Читать книгу De la liberté considérée dans ses rapports avec les institutions judiciaires - Mézard - Страница 12
A quels signes reconnaît-on la liberté ?
ОглавлениеSI, à l’exemple des génies qui, descendus du ciel du temps de Saturne, gouvernaient la terre, où ils faisaient régner, dit Platon , la paix, l’innocence, la liberté, la justice, et maintenaient les sociétés dans une subordination et une tranquillité parfaite, Dieu nous envoyait un ange pour nous gouverner et pour exercer, avec l’infaillibilité divine, tous les pouvoirs que nous avons répartis entre tant de mains, pourrions-nous dire que nous ne sommes pas libres? La liberté ne consiste donc pas dans la participation au pouvoir, mais dans la protection qu’on en reçoit.
Ceci explique pourquoi, sous le despotisme légal, les sujets peuvent être libres. Ils le sont, s’ils sont gouvernés par des êtres supérieurs, que leur génie et leurs vertus élèvent au niveau de leur pouvoir. Mais, comme sous un gouvernement si facile à corrompre, ce phénomène est rare, la liberté n’y est qu’un accident, à moins qu’elle ne soit cimentée par la religion, les mœurs et de longues habitudes .
Ce serait un grand sujet de méditation que la question de savoir si le gouvernement de la Chine produit cette précieuse liberté, dont on jouit souvent, sans s’en douter. On y voit tous les élémens du despotisme avec tous les fruits de la liberté, un gouvernement absolu avec des lois protectrices; nul équilibre dans les pouvoirs, et l’harmonie la plus parfaite. Qui oserait assurer que les Chinois sont des esclaves, s’ils n’ont à craindre que la loi, s’ils jouissent depuis des siècles de tous les biens qu’elle leur assure ?
Pour juger si un État jouit de la liberté, il n’est donc pas nécessaire de s’épuiser en longs raisonnemens sur sa constitution, et d’examiner si elle se rapproche plus ou moins de ce beau idéal, que chacun compose à sa manière. Il n’y a qu’à voir si les lois y sont exécutées, si le bon ordre y règne partout, si le faible n’y craint pas l’homme puissant, ni le pauvre, l’homme riche; si l’opprimé trouve un appui assuré dans les tribunaux, si l’agriculture et le commerce travaillent sans gêne à multiplier, à échanger et à mettre en œuvre les matières premières; si la population fait des progrès; si le peuple est content et heureux, autant que le comporte l’état de la civilisation; si les magistrats sont entourés d’une considération méritée , si les délits sont rares, parce qu’ils sont promptement punis; et enfin, pour réduire cette amplification à une seule phrase, si les personnes et les propriétés sont garanties par la loi et par ses organes.
Tel était le tableau que faisait à un voyageur le rajah de Bénarès. «Voyez, disait-il,
» mes territoires, mes champs cultivés, mes
» villes et mes villages peuplés de nombreux
» habitans; mon pays est un jardin et mes
» sujets sont heureux. Les principaux marchands,
» grâce à la sûreté de mon gouvernement,
» abondent dans ma capitale, c’est la
» banque de l’Inde; elle contient des Marattes,
» des Jattes, des Seïkes, des Indiens
» des Européens. C’est ici que la veuve et l’orphelin
» déposent toutes leurs richesses, et
» trouvent un asile contre la violence et la
» capacité ; les voyageurs d’un bout de la terre
» à l’autre peuvent déposer ici leurs fardeaux
» et dormir en sûreté, »