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De la Souveraineté du peuple.

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LA souveraineté du peuple est encore une de ces illusions éblouissantes que le simple contact de notre principe conservateur résout en fumée.

Si, par ce mot, on entend seulement le droit qu’ont eu les premiers hommes de se réunir en société, et de mettre les lois à la place de la force, personne, je pense, ne leur en a contesté la légitimité.

Mais, sans avoir besoin de soutenir que ce droit n’a pu être exercé qu’une seule fois; que du moment où la réunion a été formée et organisée, le souverain a disparu et a fait place au citoyen; qu’un contrat d’union passé à l’unanimité, car personne n’était obligé d’y souscrire, ne peut être dissous que de la même manière qu’il a été formé, et qu’il est impossible que, dans la civilisation actuelle, il se trouve une seule cité dont tous les membres fussent d’accord pour rompre les liens qui les unissent, afin d’en former de nouveaux; sans recourir, dis-je, à une théorie que j’abandonne à la discussion de nos publicistes-métaphysiciens, je demanderai seulement si la souveraineté du peuple est favorable à son bonheur, à l’ordre public, à la conservation des personnes et des propriétés, à la liberté en un mot? S’il en est ainsi, respectons-la, et ne disputons plus. Mais si, comme le simple bon sens l’indique, et comme l’expérience le démontre, la souveraineté entre les mains du peuple et par lui mise en pratique, n’est propre qu’à remettre en question les droits les plus légitimes, à bouleverser les États, à faire répandre des torrens de sang, et souvent même à élever un trône au despotisme, qui épie le moment où il pourra offrir son bras de fer à la lassitude des partis; ah! si c’est là toute la perspective que nous promet cette perfide chimère, repoussons-la avec horreur; proscrivons cette detestable et fausse doctrine; oui, fausse, je ne cesserai de le répéter, parce qu’elle est pernicieuse; proscrivons-la au nom du peuple qui en est victime, au nom de l’humanité qu’elle outrage, au nom de la liberté, qui la redoute comme sa plus cruelle ennemie.

Mais, si le peuple veut se faire mal à lui même, qu’est-ce qui pourra l’en empêcher, nous dit un philosophe ? Supposition aussi fausse que la conséquence! Quoi! tandis que la Divinité a imprimé dans le cœur de l’homme, pour la conservation de son ouvrage, l’amour du bien-être et de l’existence, et qu’on ne trouverait pas un seul individu, à moins qu’il n’eût l’esprit aliéné, qui désirât son malheur, on supposerait qu’une nation entière fût capable de former un souhait aussi monstrueux! Quelle absurdité ! Le suicide se donne la mort, non pas pour être malheureux, mais pour cesser de l’être. Les Lagontins se jetèrent dans les flammes, non pour augmenter leurs infortunes, mais pour éviter la pire de toutes, l’esclavage. Sans doute, on a vu des peuples, comme des individus, se livrer à des actes qui leur ont attiré des disgraces, et qui ont même entraîné leur perte.

«Souvent le peuple, a dit le Dante, appelle

» à grands cris sa ruine, et blasphême son

» salut .» Mais c’est parce que, dans leur aveuglement, ils se trompaient sur les suites de leurs caprices et de leurs passions. Quand le peuple romain donna le commandement des armées à Marius, il ne prévoyait pas que les fureurs de cet ennemi de la noblesse armeraient Sylla, qui vengerait sur les partisans de son rival les victimes que ce rival avait sacrifiées. Le peuple, cette collection d’individus, ne peut donc vouloir que son bonheur: mais il erre quelquefois sur les moyens de se le procurer; et c’est pour que ses erreurs ne lui soient pas funestes, qu’il a remis son sort, et déposé ses volontés entre les mains de ses magistrats, de ses chefs, de ses rois, tous obligés, même au risque de lui déplaire, de travailler à son bonheur. Peut-on même dire que ce soit agir contre la volonté d’un homme, que de lui faire du bien malgré lui? Si quelqu’un arrache des mains d’un forcené le poignard que, dans son délire, il allait plonger dans le sein de son ami, dira-t-on que c’est une violence faite à la volonté de ce furieux? Oui, à sa volonté aveugle, passionnée, passagère; mais non à sa volonté calme, réfléchie et constante. Qu’on me dise laquelle de ces deux volontés est la véritable. Si le choix n’est pas douteux, ne faut-il pas en conclure que c’est se conformer à la volonté d’autrui, et à plus forte raison à celle du peuple, que de l’empêcher de se faire du mal? autrement il faudrait ôter, au père la tutelle de ses enfans, à l’époux, l’autorité maritale, à l’insensé, les gardes qui le surveillent: il faudrait punir l’homme généreux qui se jette dans la rivière, pour en retirer le malheureux qui y cherche la mort et la fin de ses misères.

J’allais dire que, indépendamment de ces raisons, un seul membre de la société serait en droit, pour son propre compte, de s’opposer à la folie de ses concitoyens qui, par une délibération prise en corps, voudraient se rendre tous malheureux, pour avoir le plaisir de l’être, parce qu’un homme raisonnable n’est pas obligé de se sacrifier, pour complaire à des fous. Mais je m’aperçois que je combats des chimères.

De la liberté considérée dans ses rapports avec les institutions judiciaires

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