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Conditions actuelles de la société internationale. Objet de cet ouvrage.

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90. Conditions actuelles de la société internationale. — 91. Le besoin d’une communauté de droit se fait généralement sentir. — 92. Le droit international est de sa nature universel. Il présuppose cependant une certaine communauté d’idées et de sentiments juridiques. — 93. Comment il est devenu d’abord le droit des Etats européens. — 94. Divergences entre le droit théorique et le droit positif. — 95. Les conquêtes de la civilisation. — 96. Exposé du but de cet ouvrage et justification de la forme adoptée.

90. On ne peut certes dire que les conditions actuelles de la société des États, vivant en rapports réciproques, satisfassent aux conceptions théoriques qui devraient présider à son organisation. Nous assistons à la lutte incessante des vieux principes qui ont dirigé la vie des États jusqu’au commencement de notre siècle et qui consistent à subordonner la conduite des gouvernements aux intérêts politiques, temporaires et conditionnels des dynasties et des partis dominants, contre les idées nouvelles, tendant à développer de plus en plus et à fortifier les liens de solidarité entre peuples, par une organisation plus juridique de la société internationale. Il en résulte que non seulement on n’est pas arrivé à établir un droit commun et un ensemble de règles uniformes servant à déterminer les droits et devoirs des États dans leurs rapports réciproques, mais que chaque jour de nouveaux obstacles surgissent à l’établissement de cette communauté de droit, à la détermination et à la fixation de ces règles et à leur acceptation par les gouvernements comme principes devant régler invariablement la conduite des uns envers les autres. La caractéristique de l’époque présente, c’est la lutte entre la politique et la justice dans la vie pratique, L’opposition et le désaccord qui règnent entre les règles arbitraires imposées par la force, acceptées comme transaction et celles mises en lumière par la science, que les peuples éclairés veulent voir définitivement adoptées comme principes juridiques appelés à résoudre le grave et difficile problème de l’organisation de la société des États.

Le commerce international et l’existence de besoins réciproques ont, il est vrai, établi des relations entre tous les États indépendants des diverses parties du globe; mais il n’en est pas encore résulté une complète communauté de droit.

91. Et pourtant, il faut reconnaître qu’au fur et à mesure que la civilisation va se développant, s’étendant sur tout l’univers, mêlant les intérêts des peuples, créant sans cesse des besoins nouveaux, on voit se développer de plus en plus, dans la conscience humaine, le sentiment plus ou moins éclairé d’un droit commun appelé à régir les rapports que le commerce a fait naître.

On peut affirmer que de nos jours aucune partie du globe n’échappe complètement à l’empire du droit international. Non seulement tous les États de l’Europe et de l’Amérique, mais nombre de ceux de l’Océanie, de l’Asie, de l’Afrique reconnaissent son autorité. La Chine, le Japon, la Birmanie, l’Annam, la Perse, le Siam et autres pays asiatiques, en entrant en relation avec des États plus civilisés, ont dû, par traités ou conventions, adhérer aux principes essentiels du droit international. Même chose s’est produite en Afrique pour l’empire du Maroc, la république de Liberia, le sultanat de Zanzibar, l’imanat de Mascate, le royaume de Madagascar, la régence de Tunis et autres pays, qui d’une façon plus ou moins large ont fourni leur adhésion.

Malgré cela, on ne saurait soutenir que tous les peuples de l’univers soient aujourd’hui dans une condition de complète égalité juridique vis-à-vis du droit international. On peut seulement affirmer que cette égalité tend de plus en plus à se réaliser, et que l’empire du droit international suit dans son développement la même évolution que la civilisation. C’est ce qui explique que son autorité ait été reconnue tout d’abord par les États européens, chez lesquels s’est produite de bonne heure une certaine communauté de droit, non pas complète assurément, mais plus sérieuse cependant que celle atteinte par les autres États.

Il en est résulté que le droit international a été qualifié d’européen . Cette dénomination a bien une valeur historique.

92. Si l’on se reporte à la nature et au but de notre science, on verra qu’il est inadmissible qu’il y ait un droit international européen, un droit américain, africain, asiatique, etc. L’unité de l’espèce humaine conduit à reconnaître que l’empire des règles juridiques, applicables à l’activité humaine sous toutes ses formes dans la Magna civitas, doit être universel. Encore faut-il cependant que certaines conditions de fait soient réunies pour que l’union juridique entre les nations du globe devienne une réalité.

Cela exige avant tout une certaine communauté de rapports et d’intérêts. Cette communauté est déjà un produit de la civilisation. A mesure que celle-ci va se développant et gagnant du terrain dans les pays sauvages, elle fait naître des besoins et des intérêts qui unissent les nations civilisées aux peuplades barbares ou moins avancées dans la vie du progrès. Alors s’impose la reconnaissance de règles communes nécessaires au maintien de relations qui s’étendent et se multiplient chaque jour.

Dans la réalisation de cette union juridique entre les peuples, il n’est pas moins nécessaire que les uns et les autres atteignent à un certain niveau de culture. Car l’union suppose le développement de certaines idées juridiques fondamentales, l’existence de certaines institutions dont l’absence serait un obstacle insurmontable à l’organisation sociale et internationale des rapports divers naissant de l’état de société. Ce sera là encore le résultat de la civilisation qui, assurant jusqu’à un certain point l’uniformité dans le degré de culture, rend seule possible l’admission d’un système juridique universel.

95. Malheureusement cette fusion et cette concordance de tous les peuples répandus sur la surface du globe n’existent pas encore; les diverses communautés ne sont toutes, ni politiquement, ni juridiquement, organisées de façon à reconnaître l’autorité d’un droit international uniforme. La conséquence inévitable est que celui-ci ne s’établit que peu à peu entre les États se trouvant en fait dans des conditions à peu près identiques.

L’histoire nous montre les États européens remplissant les premiers ces conditions. Certes la civilisation n’est pas arrivée, même chez eux, à son plein épanouissement, elle n’atteint pas chez tous un niveau absolument identique; mais le niveau atteint n’en est pas moins de longtemps supérieur à celui des autres États, et ce fait explique suffisamment la possibilité de l’établissement chez eux d’une communauté juridique plus ou moins large, et d’un système de règles uniformes. Pareil système a été ensuite accepté par les États civilisés de l’Amérique; peu à peu il tend à prévaloir dans les autres régions de la terre au fur et à mesure de l’expansion des idées civilisatrices. On peut donc affirmer aujourd’hui que le droit international, tel qu’il est, est le droit commun de tous les États civilisés de la surface du globe, et que l’extension graduelle et successive de son empire suit l’évolution de la civilisation dans les pays tout d’abord barbares et sauvages.

Ces considérations seront fort utiles, non seulement pour expliquer le défaut d’harmonie que l’on peut constater entre le droit international objectif et celui aujourd’hui appliqué en pratique, mais aussi pour arriver à déterminer comment et dans quelle mesure les règles juridiques que nous formulerons dans la suite peuvent être adaptées aux relations existant entre États parvenus à un certain degré de culture, et d’autres moins civilisés, peut-être barbares.

Entre États de la première catégorie, l’union juridique rêvée n’est pas encore atteinte. La lutte subsistant entre les intérêts politiques et les idées de justice en est la cause. Entre les nations civilisées de l’Europe ou de l’Amérique et celles moins avancées de l’Asie et de l’Afrique, l’établissement dune communauté juridique, même restreinte, rencontre un nouvel obstacle non moins considérable dans l’inégalité du niveau de culture et de civilisation. Aussi l’union juridique entre les unes et les autres n’est-elle aujourd’ hui encore faite que sur les questions d’intérêt le plus immédiat et presque toujours consignée dans des conventions particulières et expresses.

94. Toutes ces causes concourent au maintien d’une grande dissemblance et d’une apparente contradiction entre le droit international théorique et le droit international positif. Il ne faut pas oublier cependant que ce défaut d’harmonie tend à disparaître graduellement. Sans attribuer trop d’importance à ce qui a été obtenu jusqu’alors, on ne doit pas méconnaître que bien des vérités juridiques, conquêtes récentes de la science moderne, constituent aujourd’hui autant d’axiomes appliqués aux rapports internationaux des États.

95. L’extension de l’empire du droit international, jadis jalousement réservé aux États chrétiens, l’admission non seulement de la Turquie, mais des grands empires d’Orient, de la Chine, du Japon, et autres États de l’Asie et de l’Afrique à entretenir des légations permanentes, à conclure des traités, à recevoir et établir des consuls, tout cela a contribué à donner au droit international son caractère propre et véritable de droit de la Magna civitas.

La liberté de navigation a été reconnue d’une façon plus large et mieux protégée. Les droits de transit, perçus autrefois par le souverain territorial sur ceux qui traversaient les fleuves ou les détroits soumis à son autorité, non seulement ont été abolis, mais ont été déclarés contraires au droit international.

La guerre faite à l’esclavage se continue avec succès, et nous sommes en bonne voie pour assister bientôt au triomphe assuré des principes modernes qui frappent l’esclavage comme contraire à la loi de nature et aux droits de l’humanité.

Certains intérêts communs sont déjà soumis à un droit uniforme. Ainsi en est-il des mesures à prendre pour prévenir les abordages en haute mer, pour faciliter les correspondances postales ou télégraphiques, pour assurer la protection de la propriété littéraire ou industrielle, pour établir l’unité de poids et de mesure, etc.

Le défaut principal de l’organisation juridique de la société internationale actuelle est l’impossibilité où l’on s’est jusqu’alors trouvé d’établir, pour vider les conflits entre États, des mesures moins désastreuses que la guerre. Encore avons-nous dû déjà remarquer qu’on éprouvait généralement le besoin de la rendre plus rare et plus difficile, qu’on cherchait à la civiliser et que bien des règles non seulement théoriques, mais acceptées en pratique par tous les États civilisés, lui étaient aujourd’hui applicables. Personne ne s’aviserait, à l’heure présente, de soutenir que tout moyen de nuire soit permis vis-à-vis de l’ennemi. L’emploi de certaines armes a été prohibé par la convention de 1868. L’usage des balles explosibles est interdit. Si le projet de réglementation internationale des usages de la guerre avait été accepté tel qu’il sortit des travaux et discussions de la conférence tenue à Bruxelles en août 1874, la guerre serait aujourd’hui disciplinée et soumise aux règles d’un droit général.

La convention de Genève de 1864, que l’on cherche aujourd’hui encore à améliorer; l’admission dans le traité de Paris de 1856 d’un nouveau droit maritime en temps de guerre; la mise en pratique par les États les plus civilisés de la règle en vertu de laquelle la propriété privée est considérée comme inviolable aussi bien sur mer que sur terre: tout cela tend à traduire en actes positifs cette grande idée, savoir, que les droits des particuliers demeurent sous la garantie du droit de la paix, alors même qu’il y a guerre déclarée entre les États dont ils ressortissent.

Sans entrer dans plus de détails, je me bornerai à faire observer que si l’organisation juridique de la société des États n’est pas aujourd’hui encore réalisée, on peut néanmoins affirmer que la tendance prédominante de notre siècle est vers cette réalisation. Toute idée nouvelle en ce sens fait son chemin, se développe, se répand pour finir par devenir une conviction générale et triompher. On voit chaque jour le commerce nous lier à des peuples habitant les régions les plus lointaines. La conséquence naturelle de l’établissement de ces relations doit être la création de besoins identiques et, par suite, d’une union juridique .

La science apportera à la réalisation de cet idéal un concours fort utile. Je n’irai pas cependant jusqu’à croire qu’elle puisse jamais arriver à formuler un code applicable à toute l’humanité. J’en ai dit la raison. Les considérations développées au présent chapitre ne font qu’affermir ma conviction.

96. En formulant ici l’ensemble des règles qui nous semblent, conformément au droit rationnel et historique, les mieux adaptées aux rapports unissant les États de la Magna civitas, je n’ai pas eu l’étrange prétention de présenter un projet de code à l’usage de tous les gouvernements et applicable à toute l’humanité. J’ai dit à plusieurs reprises, et je tiens à répéter, qu’une codification de tout le droit international me semblait aussi inopportune que trompeuse. J’admets seulement la formation graduelle d’un droit commun international entre peuples, remplissant en fait les conditions que j’ai indiquées comme indispensables pour l’établissement d’une communauté de droit. Je crois donc que l’on pourra arriver à l’acceptation d’un ensemble restreint de principes juridiques positifs, qui ira augmentant à mesure que la civilisation approchera le degré de perfection et d’uniformité qui seules rendront possible l’assujettissement des intérêts communs à des règles communes.

En donnant la forme d’un code à cet ouvrage, je n’ai eu d’autre but que de condenser davantage l’expression de mes convictions scientifiques et, en les formulant en propositions distinctes, distribuées dans un ordre systématique comme des des articles de loi, d’arriver à plus de clarté et à plus de précision.

Le droit international codifié et sa sanction juridique

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