Читать книгу LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан - Страница 79

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Jamais peut-être la curiosité publique ne fut secouée autant que par le duel annoncé entre Sholmès et Lupin, duel invisible en la circonstance, anonyme, pourrait-on dire, mais duel impressionnant par tout le scandale qui se produisait autour de l’aventure, et par l’enjeu que se disputaient les deux ennemis irréconciliables, opposés l’un à l’autre cette fois encore. Et il ne s’agissait pas de petits intérêts particuliers, d’insignifiants cambriolages, de misérables passions individuelles mais d’une affaire vraiment mondiale, où la politique de trois grandes nations de l’Occident était engagée, et qui pouvait troubler la paix de l’univers.

N’oublions pas qu’à cette époque la crise du Maroc était déjà ouverte. Une étincelle, et c’était la conflagration.

On attendait donc anxieusement, et l’on ne savait pas au juste ce que l’on attendait. Car enfin, si le détective sortait vainqueur du duel, s’il trouvait les lettres, qui le saurait ? Quelle preuve aurait-on de ce triomphe ?

Au fond, l’on n’espérait qu’en Lupin, en son habitude connue de prendre le public à témoin de ses actes. Qu’allait-il faire ? Comment pourrait-il conjurer l’effroyable danger qui le menaçait ? En avait-il seulement connaissance ?

Entre les quatre murs de sa cellule, le détenu n° 14 se posait à peu près les mêmes questions, et ce n’était pas une vaine curiosité qui le stimulait, lui, mais une inquiétude réelle, une angoisse de tous les instants.

Il se sentait irrévocablement seul, avec des mains impuissantes, une volonté impuissante, un cerveau impuissant. Qu’il fût habile, ingénieux, intrépide, héroïque, cela ne servait à rien. La lutte se poursuivait en dehors de lui. Maintenant son rôle était fini. Il avait assemblé les pièces et tendu tous les ressorts de la grande machine qui devait produire, qui devait en quelque sorte fabriquer mécaniquement sa liberté, et il lui était impossible de faire aucun geste pour perfectionner et surveiller son œuvre. À date fixe, le déclenchement aurait lieu. D’ici là, mille incidents contraires pouvaient surgir, mille obstacles se dresser, sans qu’il eût le moyen de combattre ces incidents ni d’aplanir ces obstacles.

Lupin connut alors les heures les plus douloureuses de sa vie. Il douta de lui. Il se demanda si son existence ne s’enterrerait pas dans l’horreur du bagne.

Ne s’était-il pas trompé dans ses calculs ? N’était-il pas enfantin de croire que, à date fixe, se produirait l’événement libérateur ?

– Folie ! s’écriait-il, mon raisonnement est faux… Comment admettre pareil concours de circonstances ? Il y aura un petit fait qui détruira tout… le grain de sable…

La mort de Steinweg et la disparition des documents que le vieillard devait lui remettre ne le troublaient point. Les documents, il lui eût été possible, à la rigueur, de s’en passer, et, avec les quelques paroles que lui avait dites Steinweg, il pouvait, à force de divination et de génie, reconstituer ce que contenaient les lettres de l’Empereur, et dresser le plan de bataille qui lui donnerait la victoire. Mais il songeait à Herlock Sholmès qui était là-bas, lui, au centre même du champ de bataille, et qui cherchait, et qui trouverait les lettres, démolissant ainsi l’édifice si patiemment bâti.

Et il songeait à l’autre, à l’ennemi implacable, embusqué autour de la prison, caché dans la prison peut-être, et qui devinait ses plans les plus secrets, avant même qu’ils ne fussent éclos dans le mystère de sa pensée.

Le 17 août… le 18 août… le 19… Encore deux jours… Deux siècles, plutôt ! Oh ! Les interminables minutes ! Si calme d’ordinaire, si maître de lui, si ingénieux à se divertir, Lupin était fébrile, tour à tour exubérant et déprimé, sans force contre l’ennemi, défiant de tout, morose.

Le 20 août…

Il eût voulu agir et il ne le pouvait pas. Quoi qu’il fît, il lui était impossible d’avancer l’heure du dénouement. Ce dénouement aurait lieu ou n’aurait pas lieu, mais Lupin n’aurait point de certitude avant que la dernière heure du dernier jour se fût écoulée jusqu’à la dernière minute. Seulement alors il saurait l’échec définitif de sa combinaison.

– échec inévitable, ne cessait-il de répéter, la réussite dépend de circonstances trop subtiles, et ne peut être obtenue que par des moyens trop psychologiques… Il est hors de doute que je m’illusionne sur la valeur et sur la portée de mes armes… Et pourtant…

L’espoir lui revenait. Il pesait ses chances. Elles lui semblaient soudain réelles et formidables. Le fait allait se produire ainsi qu’il l’avait prévu, et pour les raisons mêmes qu’il avait escomptées. C’était inévitable…

Oui, inévitable. À moins, toutefois, que Sholmès ne trouvât la cachette…

Et de nouveau, il pensait à Sholmès, et de nouveau un immense découragement l’accablait.

Le dernier jour…

Il se réveilla tard, après une nuit de mauvais rêves.

Il ne vit personne, ce jour-là, ni le juge d’instruction, ni son avocat.

L’après-midi se traîna, lent et morne, et le soir vint, le soir ténébreux des cellules… Il eut la fièvre. Son cœur dansait dans sa poitrine comme une bête affolée.

Et les minutes passaient, irréparables…

À neuf heures, rien. À dix heures, rien.

De tous ses nerfs, tendus comme la corde d’un arc, il écoutait les bruits indistincts de la prison, tâchait de saisir à travers ces murs inexorables tout ce qui pouvait sourdre de la vie extérieure.

Oh ! Comme il eût voulu arrêter la marche du temps, et laisser au destin un peu plus de loisirs !

Mais à quoi bon ! Tout n’était-il pas terminé ?

– Ah ! s’écria-t-il, je deviens fou. Que tout cela finisse ! ça vaut mieux. Je recommencerai autrement j’essaierai autre chose mais je ne peux plus, je ne peux plus.

Il se tenait la tête à pleines mains, serrant de toutes ses forces, s’enfermant en lui-même et concentrant toute sa pensée sur un même objet, comme s’il voulait créer l’événement formidable, stupéfiant, inadmissible, auquel il avait attaché son indépendance et sa fortune.

– Il faut que cela soit, murmura-t-il, il le faut, et il le faut, non pas parce que je le veux, mais parce que c’est logique. Et cela sera… cela sera…

Il se frappa le crâne à coups de poing, et des mots de délire lui montèrent aux lèvres… La serrure grinça. Dans sa rage il n’avait pas entendu le bruit des pas dans le couloir, et voilà tout à coup qu’un rayon de lumière pénétrait dans sa cellule et que la porte s’ouvrait.

Trois hommes entrèrent.

Lupin n’eut pas un instant de surprise.

Le miracle inouï s’accomplissait, et cela lui parut immédiatement naturel, normal, en accord parfait avec la vérité et la justice.

Mais un flot d’orgueil l’inonda. À cette minute vraiment, il eut la sensation nette de sa force et de son intelligence.

– Je dois allumer l’électricité ? dit un des trois hommes, en qui Lupin reconnut le directeur de la prison.

– Non, répondit le plus grand de ses compagnons avec un accent étranger Cette lanterne suffit.

– Je dois partir ?

– Faites selon votre devoir, monsieur, déclara le même individu.

– D’après les instructions que m’a données le Préfet de police, je dois me conformer entièrement à vos désirs.

– En ce cas, monsieur, il est préférable que vous vous retiriez.

M. Borély s’en alla, laissant la porte entrouverte, et resta dehors, à portée de la voix.

Le visiteur s’entretint un moment avec celui qui n’avait pas encore parlé, et Lupin tâchait vainement de distinguer dans l’ombre leurs physionomies. Il ne voyait que des silhouettes noires, vêtues d’amples manteaux d’automobilistes et coiffées de casquettes aux pans rabattus.

– Vous êtes bien Arsène Lupin ? dit l’homme, en lui projetant en pleine face la lumière de la lanterne.

Il sourit.

– Oui, je suis le nommé Arsène Lupin, actuellement détenu à la Santé, cellule 14, deuxième division.

– C’est bien vous, continua le visiteur, qui avez publié, dans le Grand Journal, une série de notes plus ou moins fantaisistes, où il est question de soi-disant lettres…

Lupin l’interrompit :

– Pardon, monsieur, mais avant de continuer cet entretien, dont le but, entre nous, ne m’apparaît pas bien clairement, je vous serais très reconnaissant de me dire à qui j’ai l’honneur de parler.

– Absolument inutile, répliqua l’étranger.

– Absolument indispensable, affirma Lupin.

– Pourquoi ?

– Pour des raisons de politesse, monsieur. Vous savez mon nom, je ne sais pas le vôtre ; il y a là un manque de correction que je ne puis souffrir.

L’étranger s’impatienta.

– Le fait seul que le directeur de cette prison nous ait introduits, prouve…

– Que M. Borély ignore les convenances, dit Lupin. M. Borély devait nous présenter l’un à l’autre. Nous sommes ici de pair, monsieur. Il n’y a pas un supérieur et un subalterne, un prisonnier et un visiteur qui condescend à le voir. Il y a deux hommes, et l’un de ces hommes a sur la tête un chapeau qu’il ne devrait pas avoir.

– Ah ! ça, mais…

– Prenez la leçon comme il vous plaira, monsieur, dit Lupin.

L’étranger s’approcha et voulut parler.

– Le chapeau d’abord, reprit Lupin, le chapeau…

– Vous m’écoutez !

– Non.

– Si.

– Non.

Les choses s’envenimaient stupidement. Celui des deux étrangers qui s’était tu, posa sa main sur l’épaule de son compagnon et il lui dit en allemand :

– Laisse-moi faire.

– Comment ! Il est entendu…

– Tais-toi et va-t’en.

– Que je vous laisse seul !

– Oui.

– Mais la porte ?

– Tu la fermeras et tu t’éloigneras…

– Mais cet homme… vous le connaissez… Arsène Lupin…

– Va-t’en.

L’autre sortit en maugréant.

– Tire donc la porte, cria le second visiteur… Mieux que cela… Tout à fait… Bien…

Alors il se retourna, prit la lanterne et l’éleva peu à peu.

– Dois-je vous dire qui je suis ? demanda-t-il.

– Non, répondit Lupin.

– Et pourquoi ?

– Parce que je le sais.

– Ah !

– Vous êtes celui que j’attendais.

– Moi !

– Oui, Sire.

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