait est historique.
M. Formerie se tenait les côtes.
– Ah ça ! C’est à mourir ! Dieu, que c’est drôle ! La réponse fera le tour du monde. Et alors, selon votre système, c’est avec vous que j’aurais fait l’enquête du début au Palace, après l’assassinat de M. Kesselbach ?…
– C’est bien avec moi que vous avez suivi l’affaire du diadème quand j’étais duc de Charmerace, riposta Lupin d’une voix sarcastique.
M. Formerie tressauta, toute sa gaieté abolie par ce souvenir odieux. Subitement grave, il prononça :
– Donc, vous persistez dans ce système absurde ?
– J’y suis obligé parce que c’est la vérité. Il vous sera facile, en prenant le paquebot pour la Cochinchine, de trouver à Saigon les preuves de la mort du véritable M. Lenormand, du brave homme auquel je me suis substitué, et dont je vous ferai tenir l’acte de décès.
– Des blagues !
– Ma foi, monsieur le Juge d’instruction, je vous confesserai que cela m’est tout à fait égal. S’il vous déplaît que je sois M. Lenormand, n’en parlons plus. S’il vous plaît que j’aie tué Altenheim, à votre guise. Vous vous amuserez à fournir des preuves. Je vous le répète, tout cela n’a aucune importance pour moi. Je considère toutes vos questions et toutes mes réponses comme nulles et non avenues. Votre instruction ne compte pas, pour cette bonne raison que je serai au diable vauvert quand elle sera achevée. Seulement…
Sans vergogne, il prit une chaise et s’assit en face de M. Formerie de l’autre côté du bureau. Et d’un ton sec :
– Il y a un seulement, et le voici : vous apprendrez, monsieur, que, malgré les apparences et malgré vos intentions, je n’ai pas, moi, l’intention de perdre mon temps. Vous avez vos affaires… j’ai les miennes. Vous êtes payé pour faire les vôtres. Je fais les miennes… et je me paye. Or, l’affaire que je poursuis actuellement est de celles qui ne souffrent pas un minute de distraction, pas une seconde d’arrêt dans la préparation et dans l’exécution des actes qui doivent la réaliser. Donc, je la poursuis, et comme vous me mettez dans l’obligation passagère de me tourner les pouces entre les quatre murs d’une cellule, c’est vous deux, messieurs, que je charge de mes intérêts. C’est compris ?
Il était debout, l’attitude insolente et le visage dédaigneux, et telle était la puissance de domination de cet homme que ses deux interlocuteurs n’avaient pas osé l’interrompre.
M. Formerie prit le parti de rire, en observateur qui se divertit.
– C’est drôle ! C’est cocasse !
– Cocasse ou non, monsieur, c’est ainsi qu’il en sera. Mon procès, le fait de savoir si j’ai tué ou non, la recherche de mes antécédents, de mes délits ou forfaits passés, autant de fariboles auxquelles je vous permets de vous distraire, pourvu, toutefois, que vous ne perdiez pas de vue un instant le but de votre mission.
– Qui est ? demanda M. Formerie, toujours goguenard.
– Qui est de vous substituer à moi dans mes investigations relatives au projet de M. Kesselbach et notamment de découvrir le sieur Steinweg, sujet allemand, enlevé et séquestré par feu le baron Altenheim.
– Qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ?
– Cette histoire-là est de celles que je gardais pour moi quand j’étais… ou plutôt quand je croyais être M. Lenormand. Une partie s’en déroula dans mon cabinet, près d’ici, et Weber ne doit pas l’ignorer entièrement. En deux mots, le vieux Steinweg connaît la vérité sur ce mystérieux projet que M. Kesselbach poursuivait, et Altenheim, qui était également sur la piste, a escamoté le sieur Steinweg.
– On n’escamote pas les gens de la sorte. Il est quelque part, ce Steinweg.
– Sûrement.
– Vous savez où ?
– Oui.
– Je serais curieux…
– Il est au numéro 29 de la villa Dupont.
M. Weber haussa les épaules.
– Chez Altenheim, alors ? Dans l’hôtel qu’il habitait ?
– Oui.
– Voilà bien le crédit qu’on peut attacher à toutes ces bêtises ! Dans la poche du baron, j’ai trouvé son adresse. Une heure après, l’hôtel était occupé par mes hommes !
Lupin poussa un soupir de soulagement.
– Ah ! La bonne nouvelle ! Moi qui redoutais l’intervention du complice, de celui que je n’ai pu atteindre, et un second enlèvement de Steinweg. Les domestiques ?
– Partis !
– Oui, un coup de téléphone de l’autre les aura prévenus. Mais Steinweg est là.
M. Weber s’impatienta :
– Mais il n’y a personne, puisque je vous répète que mes hommes n’ont pas quitté l’hôtel.
– Monsieur le sous-chef de la Sûreté, je vous donne le mandat de perquisitionner vous-même dans l’hôtel de la villa Dupont… Vous me rendrez compte demain du résultat de votre perquisition.
M. Weber haussa de nouveau les épaules, et sans relever l’impertinence :
– J’ai des choses plus urgentes…
– Monsieur le sous-chef de la Sûreté, il n’y a rien de plus urgent. Si vous tardez, tous mes plans sont à l’eau. Le vieux Steinweg ne parlera jamais.
– Pourquoi ?
– Parce qu’il sera mort de faim si d’ici un jour, deux jours au plus, vous ne lui apportez pas de quoi manger.