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De la responsabilité des Ministres.

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MAIS, puisqu’il est de l’intérêt des nations qu’elles soient gouvernées par leurs rois, n’est-ce pas contre la nature des choses, que les ministres soient responsables des ordres qu’ils reçoivent de celui qui a droit d’ordonner? une pareille responsabilité ne blesse-t-elle pas le premier principe de la justice distributive, qui veut que les fautes, comme les peines, soient personnelles? Et ne voit-on pas qu’elle tend à isoler l’autorité royale en la réduisant au droit de nommer ses agens? et c’est en effet où les partisans de la responsabilité indéfinie paraissent vouloir en venir, bien plus conséquens en cela que ceux qui veulent et que les ministres soient responsables, et que le roi gouverne. Je n’ai pu concevoir comment un des grands écrivains du siècle, et l’un des plus fermes appuis du trône, se soit déclaré le défenseur de cette responsabilité, qui l’a forcé de reconnaître que «le roi étant entouré de ministres responsables, il doit les laisser agir d’après eux-mêmes; puisqu’on s’en prendra à eux de l’événement, et que, s’ils n’étaient que les exécuteurs de la volonté royale, il y aurait injustice à les poursuivre pour des desseins qui ne seraient pas les leurs.» Cette conséquence ne devait-elle pas l’éclairer sur le principe?

Voilà donc les rois obligés à laisser agir d’après eux-mêmes leurs ministres responsables, à leur abandonner le choix des fonctionnaires, et à ne se réserver qu’une signature passive. Et en effet, quel est le monarque qui pourrait se flatter, qui voudrait exiger que ses ministres lui obéissent à ces conditions? quel est celui qui ne craindrait pas de s’exposer à voir, comme Charles 1er, traîner à l’échafaud un conseiller fidèle?

D’ailleurs, comment tracer une ligne de démarcation entre les cas où l’obéissance est un devoir, et ceux où elle pourrait devenir un crime? Je regarde comme impossible une bonne loi sur la responsabilité des ministres. Or, toutes les fois qu’un principe ne peut recevoir une application facile, on peut être à peu près sûr qu’il est mauvais. Les meilleures machines, en politique comme en physique, sont celles qui sont le plus simples.

Mais, ce qui est bien plus difficile encore, c’est de trouver, au milieu des factions et des troubles inséparables d’une lutte qui met en mouvement toutes les passions, des juges qui, chargés de prononcer entre une nation accusatrice et son roi accusé dans la personne de son ministre, puissent conserver le calme, l’indépendance et l’impartialité, si difficiles dans de pareilles conjonctures? Il faut donc, si on veut être juste, si on veut prévenir les crises et laisser le chef de l’État gouverner librement, il faut se borner à rendre les ministres responsables des déprédations qui leur sont personnelles, ou d’un fait de trahison, le plus grand, mais heureusement le plus rare de tous les crimes ministériels; il faut, en un mot, les traiter comme tous les autres fonctionnaires publics. Aller au- delà, assumer sur leurs têtes les chances de l’événement, c’est une inconséquence qui ne peut avoir que des suites funestes.

Mais, qui garantira les citoyens des actes arbitraires? c’est ce que j’examinerai dans le chapitre 7 du dernier livre.

De la liberté considérée dans ses rapports avec les institutions judiciaires

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