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De l’amour-propre, de l’orgueil, de l’envie.

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ON veut, en posant pour principes que tous les citoyens ont un droit égal au pouvoir, faire la part de l’amour propre, de l’orgueil, de l’envie même: on appelle au secours de cette doctrine séduisante toutes les passions de l’homme; eh bien, je veux, pour le bien de l’humanité, calmer ces mouvemens de notre infirmité, en écarter l’amertume, et les diriger vers le bien public: et pour cela, au lieu d’élargir la voie des honneurs, je propose au contraire de la resserrer, d’en éloigner le terme, de la semer d’épines, d’entraves et d’aspérités; mais en même temps d’augmenter l’honneur de l’avoir parcourue jusqu’au bout. Le talent n’en sera pas refroidi; le prix qu’il verra au terme de la carrière, soutiendra son courage, décuplera ses forces; tandis que la foule des hommes médiocres, n’osant pas même parcourir des yeux ce long espace qui les sépare du but, se retirera sans se croire humiliée, parce qu’elle ne sera pas même entrée en lice.

L’envie ne s’attache qu’aux objets qui sont placés à petites distances. Les rois n’ont jamais été jalousés que par les princes , les princes que par les grands, les grands que par les nobles, les nobles que par les bourgeois, les bourgeois que par les artisans. Si la vue des faisceaux excita dans la femme du plébéien Licinius un tel accès de jalousie que la république en fut troublée, et qu’il fallut que les patriciens admissent le peuple à partager avec eux les honneurs du consulat, ce fut parce qu’elle vit ces attributs de la puissance honorer le mari de sa sœur, tandis que le sien en était privé.

Allez dire à un chétif ouvrier, pour lui enfler le cœur et le consoler de son triste état, qu’il a droit de prétendre à toutes les places, il croira que vous vous moquez de lui. Que lui importe d’être éligible, s’il ne lui reste aucun espoir d’être élu? Cette éligibilité ne peut agir sur son amour-propre que pour lui faire remarquer tristement une perspective qu’il n’atteindra jamais, et la distance qui le sépare pour toujours des puissans du siècle. Ce que vous demande cet ouvrier, ce que vous ne pouvez lui refuser, c’est de pouvoir travailler et débiter sa marchandise sans aucune gêne, d’améliorer sa fortune et le sort de sa famille sous la protection des lois et des magistrats. Voilà ce qui le fera libre, et l’égal de tous ses concitoyens.

Ce ne sont donc pas les barrières posées par le législateur, mais bien les préférences accordées sans règle et sans choix qui blessent l’amour-propre et fomentent les ambitions du grand nombre. La vue des hommes sans mérite promus aux honneurs, cause une irritation générale. Chacun se flattant d’avoir le même droit, s’élance dans l’arêne; et comme il n’y a pas de place pour tous, les exclus, dégoûtés déjà de leur profession par l’espoir d’en sortir, déchus du rang auquel ils croyaient toucher, détestent leur existence, maudissent les rivaux qui les ont supplantés, regardent d’une jalouse rage les hommes en place, surtout ceux qui étaient leurs égaux, et trouvent un nouveau tourment dans ce principe d’admissibilité qui les a séduits.

Voulez-vous donner aux hommes de toutes les classes cette noble fierté, cet air d’assurance qu’inspire le sentiment de la liberté ? que le charbonnier puisse dire ailleurs que sur le théâtre, je suis maître chez moi; que la farce des battus paient l’amende ne soit plus regardée que comme la peinture de moeurs antiques; que l’homme offensé ne craigne pas de passer pour l’agresseur, s’il repousse l’injure par l’injure; que la loi distribue sur tous une égale protection; que la sécurité se peigne sur tous les visages, et surtout que la rudesse du pouvoir soit effacée par le libre ascendant des vertus. Alors les différences des rangs, du pouvoir n’offusqueront plus personne; chaque prétention se mettra à son niveau, chaque classe prendra les sentimens analogues à sa position; le respect se graduera sur l’échelle des dignités et du mérite, et l’homme timide ou fier n’aura plus de répugnance à aborder l’homme public qu’environnera la douce auréole de la considération et de la confiance.

C’est alors que s’établira cette opinion de la liberté, aussi nécessaire au repos de l’homme que la liberté même. Ce ne sont pas les-lois qui rassurent contre l’arbitraire et le despotisme; ce qui rassure, c’est le spectacle des familles tranquilles et heureuses; c’est la justice dispensant sa protection sur tous les citoyens indistinctement.

De la liberté considérée dans ses rapports avec les institutions judiciaires

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