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Du consentement réciproque des États comme source du droit positif.

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39. Le droit positif international dérive du consentement réciproque des États. — 40. Il n’est donc pas arbitraire. — 41. Raisons de son imperfection. — 42. On distingue le droit positif particulier du droit positif général. — 43. Exemples de règles positives de droit international établies par des traités généraux. — 44. Autorité des traités généraux. — 45. Leur importance au point de vue de la codification. — 46. Observations sur la codification du droit international. — 47. Les règles de droit positif peuvent avoir autorité vis-à-vis de tous les Etats.

59. Par suite de l’absence d’une autorité légitime supérieure aux États pouvant assumer vis-à-vis de tous le rôle de législateur, formuler et édicter les règles positives et concrètes applicables à leurs rapports mutuels, le droit positif international ne peut avoir la forme extérieure et sensible de la loi. A cette absence vient suppléer l’accord libre et spontané des gouvernements, consentant et s’obligeant à observer et respecter certains principes dont ils jugent l’application à leurs rapports réciproques nécessaire ou avantageuse. De la sorte, ces règles juridiques conventionnelles ont entre eux l’autorité du droit positif et leur tiennent lieu de loi. Quum enim gentes nullo superiore in terris contineantur, sunt illis pro legibus, quœ ipsi sibi dicere; vel scriptis tabulis, vel moribus introductis, quœ sœpe scripturis istis comprobantur .

40. Il ne faudrait pas en inférer que le droit positif international ayant pour source principale le consentement des États est une création du hasard et de l’arbitraire. En affirmant que les règles juridiques revêtent au regard de ceux-ci l’autorité de la loi par suite du consensus gentium, je n’ai pas entendu dire que le droit positif puisse être arbitrairement établi par les gouvernements. N’oublions pas, en effet, que le fonds du droit conventionnel est et doit être préconstitué par le droit rationnel dont nous avons traité au paragraphe précédent. Il appartient aux gouvernements de reconnaître certaines règles juridiques préexistantes consacrées par la tradition et de leur conférer, comme conséquence d’un accord mutuel, l’autorité même de la loi; mais il ne leur appartient pas d’établir, à la suite d’un semblable accord, une loi qui soit en opposition directe avec les principes de ce droit rationnel ou naturel, qu’on rencontre préexistants dans la conscience de l’humanité à une époque donnée.

41. Il a pu arriver et il est en fait arrivé qu’en raison de l’indétermination du droit rationnel on a, en les convertissant conventionnellement en droit positif, faussé et altéré des principes uniformément acceptés par les gouvernements. Cela prouve seulement qu’aux différentes époques les peuples n’ont pas eu un sentiment identique et uniforme de ce qui pouvait être nécessaire ou utile à la bonne organisation de leur société dans la Magna civitas, et que les convictions juridiques populaires se sont formées lentement et successivement, suivant le degré plus ou moins élevé de culture et de civilisation des sociétés, suivant la plus ou moins grande uniformité du sentiment des exigences et des besoins de la vie sociale, le savoir plus ou moins développé des publicistes et bien d’autres circonstances que nous n’avons pas à envisager ici. Il n’en est pas moins certain que les règles conventionnelles établies par les gouvernements à la suite d’un accord réciproque ont leur raison d’être dans les conditions sociales, historiques et morales des peuples à chaque époque de leur existence, et qu’elles ont subi l’influence du progrès incessant de la culture, de la civilisation, de la communauté des sentiments et des idées juridiques relatives à l’organisation des rapports internationaux.

Je crois inutile de m’étendre plus longuement sur ce sujet. Ce n’est pas ici le lieu de disserter sur l’évolution du droit international conventionnel, ou d’examiner les causes qui ont influé sur son développement. Ce que j’ai dit suffit à faire comprendre comment l’origine du droit positif international doit être recherchée dans la reconnaissance consensuelle par les États de certaines règles juridiques déterminées; comment cette reconnaissance n’est pas le fait du hasard ou du pur arbitraire; comment enfin ces règles positives ont pu être plus ou moins conformes au droit rationnel, sans se trouver toutefois en contradiction formelle avec les convictions juridiques des peuples à une époque donnée.

Voyons maintenant comment en fait, grâce au consensus gentium, s’est fondé un droit international positif.

42. Il faut à ce point de vue distinguer le droit positif particulier du droit positif général ou commun. Le premier est le résultat des traités particuliers conclus entre deux ou plusieurs États, en considération de leurs intérêts individuels et de leurs rapports accidentels ou contingents. Telles sont les conventions intervenues entre un gouvernement et les États étrangers dans divers buts, par exemple, pour assurer et faciliter l’exercice du commerce, l’extradition des malfaiteurs, réglementer l’institution des consulats, etc.

Toutes ces conventions doivent être considérées comme formant une loi particulière aux États qui les ont conclues, de même que les contrats entre particuliers forment une petite loi spéciale aux parties qui les ont signés. Il en résulte clairement qu’un traité particulier est entre les États signataires un titre juridique en vertu duquel l’un a le droit d’exiger de l’autre tout ce qui a été formellement promis, et en outre tout ce qui, selon l’équité, l’usage et les règles du droit international, est réputé virtuellement compris dans les stipulations.

Le droit positif commun est celui que les États se trouvant à un même degré de culture et de civilisation ont, dans un traité général, solennellement reconnu comme règle de leurs rapports et de leurs intérêts internationaux.

45. Un exemple frappant de règles positives de droit international établies et promulguées à la suite d’un accord conventionnel est fourni par la déclaration signée à Paris le 16 avril 1856, établissant une législation uniforme sur certains points controversés du droit maritime en temps de guerre. Cet acte, originairement signé par l’Autriche, la France, la Russie, la Sardaigne et la Porte Ottomane, déjà signataires du traité de Paris du 30 mars précédent, déclare désormais obligatoires, pour les États ci-dessus et pour ceux qui dans la suite donneraient leur adhésion, les règles suivantes:

1° La course est et demeure abolie;

2° Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l’exception de la contrebande de guerre;

3° La marchandise neutre, autre que la contrebande de guerre, n’est pas saisissable sous pavillon ennemi;

4° Le blocus, pour être obligatoire, doit être effectif, c’est-à-dire maintenu par une force suffisante pour rendre réellement impossible l’accès de la côte ennemie.

Les plénipotentiaires eurent soin de déclarer que les règles en question ne seraient réputées obligatoires qu’entre les parties ayant signé la convention ou y ayant donné leur adhésion dans la suite. Aussi ces principes ne constituent-ils un droit positif qu’au regard des États qui ont expressément consenti à les reconnaître et se sont engagés à les observer en temps de guerre. L’Espagne et le Mexique y ont dans la suite partiellement adhéré, réservant seulement leur liberté en ce qui concerne la course. Il n’en faut pas moins admettre qu’au regard de ces deux puissances, les trois autres principes formulés dans la convention constituent des règles de droit positif.

Quant aux États-Unis d’Amérique, ils déclarèrent expressément qu’ils auraient donné leur signature si l’inviolabilité de la propriété privée en temps de guerre avait été admise d’une façon générale. Les règles formulées dans la déclaration n’ont donc pas à leur égard l’autorité du droit positif. Il en est de même au regard de tous les autres États qui n’ont pas encore fourni leur adhésion.

Une autre tentative d’établissement d’un droit positif commun est digne d’attention. C’est celle faite dans la conférence assemblée à Bruxelles, le 27 août 1874, pour déterminer et fixer les lois et usages de la guerre.

La conférence s’était réunie sur une proposition émanée de la Russie. Le projet qui lui était présenté fut discuté et modifié ; des difficultés imprévues empêchèrent son adoption et sa transformation en loi obligatoire pour tous les États représentés. Néanmoins, on trouve là un précédent très significatif, montrant bien que les gouvernements éprouvent le besoin d’établir, à la suite d’un accord général, des règles juridiques concrètes et positives, déterminant nettement leurs rapports dans l’état de guerre et tendant à diminuer et restreindre dans les limites du possible les dommages causés aux États neutres et aux nationaux des parties belligérantes qui ne prennent pas une part active aux opérations militaires.

Nous trouvons dans la déclaration émanée des représentants de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, de la Russie et de la Turquie, réunis en conférence à Londres en 1871, pour la solution des difficultés relatives à la navigation de la mer Noire et du Danube, un autre principe de droit positif reconnu et rendu obligatoire pour les États signataires. Le 17 janvier, les plénipotentiaires apposaient leur signature à l’acte proclamant comme principe essentiel du droit international l’obligation, pour toute partie signataire d’un traité, d’en exécuter les clauses et de tenir ses engagements, ainsi que l’impossibilité d’y apporter aucune modification sans le consentement formel de toutes les autres parties ou en dehors d’une entente amicale établie avec elles.

Des traités généraux ont encore été la source d’autres principes de droit positif touchant la navigation des fleuves, la répression de la traite des nègres et autres points d’intérêt commun. Ainsi furent déterminées les conditions rigoureusement requises pour que l’occupation des côtes et en général des territoires de l’Afrique puisse être considérée comme régulière et effective. Je fais allusion au traité de Berlin du 26 février 1885, signé par l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis d’Amérique, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la Russie, la Suède et la Turquie, réglementant le droit de commerce et le droit d’occupation dans les régions africaines.

Il ne manque pas d’exemples de traités généraux constituant un droit uniforme entre un certain nombre d’États sur des matières d’intérêt commercial ou industriel commun. Je citerai le traité concernant l’unification du système métrique (20 mai 1876); la convention télégraphique internationale (10-22 juillet 1875); la convention créant une Union postale universelle (1er juin 1878); celle qui, mise en vigueur le 1er septembre 1880, impose aux navigateurs l’observation de certaines règles destinées à éviter les abordages en mer; la convention pour la protection de la propriété industrielle, du 20 mars 1883; la convention de Genève, du 22 août 1864 (traitement des blessés en temps de guerre). On pourrait en ajouter bien d’autres.

44. Il est vrai que les articles de ces traités généraux ne constituent un droit positif commun que pour les États qui les ont signés. Mais dans presque tous on rencontre une clause réservant aux gouvernements qui n’y ont pas été partie le droit d’en réclamer pour eux l’application moyennant une déclaration d’adhésion. En fait, aujourd’hui, vu le nombre des États signataires ou ayant adhéré ex post facto, ils constituent la loi internationale de l’Europe presque entière, et d’un certain nombre de pays d’Amérique. Ce n’est donc pas sans raison qu’on les considérerait comme la source la plus abondante du droit positif international commun.

45. Ces traités généraux, nous en avons l’assurance, faciliteront grandement l’élaboration progressive du droit international positif. Les objets de ces conventions vont se multipliant chaque jour, au fur et à mesure que les points de contact et les rapports entre nationaux et étrangers deviennent plus fréquents, et que les intérêts internationaux en mainte matière prennent le pas sur les intérêts particuliers de chaque pays et les priment. Il deviendra, par suite, toujours plus facile de créer un droit général, sous forme de Code international, se bornant à la réglementation des intérêts communs que les traités en question ont en vue.

Cette codification spéciale et limitée sera plus facilement réalisable que l’unification rêvée par ceux qui vont déjà proposant un Code général appliquable à l’humanité tout entière, désir fort louable sans doute, mais irréalisable au temps présent. Une codification générale serait certes la forme la plus parfaite de la transformation du droit international théorique et rationnel en un système complet de droit positif. Mais arriver à l’accord nécessaire pour la réussite d’une pareille entreprise est beaucoup moins facile que l’élaboration d’un projet de Code par le jurisconsulte rêvant dans son cabinet.

En tout cas et sans hésitation, on peut affirmer qu’une communauté de droit parfaite entre tous les peuples est une chimère. Pour chaque nation, la civilisation et le progrès ont leurs voies tracées qu’il lui faut suivre, leur orbite qu’il lui faut parcourir. L’égalité dans le développement des convictions ét sentiments juridiques n’existera jamais entre civilisés et barbares.

46. La codification du droit international, même limitée à la réglementation des rapports entre États civilisés, est une entreprise intempestive. C’est aller trop loin que de vouloir faire adopter un Code général commun par les gouvernements de ces mêmes États. Si l’on veut faire quelque chose de sérieux et de pratique, il faut procéder graduellement, en préparant l’adoption d’un droit commun par la conclusion de traités généraux, et n’essayer que la codification des parties du droit sur lesquelles l’accord se trouve déjà établi par ces mêmes traités .

Les parties sur lesquelles il sera le plus facile d’établir une communauté de droits entre États civilisés à l’aide de traités internationaux sont, avant tout, celles qui ne touchent ni directement ni indirectement aux intérêts politiques de ces États, où il s’agit simplement de déterminer les droits et devoirs des souverainetés lorsque les seuls intérêts civils et commerciaux des particuliers sont en jeu. A bien des points de vue ces intérêts particuliers invoquent et réclament avec insistance l’établissement d’un droit général, applicable aux relations nombreuses que les points de contact de plus en plus fréquents et les rapports aujourd’hui multiples vont développant chaque jour entre les nations. Ainsi en est-il de l’adoption de solutions uniformes dans les conflits entre les législations civiles et criminelles des différents Etats, de la détermination de l’autorité extraterritoriale des jugements et de leur exécution, de l’établissement de règles de compétence internationale, de la réglementation des transports par chemin de fer, de la circulation des effets de commerce, de la condition à faire aux sociétés étrangères, et autres matières analogues concernant l’activité des personnes dans la Magna civilas et l’exercice des droits internationaux de l’homme.

Sans m’attarder davantage, je confesserai, en terminant, ma ferme conviction de voir sur bien des points d’intérêt commun s’établir un système régulier de droit international positif, grâce à un concours de consentements réalisé sous forme de traités généraux entre les États qui se trouvent au même niveau de culture et de civilisation. C’est ainsi que je considère le consensus gentium comme la source principale du droit international positif, et la conclusion de conventions générales comme la préparation nécessaire d’une codification graduelle et progressive .

47. J’ai déjà dit, mais je crois utile de le répéter encore, que les règles juridiques abstraites, converties en règles concrètes et positives sous la forme de conventions internationales, n’ont de caractère obligatoire qu’au regard des États signataires ou adhérents. Au regard des autres, elles n’ont pas en vérité l’autorité propre de la loi, du jus positum, et pourtant elles doivent être réputées l’expression la plus parfaite des principes applicables à tous les États. qui se trouvent en société de fait.

Le droit international codifié et sa sanction juridique

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