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Des Beaux-Arts et de l’Imagination.

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Une femme de beaucoup d’esprit, madame de Staël; ne se contentait pas d’une liberté si commune; elle la voulait embellie par les charmes de l’imagination et de l’enthousiasme. «Des penseurs superficiels, disait

» elle, prétendront que tout l’art social se

» borne à donner aux peuples les biens communs

» de la vie, le repos et l’aisance. Il en faut

» pourtant de plus nobles pour se croire une

» patrie; le sentiment patriotique se compose

» de souvenirs que les grands hommes ont

» laissés, de l’admiration qu’inspirent les chef-d’œuvres,

» enfin de l’amour que l’on ressent

» pour les institutions, la religion et la gloire

» de son pays. Toutes ces richesses de l’âme

» sont les seules que ravirait un joug étranger:

» mais, si l’on s’en tenait aux jouissances matérielles,

» quel que fût le maître, ne pourrait-il

» pas toujours les procurer ?»

Il n’est pas étonnant qu’une femme dont la politique était toute en images et en figures, qui savourait le plaisir de briller, par les charmes de sa conversation, dans les cercles du beau monde et des gens d’esprit, et qui trouvait qu’on ne jouissait de la vie que dans les capitales, et surtout à Paris, méprisât les jouissances matérielles et les biens communs de la vie. Cependant je doute fort que, lorsque dans l’Allemagne, elle fuyait, de poste en poste, la tyrannie qui la poursuivait, elle fût si indifférente au repos et à l’aisance que procure l’art social. Quant à nous, âmes vulgaires, qui n’avons ni cent mille livres de rente pour réparer les échecs portés à notre mince fortune, ni des chevaux de poste et une réputation brillante pour aller chercher dans les cours étrangères la sûreté que nous ne trouverions pas chez nous, qu’il nous soit permis de préférer le solide à l’agréable, et la sécurité de l’âme aux biens plus nobles de l’imagination. Nous voulons une liberté à la portée de tout le monde, une liberté pour tous, pour le riche comme pour le pauvre, pour l’habitant des campagnes comme pour celui des villes, pour l’ignorant comme pour, l’homme de génie. Nos beaux esprits, pour ne pas la partager avec le vulgaire, l’élèvent si haut, que souvent ils ne peuveut y atteindre eux-mêmes.

Mais que diront-ils, si je leur montre que la liberté, telle que je l’entends, loin d’exclure les jouissances intellectuelles et morales, les fait éclore au contraire! En effet, à quel foyer s’allume l’amour de la patrie? N’est-ce pas dans les avantages inappréciables qu’elle nous procure? N’est-on pas plus attaché à des biens qui nous sont assurés qu’à ceux dont la possession est précaire, à des institutions qui font notre bonheur, qu’à celles qui nous le promettent en vain? Il est vrai que, s’il fallait se contenter d’une liberté modeste, le patriotisme de ceux, qui la font consister dans la participation au pouvoir, en serait affaibli; car si l’on arrachait du cœur des plus fiers démagogues, l’ambition, l’amour-propre et l’envie, leur âme éprouverait aussitôt une métamorphose semblable à celle qu’opéra sur Roland la fiole apportée de la lune par Astolphe. Mais serait-ce là un si grand mal? et ne vaudrait-il pas mieux qu’il y eût moins de patriotes de nom, et plus de patriotes de fait?

Les beaux-arts, la littérature, les sciences, n’habitent-elles pas plus volontiers une terre qui jouit d’un ciel serein et d’un horizon qui promet le beau temps, que celle où règnent les frimas, l’orage et la tempête? Il ne faut au génie, pour s’élever dans les hautes régions, que l’amour de la gloire, les applaudissemens publics et le repos. J’en appelle aux siècles de Périclès, d’Auguste, des Médicis et de Louis XIV.

Ames ardentes, qui voyez tous les objets à travers le prisme de votre enthousiasme, vous que tourmente le besoin d’aimer et quelquefois celui de haïr! n’avez-vous pas pour objets de haine, l’arbitraire, l’injustice, le crime et la tyrannie, et pour objets d’amour, les bons rois, l’humanité et ses bienfaiteurs, la vertu et Dieu? Dieu, qui vous ordonne d’aimer vos semblables, de leur faire du bien, d’obéir aux puissances, et qui vous a donné une religion dont la morale tiendrait lieu de législation, si elle était exactement suivie. Cette religion est votre propriété ; défendez-la contre les attaques de l’impie; c’est un bien dont la jouissance fait partie de votre liberté. Mais, quand vous posséderez tout ce que la société peut vous garantir, n’allez pas vous élancer après le fantôme de la perfectibilité, et parcourir le pays des chimères pour vous retrouver, après une course vagabonde, au point de votre départ.

De la liberté considérée dans ses rapports avec les institutions judiciaires

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