Читать книгу Le droit international codifié et sa sanction juridique - Pasquale Fiore - Страница 5
AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR
ОглавлениеC’est au moment où l’Europe se trouvait engagée dans des guerres qui semblaient ne devoir jamais prendre fin, aux débuts mêmes du dix-septième siècle, que Grotius jeta les fondements du droit international moderne. Hantée par la crainte d’une nouvelle conflagration européenne, fatiguée par le régime des grands armements et du militarisme à outrance, notre fin de siècle se reprend d’un amour et d’un culte nouveau pour le droit international, dont elle cherche à formuler les règles avec d’autant plus de précision qu’elle les voit plus souvent méconnues. Les traités et les exposés de principes se succèdent plus nombreux que jamais. Dans tous les pays, un vaste mouvement se dessine: Heffter, de Holtzendorff, Bluntschli, Geffcken en Allemagne; de Neumann en Autriche; de Martens, Kamarowski en Russie; sir Travers-Twyss et sir Robert Phillimore en Angleterre; Hautefeuille, Cauchy, Massé, Pradier-Fodéré en France; Rivier, de Laveleye en Belgique; Fiore, Mancini, Esperson, Pierantoni en Italie; Carlos Testa en Portugal, et bien d’autres encore dont la liste serait ici trop longue, tracent, formulent et développent les desiderata du droit rationnel appelé à régir les relations internationales. L’accord se fait entre les docteurs sur la plupart des points. La science prépare ainsi le terrain à la diplomatie, qui, volens nolens, est contrainte à suivre pede tardo. La vérité est assez nettement dégagée pour que des esprits hardis osent songer à une codification du droit international.
En 1863, le docteur Lieber rédige les Instructions pour le gouvernement des armées des États-Unis en campagne. Quelques années après, Bluntschli nous donne son Droit international codifié. En 1872, Dudley-Field, en Amérique, présente un Projet de Code international plus vaste que le travail similaire du professeur allemand, puisqu’il renferme, sous forme de règles concrètes, la solution des questions soulevées par les conflits de lois en matière de droit privé.
Mais les principes les mieux établis du droit des gens seront condamnés à demeurer lettre morte tant que leur inobservation sera dépourvue de sanction, ou tout au moins n’aura d’autre sanction que le recours arbitraire à l’emploi de la force par la partie qui se prétend lésée. Il ne suffit pas de promulguer la loi, de la faire accepter par ceux qu’elle doit régir; il faut encore, et surtout, en assurer le respect par l’application possible de mesures juridiques de coercition. C’est là, il faut bien le reconnaître, le point le plus délicat de la matière, étant admis le principe primordial de la complète indépendance et souveraineté des individualités que le droit international est appelé à gouverner.
La solution de ce problème ne semble pas avoir beaucoup préoccupé Bluntschli. Le rédacteur des Codes de l’État de New-York l’a moins négligé que le jurisconsulte allemand. Sous la rubrique: Dispositions pour le maintien de la paix, il essaye d’assurer le respect des règles qu’il propose à l’agrément des puissances, grâce à un certain nombre de mesures dont la principale est l’institution d’un tribunal suprême d’arbitrage (art. 535).
Cette idée de la constitution d’un tribunal international chargé de déclarer le droit a été, à une époque plus récente, développée avec plus d’ampleur par M. le comte Kamarowsky . Sans doute, le tribunal réclamé par M. Dudley-Field n’est pas identique avec celui rêvé par le professeur russe. Mais si l’on ne s’arrête pas aux détails de la constitution et du fonctionnement, on reconnaît que chez l’un et chez l’autre l’idée maîtresse est la même: établissement d’une haute juridiction internationale dominant tous les États et tirant son autorité du consentement donné par les justiciables à son institution. L’idée est simple. Est-elle aussi pratique? C’est ce dont il est permis de douter.
En tout cas, chez M. Dudley-Field, aussi bien que chez M. Kamarowsky, la solution du problème est encore incomplète. Ils nous offrent bien une haute juridiction chargée de déclarer le droit, mais incapable, hélas! d’assurer l’exécution de ses décisions. La sanction cherchée manque encore ici. Elle ne se trouve que dans l’emploi de la force par la partie lésée, autorisée à se faire justice elle-même — lorsqu’elle le pourra!
L’ouvrage que j’ai entrepris de mettre à la portée du public français présente ce caractère particulier et vraiment saisissant que le problème de la sanction à donner au droit international est abordé de front par l’auteur. Cette idée d’une sanction possible et régulière domine toute l’œuvre; on la retrouve partout; c’est elle incontestablement qui a inspiré M. Fiore: c’est elle aussi qui donne au présent travail toute son originalité.
M. Fiore part de ce principe incontestable que le droit applicable aux relations qu’entretiennent les nations entre elles est un. Sa source première n’est autre que ces convictions juridiques innées dans la conscience des peuples, convictions plus ou moins développées dans les différentes sociétés humaines à raison du degré de culture et de civilisation atteint par chacune d’elles, mais dont les éléments primordiaux se retrouvent partout identiques. De l’unité même du droit international se déduit son universalité ; et cette universalité va permettre la formation d’une Association ou Union juridique des États, venant remplacer un jour la Société de fait que forment entre eux tous ceux qui entretiennent des rapports réciproques.
«La Société juridique des nations civilisées! Une Union
« des États! Mais c’est l’utopie à la base même du sys-
« tème!» vont s’écrier en chœur tous ceux qui ne reconnaissent à une solution un caractère pratique qu’autant qu’elle ne tient aucun compte du développement non seulement possible et probable, mais incessant et actuel des idées de concorde et de civilisation. Pour qui a gardé la foi en un avenir meilleur de l’humanité, ce rêve d’une union juridique des peuples n’offre rien d’irréalisable. Oh! sans doute, cette union ne s’établira pas subitement par un coup de la baguette d’une fée bienfaisante et sur toutes les parties du droit à la fois. La concevoir ainsi serait se laisser bercer par une illusion décevante. Elle se réalisera peu à peu, sur des points limités d’abord, pour s’étendre ensuite à d’autres et finir par englober l’ensemble du droit. N’en déplaise aux pessimistes, c’est ainsi qu’elle se fait aujourd’hui sous leurs propres yeux. On ne peut en vérité en dénier la progressive réalisation sans se refuser à confesser l’évidence même. Toutes les grandes conventions internationales passées dans ces derniers temps et relatives à des objets si divers: assistance des blessés et malades en temps de guerre; service postal et télégraphique; protection des câbles sous-marins, de la propriété industrielle, de la propriété littéraire; occupation des territoires africains; neutralisation du canal de Suez; répression de la traite des noirs, etc..., ne sont-elles rien? Ne sont-elles pas plutôt les jalons d’une communauté juridique qui va s’étendant chaque jour à des objets nouveaux? N’est-il pas déjà question de l’adoption de règles uniformes en matière de droit maritime et de lettres de change? Ce droit commercial universel semble-t-il donc quelque chose de si monstrueux? A Dieu ne plaise qu’il en soit ainsi! En vérité, il n’en est rien; et ce dont s’étonneront ceux qui viendront après nous sera non pas qu’on ait pu aboutir à son adoption, mais bien plutôt qu’on ait mis si longtemps à y arriver.
Non, l’union juridique des peuples civilisés n’est pas impossible. A la supposer réalisée progressivement, on ne cède rien à l’utopie. On déduit logiquement l’avenir du présent, et l’on ouvre les yeux à la lumière.
Encore n’ai-je invoqué, à l’appui de la thèse que je soutiens, que les résultats patents et publics du travail de la diplomatie, sans rien dire de ceux auxquels aboutit nécessairement la transformation des conditions matérielles, économiques et morales du monde moderne. Au point de vue matériel, la facilité des communications; au point de vue économique, les rapports incessants établis entre les peuples par le grand commerce, les nécessités et les exigences du crédit international; au point de vue moral, la pénétration réciproque des idées grâce à l’action d’une presse toute-puissante, l’influence de plus en plus grande accordée dans la direction des affaires de l’État aux classes principalement intéressées au maintien de la paix, l’autorité toujours croissante acquise par l’opinion publique, l’exagération même de ce fléau nouveau de la paix armée et du militarisme à outrance, qui pèsent aujourd’hui si lourdement sur le monde, seront peut-être les facteurs les plus actifs de l’Union future.
En toute matière où cette Union juridique sera établie, il va être désormais facile en cas de contestation ou de conflit:
1° De faire déclarer le droit par une assemblée composée des mandataires des États-Unis (Conférence ou Congrès);
2° D’assurer la sanction de la décision prise.
Cette sanction (sérieuse désormais et pratique), on la trouvera dans la garantie collective des États associés qui, régis tous par les mêmes règles, éprouveront tous un véritable tort à la suite de la violation commise par l’un d’entre eux et seront tous, par là même, autorisés à la réprimer en restaurant l’autorité du droit.
Je n’ai pas à entrer ici dans plus de détails sur les moyens imaginés par M. Fiore pour assurer la mise en action de la garantie collective des puissances unies. Sans doute le recours à la force armée et la guerre ne disparaissent pas de la scène du monde! Mais quoi d’étonnant à cela? Qu’il s’agisse de droit international ou de droit privé, toute sanction aboutira toujours et nécessairement, en dernière analyse, à l’emploi de la force. Quand trop souvent, hélas! le criminel poursuivi engage la lutte avec la force publique chargée d’assurer la répression, c’est une guerre en miniature à laquelle nous assistons. Si l’on accepte les solutions proposées par le savant professeur de Naples, la guerre, lorsqu’il faudra encore y recourir, changera tout au moins de nature. Son unique objet sera désormais la restauration du droit violé, l’un des belligérants étant le violateur et les autres représentant la société intéressée à la répression. N’est-elle pas acceptable ainsi, nous présentant le tableau de la force mise au service du droit?
Dans ces considérations sur la sanction possible du droit international, pas un mot n’a été dit de l’arbitrage et des tribunaux arbitraux. Cela peut paraître d’autant plus singulier que, dans ces derniers temps, l’idée du recours à l’arbitrage comme moyen d’apaiser tous les conflits et d’assurer le respect du droit semble avoir obtenu grande faveur auprès des législateurs des pays civilisés. Il y a environ un an, M. Marcoartu faisait acclamer l’arbitrage par le Sénat espagnol; cette année même, au Parlement italien, l’arbitrage recueillait une adhésion unanime; à la même époque, les États des deux Amériques, réunis en congrès panaméricain à Washington, mettent toutes leurs espérances en la conservation de la paix par des arbitrages auxquels ils s’engagent à recourir en cas de confit; la conférence interparlementaire pour le maintien de la paix proposait (il y a quelques jours à peine) le recours à des arbitres comme panacée universelle en matière internationale.
J’avoue avoir une foi beaucoup moins robuste en l’avenir et en l’efficacité des arbitrages. Publicistes, jurisconsultes et législateurs éprouvent aujourd’hui un engouement exagéré pour l’arbitrage. On réclame l’insertion de la clause compromissoire dans tous les traités et en toute matière. Les gouvernements, il est vrai, font souvent la sourde oreille; peut-être n’ont-ils pas toujours tort. Car s’il est des questions qui peuvent être soumises à l’arbitrage, il en est d’autres que des arbitres ne seront jamais et ne pourront jamais être appelés à trancher. Qu’on recoure à eux lorsqu’un conflit met en jeu les intérêts particuliers et secondaires des États: rien de mieux. Les contestations de ce genre sont assez fréquentes pour que l’arbitrage ait encore devant lui une vaste carrière. Il s’agit, par exemple, d’une question de délimitation des frontières, de priorité d’occupation d’un territoire vacant, d’interprétation d’une clause d’un traité douanier, etc... Tout cela constitue matière à arbitrage. S’agit-il, au contraire, d’un conflit mettant en question les intérêts vitaux, essentiels, l’honneur même ou l’existence d’une nation, il n’est plus d’arbitrage possible; il n’en peut plus être question. Un État, pas plus qu’un homme, ne peut s’en remettre à autrui du soin de sauvegarder son honneur et sa vie. Ce sentiment est si naturel, que les clauses compromissoires les plus générales et les plus expresses demeureront lettre morte quand des conflits de ce genre se présenteront. Faut-il ajouter que des arbitres, simples particuliers, ne peuvent être considérés comme ayant autorité pour statuer sur des difficultés concernant les intérêts généraux des États? Pour les trancher, encore faut-il des représentants attitrés des autres membres de la société internationale. Un État n’aurait-il pas le droit d’être jugé par ses pairs?
En résumé, si l’arbitrage est un des rouages importants de la machine qui doit donner la paix au monde, il n’en est ni l’organe unique, ni même l’organe essentiel. Que l’on conçoive telle organisation que l’on voudra de la société des États, il n’en pourra jamais constituer la base primordiale.
J’ai cherché dans ces quelques lignes à bien mettre en lumière les idées maîtresses que l’on trouvera développées et appliquées dans le présent ouvrage. Elles s’inspirent d’une foi profonde en un avenir meilleur pour l’humanité. Nombreux sont encore (du moins je l’espère) ceux qui la partagent et demeurent persuadés que l’homme, qui a su créer de toutes pièces la famille et l’État, ne demeurera pas impuissant en face du problème de l’organisation de la société juridique des peuples civilisés.
A. CHRÉTIEN.
J’ai cru devoir, dans la traduction d’un ouvrage tel que celui-ci, sacrifier beaucoup plus à l’exactitude et à la précision qu’à l’élégance et à la forme.
Si le lecteur rencontre des phrases décelant encore leur origine italienne. qu’il veuille bien se consoler en songeant que je l’ai laissé ainsi en communication plus intime avec la pensée de l’auteur. L’ambition du traducteur fidèle ne doit-elle pas être de mettre le moins possible du sien dans son œuvre? Je l’ai cru. Si je me suis trompé, il se trouvera bien quelqu’un pour savoir me le dire.
A. C.