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Définition et caractères de la liberté.

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SI on pouvait, par une définition claire et précise de ce mot, calmer les inquiétudes des peuples, et fixer les devoirs des législateurs, on rendrait un grand service aux uns et aux autres.

Que de malheurs et de désordres n’a pas causés l’abus des mots! serait-ce donc faute de s’entendre que tant de sang aurait été versé ?

Un républicain français fut amené prisonnier, pendant nos guerres politiques, devant le général des royalistes. Pourquoi te bats-tu? lui demanda le général: Pour être libre, répondit le républicain. Crois-tu donc, répartit le royaliste, que je veuille être esclave? S’ils étaient tous les deux de bonne foi, il est évident que, mûs par le même motif, ils ne se tiraient des coups de fusil, que parce qu’ils ne s’entendaient pas.

Est-il donc si difficile de s’accorder sur le sens du mot liberté ? Oui, sans doute, tant qu’on s’obstinera à ne vouloir définir un mot abstrait que par d’autres abstractions; moyen infaillible de tomber d’une obscurité dans une autre, et de rendre la dispute interminable.

Ou la liberté est un vain nom, ou elle doit signifier un objet sensible, un bien réel, un résultat, un fait, en un mot. Or, un fait n’a besoin que d’être énoncé pour être compris.

Quel est donc ce fait? C’est sans doute celui que les hommes ont eu pour but, lorsqu’il s se sont réunis en société. Il faut donc remonter aux temps primitifs.

Car, de même que, dans le commencement d’un procès, on est souvent mieux à même d’apprécier les droits et les raisons des parties, que lorsque la cause est surchargée d’écrits, d’incidens et de discussions; de même, en s’élevant à l’origine des sociétés et des lois, il est plus facile d’en saisir les motifs et le but, qu’en se plongeant dans le cahos des systèmes et des législations modernes.

Or, les hommes, en se réunissant, n’ont pu vouloir que leur bonheur, et la liberté qui en forme l’essence. Ils ne seraient pas sortis de leur état primitif pour détériorer leur sort.

Ce n’est pas pour des êtres abstraits, invisibles, métaphysiques, qu’ils ont renoncé à leur indépendance naturelle: ce n’est pas même pour avoir des lois et des chefs qu’ils ont préféré la vie sociale à l’isolement où chacun se trouvait; ils n’ont pas dit, réunissons-nous pour avoir le plaisir de commande, pour nous distribuer le pouvoir. Ces lois et ces chefs ne furent que des moyens pour arriver à la fin qu’ils avaient en vue.

Et pour raisonner dans tous les systèmes, si c’est la force, ou la vie domestique, qui a fondé les empires, les fondateurs n’ont pu avouer d’autre but, pour légitimer leur autorité, que celui que leurs sujets se seraient proposé, s’ils les avaient choisis volontairement.

Allons plus loin: si c’est Dieu qui a réuni les hommes, et leur a donné des lois et des maîtres, il n’a pu agir que dans l’intérêt de ses créatures; toute autre supposition serait une impiété.

Quel est donc ce but, ce changement, cette amélioration, que les hommes voulurent apporter à leur existence précaire par leur réunion en communauté ? il est facile de le découvrir. L’homme, errant dans les bois, n’avait pour se garantir de la violence de ses semblables, que sa force individuelle. Tous avaient les mêmes besoins; mais aucun n’avait des moyens assurés de les satisfaire. Les productions de la terre étaient en commun; mais, c’est par cette raison même que personne ne pouvait en jouir paisiblement: l’homme qui s’était choisi une femme, qui avait cueilli du fruit, qui avait tué une bête fauve, qui s’était construit une cabane, était exposé à s’en voir dépouiller à tout moment par celui qui les convoitait, et qui regardait cette possession exclusive comme une atteinte portée à la propriété universelle. Le plus faible était à la merci du plus fort, et le plus fort avait à craindre la réunion des faibles. Le mal augmenta quand les hommes furent obligés de se rapprocher par l’effet de la multiplication de leur espèce.

Ils sentirent alors les inconvéniens d’une existence exposée à tant de chances, de dangers et de vicissitudes. Ils étaient errans, ils voulurent se fixer; ils étaient indépendans, ils voulurent devenir libres; je me trompe; le mot liberté ne fesait pas encore partie d’une langue grossière, simple, et qui n’exprimait que des objets matériels: mais, s’ils ne connaissaient pas le mot, ils voulurent avoir la chose; leur intention fut de se procurer, dans l’état de société, ce qui leur manquait dans la vie sauvage, c’est-à-dire, la jouissance paisible de leurs personnes et de leurs propriétés.

Cette jouissance pouvait être troublée de deux manières, ou par l’attaque de voisins jaloux, inquiets et turbulens, ou par des sociétaires qui, non contens de la portion qui leur serait assignée et garantie, seraient tentés d’entreprendre sur celles des autres communistes. Les forces individuelles furent réunies pour repousser les attaques du dehors; l’autorité publique fut instituée, et ses dépositaires nommés pour contenir les infractions du dedans .

Mais, bien que ces deux moyens de sauve-garde paraissent opposés l’un à l’autre par leurs dénominations et les instrumens employés pour les faire agir, ils n’ont eu l’un et l’autre dans l’origine, qu’un seul objet, celui de rendre chaque membre de l’état paisible et assuré possesseur de ce qui lui appartient .

Si donc le but de toute association sociale est de produire cet heureux résultat, il s’ensuit que la liberté doit être définie, la jouissance paisible et assurée de sa personne et de sa propriété. Il faut bien employer des termes communs pour exprimer des idées qui étaient simples à l’époque où elles prirent naissance .

Montesquieu a défini la liberté, le droit de faire tout ce que les lois permettent , ce qui comprend, sans doute, ce qu’elles ne défendent pas. Mais si les lois ordonnent, ou ne défendent pas des actions injustes, tyranniques, attentatoires aux personnes et aux propriétés, y aura-t-il liberté ? Le droit à une chóse n’en suppose pas nécessairement la possession. Le droit est une jouissance due; la liberté est une jouissance réelle. S’il suffisait, pour être libre, d’avoir le droit de l’être, de faire tout ce que les lois permettent, quel est l’homme, quel est le peuple qu’on pourrait dire esclave? D’ailleurs, ces mots loi, droit, sont des abstractions, qui, au lieu de définir, ont besoin d’être définies. Tenons-nous en aux notions simples, sensibles, qui présidèrent à la formation des sociétés.

De la liberté considérée dans ses rapports avec les institutions judiciaires

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