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Du Système représentatif.

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GUIDÉ par le même flambeau de l’utilité publique, qui est la pierre de touche de la liberté, il nous serait facile de signaler bien d’autres erreurs dans lesquelles de vaines théories et l’impropriété des mots ont jeté même les meilleurs esprits. Combien, par exemple, n’est pas absurde la qualification de système représentatif, employée dans l’organisation des grands Etats? Comment persuader à une grande nation, composée de plusieurs millions d’habitans, qu’elle est représentée par trois ou quatre cents personnes qui ne tiennent leur pouvoir que d’une trois-centième partie de la population, laquelle elle-même n’a reçu de pouvoirs de personne? Comment peut-on appeler représentatif un système qui ne permet de choisir ses délégués que dans la millième partie des citoyens? Comment celte foule, exclue du pouvoir d’élire, peut-elle se croire représentée par des hommes qu’elle n’a nommés ni directement ni indirectement? Comment la minorité des votans croira-t-elle ses intérêts bien confiés à des élus qui non-seulement ne sont pas de son choix, mais qu’elle n’a pas jugés dignes de sa confiance? Quelle folie de vouloir un gouvernement représentatif qui ne représente pas!

Si cette folie n’avait pas de graves inconvéniens, on ne ferait qu’en plaisanter: mais cette attribution représentative inspire au peuple des prétentions insidieuses: elle lui persuade que le droit d’être représenté est de l’essence de la liberté publique, et que, si ce droit a été soumis à des restrictions, c’est une violation liberticide contre laquelle il peut toujours réclamer; elle lui persuade que les représentans ne sont que ses mandataires, obligés de se conformer à ses mandats, sous peine d’être regardés comme des traîtres. Alors l’opinion publique, ou ce fantôme qui en prend la ressemblance, que les partis invoquent tour-à-tour, et qu’il n’est jamais si difficile de bien apprécier, que lorsque tant de bouches s’en rendent les organes, l’opinion publique devient une puissance redoutable; et si elle s’égare, s’il s’élève dans l’assemblée dite représentative un parti qui s’arme de cet aveugle et perfide instrument, qui s’annonce pour être l’organe de la volonté générale, le défenseur des droits nationaux, le réformateur des abus; si elle devient la majorité par la crainte qu’elle inspire, le prestige qu’elle répand, et par ce penchant naturel qui porte les âmes faibles à se rallier au parti qui domine, il n’y a plus de Gouvernement, de lois, de justice, de liberté ; tous les pouvoirs sont envahis. La faction dominatrice, attaquée à son tour par le mécontentement général, par les ambitieux qu’elle n’a pu satisfaire, minée par les mêmes moyens qui l’ont élevée, prodigue, pour se maintenir, pour se procurer une majorité quelconque, l’or, les places, les promesses, les séductions, les menaces, et finit par s’écrouler et par abandonner ses débris à une autre faction bientôt menacée et renversée à son tour: tristes et déplorables effets des fausses doctrines et de cette illusion qui persuade à la masse du peuple qu’elle est représentée, et à quelques individus qu’elle n’a pas nommés, qu’ils sont ses représentans!

Et de plus, que de fausses idées ne voit-on pas s’élever sur le mode d’élection! Pour trouver le meilleur, on se perd dans le chaos de la métaphysique; tandis que, si on n’était pas préoccupé de cette idée représentative, on reconnaîtrait que la capacité d’élire n’est pas plus un droit, que la capacité qui rend habile à occuper des places; que c’est un pouvoir, une commission déférée par la loi pour le bien de tous; que, pour faire de bonnes lois, il faut de bons législateurs; que les qualités d’un législateur étant rares, il faut les prendre là où elles se trouvent; que les premiers fonctionnaires de l’Etat étant censés et plus instruits, et plus attachés à l’ordre établi que le reste des citoyens, devraient être membres-nés du conseil national: que, quant à la partie élue, le mode électif, qui atteindrait mieux le but, serait celui qui, par des élections graduelles, par des épurations successives, donnerait cette quintessence de bons choix, sans laquelle il est bien à craindre qu’on n’ait souvent que des hommes peu éclairés, des factieux, quelques gens d’esprit, des honnêtes gens en plus grand nombre, mais incapables de saisir l’ensemble et l’enchaînement d’un système législatif. L’Espagne a quatre degrés d’élection. C’est peut-être ce qui la sauvera d’un bouleversement, malgré l’esprit démocratique de sa constitution.

Ce n’est pas tout. Quand une fois on s’est bien persuadé qu’on a un gouvernement représentatif, on veut que toute l’économie politique soit empreinte de cette idée c érie: c’est ce qu’on appelle mettre en harmonie, avec le principe du gouvernement, les lois et les institutions. On soutient que les administrés sont représentés par les administrateurs, la société par le jury, la force armée des nations par les soldats: on ne s’arrête pas en si beau chemin: il faut bien joindre la pratique à la doctrine. Puisque tout est représenté dans la nation, il s’ensuit que les fonctionnaires ne sont que les mandataires du peuple; que, pour qu’ils soient ses véritables mandataires, il faut qu’il les nomme et les dirige; que l’opinion publique devienne leur boussole; que la presse, qui est l’intermédiaire de cette opinion, ne puisse recevoir aucune limite, et que les pétitionnaires aient le droit de s’attrouper, pour faire entendre leur vœu par des clameurs. De là à l’insurrection érigée en devoir, et de l’insurrection à la dissolution de la société, il n’y a qu’un pas. Pour renverser cet étalage de conséquences désorganisatrices, il suffit de notre principe conservateur.

Pourquoi les sociétés se sont-elles formées? Nous l’avons dit, c’est pour que la justice y règne, c’est-à-dire, pour que chacun soit libre, en jouissant paisiblement de ce qui lui appartient: pour arriver à ce but, on a fait des lois, on a créé des magistrats pour les exécuter. Qui que ce soit qui ait proclamé ces lois; le soin de les mettre en exécution ne le regarde plus: qui que ce soit qui ait nommé ces magistrats, une fois nommés, ils ne sont plus dépendans que de la loi.

Le législateur même qui tient le plus près au peuple, au moment qu’il a reçu son caractère, fût-ce par les votes de tous les citoyens réunis; le législateur, à moins qu’il n’ait reçu un mandat impératif, n’est plus obligé que de consulter sa conscience, et de proposer ou consentir les lois qu’il croit les plus propres à faire le bonheur de son pays, c’est-à-dire, à consolider la sûreté individuelle et possessionnelle de tous les citoyens.

Or, y a-t-il dans tous ces rapports, dans cet enchaînement qui lie l’homme public à ses devoirs, la moindre trace de représentation? Non, je n’en vois point; ou si l’on veut absolument conserver un mot si propre à induire en erreur, mais qui flatte agréablement l’oreille et l’amour-propre, qu’on dise que tout homme chargé d’un pouvoir quelconque représente la loi, la justice, la liberté : trois choses qui s’identifient entre elles. Voilà la seule représentation admissible.

Celte démonstration est bien plus évidente encore dans les états monarchiques. Car, si dans ces états, on trouve une représentation réelle de personnes, c’est dans le sens tout contraire à celui qu’on donne ordinairement à ce mot. C’est en remontant d’abord au faîte, et descendant ensuite jusqu’au dernier échelon, qu’elle a lieu. En effet, on peut dire que le roi est le seul représentant de son peuple: c’est lui qui administre, qui gouverne; c’est en son nom que la justice se rend: il ne peut faire tout par lui-même: il faut qu’il nomme ses mandataires, qu’il soit représenté. Ces mandataires sont donc ses représentans. Il n’y a rien là qui blesse les principes et la raison.

Mais, pour en revenir à l’extension démesurée que les partisans du principe représentatif veulent lui donner, ne serait-ce pas en tirer une conséquence fausse et dangereuse, si, parce qu’on a une assemblée législative-élective, on allait mettre de la représentation partout, dans les corps administratifs, dans le militaire, dans la justice, dans la publication des opinions, dans l’instruction publique? n’est-ce pas tout l’opposé de ce qu’il faudrait faire? Car la représentation est une véritable démocratie modifiée: si elle domine dans une assemblée qui parle au nom et en présence de la nation, il faut la restreindre dans les autres branches de la hiérarchie: autrement le trône courrait des dangers par la réunion possible de tous ces élémens démocratiques. Si au contraire ces élémens sont faibles autour du trône, ils peuvent sans danger se trouver à quelques distances, pour que les peuples aient des organes qui fassent connaître leurs besoins, et rappellent au prince qu’il est leur père. La première chose à faire dans l’organisation des états, c’est donc de fixer la part du pouvoir exécutif: on voit ensuite ce qu’on peut accorder de popularité aux autres pouvoirs. C’est ce qu’a très-bien démontré M. Necker, dans son livre du Pouvoir exécutif.

L’Angleterre se flatte d’avoir un gouvernement représentatif. Je ne veux pas lui contester cet honneur: mais qu’elle se prémunisse contre les illusions de ce titre. L’autorité est chez elle à fleur d’eau: pour peu qu’on la fasse baisser, elle est submergée. Si la nation veut être représentée, suivant toute la force du terme, elle se perd. Qu’elle soulage la misère du peuple, mais qu’elle l’écarte des affaires publiques; qu’elle garde ses bourgs-pourris, s’ils donnent quelque force à l’autorité, et tous les correctifs d’un système, qui serait la plus belle invention de l’esprit humain, s’il n’était entouré de précipices.

Qu’ai-je prétendu dans ce chapitre? rien autre chose que de montrer l’impropriété du mot représentation et l’abus qu’on peut en faire; que de prouver que la liberté ne consiste pas à être représenté ou à pouvoir être représentant, mais à avoir de bonnes lois, des lois protectrices de tous les intérêts, et qui soient exactement exécutées. Que si, pour arriver à ce résultat, il faut une assemblée législative élue, non-seulement je ne repousse pas ce moyen, mais je le provoque de tous mes vœux, persuadé que, pour la formation des lois, un monarque est mieux conseillé par une réunion d’hommes estimables et instruits, que par ses courtisans et ses ministres: mais c’est à condition que, dans l’adoption du mode électif, on ne s’occupera que d’avoir des électeurs qui connaissent les qualités nécessaires aux législateurs, et des élus qui possèdent ces qualités, et sachent conduire le vaisseau dé la législation, dans le pays des réalités. Admis comme passager sur ce bâtiment, je ne me mêle pas de la manœuvre qui le fait aller; mais je montre au pilote les écueils qu’il doit éviter, et le port vers lequel il doit diriger le gouvernail.

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