Читать книгу Les aventures du capitaine La Palisse - Pierre Alexis Ponson du Terrail - Страница 10
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LE SALAIRE DE LA BALBINA
La Palisse, furieux de la mystification dont il venait d’être l’objet, enfonça brusquement son casque et mit le pied sur l’échelle.
–Foi de gentilhomme! comme dit notre beau seigneur le roi François, s’écria Gaston de Maulévrier, voilà une mauvaise campagne que vient de faire là mon parrain. Cela lui apprendra aussi à oublier madame Isaure!.
Et il ajouta tout bas avec un soupir:
–Je ne l’oublierai pas, moi… Vrai Dieu! fût-elle naine et bossue comme la princesse Balbina, je crois que je ne l’en aimerais que davantage!.
–Viens-tu, filleul? dit La Palisse en appelant avec impatience Gaston.
Mais il demeura comme pétrifié… A travers les portes ouvertes, il avait aperçu dans les salles du fond une ombre qui passait rapidement. Et, dans cette ombre, il avait cru reconnaître le Chevalier Noir.
Il s’élança à sa poursuite.
–Où allez-vous, mon parrain? cria Gaston en courant après lui. Auriez-vous vu une autre princesse?
La Palisse l’arrêta du geste:
–Attendez-moi ici, s’écria-t-il, et quoi que vous puissiez entendre, que personne ne se permette de venir me rejoindre.
–Mais, cependant…
–Qu’on m’obéisse!…
–Décidément, l’amour a tourné la tête à mon cher parrain, murmura Gaston stupéfait. Il sort d’une aventure ridicule, pour courir dans une autre peut-être plus déplaisante… C’est de la folie. Enfin, il est le maître; attendons-le.
Il s’assit philosophiquement sur un bahut, son épée nue sur les genoux et se mit à siffler un air de chasse.
La Palisse ne s’était pas trompé. C’était bien le Chevalier Noir dont il avait au passage entrevu la silhouette. Il le revit se dirigeant rapidement vers l’autre extrémité de la grande salle.
N’y avait-il pas quelque chose de fantastique dans l’apparition subite de ce personnage mystérieux qui, en chaque circonstance importante ou solennelle, surgissait tout à coup, puis disparaissait aussi vite qu’il était arrivé, sans qu’on pût le saisir au passage?
Mais La Palisse résolut de mettre, cette fois, en dépit de toutes les magies et de tous les sortilèges dont le palais était rempli, la main sur son ennemi. Celui-ci, être vivant ou fantôme, semblait ne pas l’avoir aperçu. Le capitaine s’en applaudit. Enfin il lui serait donc facile de le surprendre!
La Palisse n’avait peur des embûches semées sur son passage ou des hommes d’armes qui pourraient l’attaquer, que parce que ces pièges ou ces soldats retarderaient sa poursuite.
Mais rien ne vint l’entraver. Et d’ailleurs le chevalier mystérieux continuait à ne pas le voir. L’inconnu marchait droit devant lui, traversant d’un pas rapide salles et couloirs. Les portes semblaient s’ouvrir d’elles-mêmes à son approche et se refermaient derrière lui.
L’épée à la main, La Palisse le suivait, le perdant de vue à chaque porte fermée qu’il lui fallait rouvrir, le retrouvant la seconde d’après pour le reperdre encore. Et pourtant il gagnait du terrain, il voyait même le moment où il allait enfin le rejoindre.
Mais tout à coup, comme il étendait la main vers une porte, il ne trouva ni loquet, ni serrure… Rien qu’une plaque d’acier épaisse et lisse.
Préoccupé surtout de ne pas donner l’éveil à son ennemi, La Palisse essaya d’introduire la pointe de son épée entre la plaque et le bois de la porte, afin de faire sauter cet obstacle importun. Mais la caillante lame ne pénétra point. La porte sur laquelle était rivé l’acier était de fer martelé, d’une résistance à toute épreuve.
Le Chevalier Noir avait disparu encore une fois!… La Palisse était fou de colère. En une minute, il roula vingt projets dans sa tête. Un instant, il eut envie d’aller chercher ses hommes d’armes et de leur faire enfoncer la porte ou démolir le mur... Il se dit que ce serait les initier à ses secrets personnels.
Et pendant qu’on pratiquerait une ouverture, le Chevalier Noir aurait le temps de s’éloigner. Désappointé, le pauvre capitaine dut se résoudre à rallier sa troupe et à rejoindre le roi.
Pendant ce temps, que faisait le Chevalier Noir?
Entré par une porte secrète, il venait voir la Balbina. La jolie naine était dans un de ses dix boudoirs, en compagnie du scribe Buffalora, que, par dérision, La Palisse lui avait donné pour époux et qu’elle avait entraîné avec elle. C’était l’une des entrées de ce boudoir que défendait la porte de fer devant laquelle avait dû s’arrêter La Palisse. A la vue du Chevalier Noir, la princesse s’inclina et fit signe à Buffalora de sortir.
–Pourtant… voulut objecter le scribe.
Un éclair brilla dans les yeux noirs de la naine, puis se fondit soudain dans un sourire.
–Allez, mon ami, dit-elle, je vous en prie.
Il y avait une indicible séduction dans la façon dont furent prononcés ces mots. Buffalora, fasciné, obéit.
A peine le rideau épais qui servait de portière fut-il retombé sur le scribe, que la Balbina, se levant à demi, demanda au Chevalier Noir:
–Eh bien, est-on content de moi?
Le mystérieux personnage s’inclina sans répondre.
–J’ai su habilement intriguer La Palisse, continua La Balbina, je l’ai attiré dans ce palais; je l’ai rendu amoureux fou de moi. Malheureusement j’ai oublié un instant la difformité par laquelle le ciel m’a fait payer la beauté qu’il a bien voulu m’accorder… je ne me suis plus souvenue que je jouais un rôle, je me suis levée de mon divan. La Palisse m’a insultée, honnie, rendue la risée de ses soudards grossiers!
A ce souvenir, le rouge de la honte monta au front de la jeune femme. Elle cacha son visage dans ses mains.
–Ah! murmura-t-elle, elles me coûtent cher les dix mille livres que vous m’avez promises!.
–Tu en auras cinquante mille, dit le Chevalier Noir, si tu réussis à faire ce que je t’ai demandé. Je veux qu’il t’aime.
–M’aimer!… Est-ce possible, maintenant qu’il me connaît telle que je suis en réalité.
Et, d’un geste douloureux, elle indiqua de nouveau sa difformité.
–Qu’importe? reprit le chevalier, je t’ai dit que je le voulais… N’as-tu pas d’ailleurs le moyen de lui faire croire qu’il s’est trompé, qu’il a mal vu, que tous ses soldats ont mal vu? Toi seule, as l’intelligence, l’esprit, le charme nécessaires pour lui faire oublier celle qu’il aime et qui peut-être le rendrait heureux. Ta figure, ta fortune, tes maléfices, la connaissance même qu’il a de ta personne, tout peut nous servir, si tu sais t’y prendre. Je te le répète: Il faut qu’il t’aime!
–Et qu’il soit malheureux?
–Certes!
–Ah! je travaillais pour votre compte! Mais il m’a humiliée, avilie… Il m’a broyé lâme! Je travaillerai aussi pour mon compte maintenant, car je ne saurais demeurer sans vengeance. Je lui apprendrai à connaître le cœur humain, le cœur d’une femme surtout! Oui, je veux me venger, rendre, selon la loi du talion, œil pour œil, dent pour dent, humiliation pour humiliation… Ses soudards ont ri de moi, je veux qu’il devienne leur risée… Je veux que toute cette armée qui a appris à l’honorer, apprenne à le bafouer, à le mépriser… Je veux, surtout, je veux qu’il sache que c’est moi, moi qui suis cause de sa honte!.
–Déclamations inutiles!... murmura le Chevalier Noir. Pas de paroles. des faits!.
–Des faits?. vous en aurez. Oui, vous avez raison, le grossier moyen que j’emploie pour tromper les imbéciles, je l’emploierai contre lui. Aussi bien, sans s’en douter, La Palisse nous a fourni lui-même un auxiliaire puissant.
–Qui donc?
La Balbina désigna du doigt la pièce où s’était retiré Buffalora.
–Cet homme qui, lui, m’aimera comme un fou et à qui je ferai faire tout ce que je voudrai. Il est au service de La Palisse qui a confiance en lui et veut l’employer pour servir ses amours… Ah! ah! ricana amèrement la naine, elles sont entre mes mains, ses amours!
–Mais tu crois que ce scribe trahira son maître?.
–Il fera ce que je lui ordonnerai. Je le tiendrai par deux chaînes puissantes: l’amour et la cupidité.
–Bien, je le vois, tu sais comprendre. Agis, et ma reconnaissance ne te fera pas défaut.
–Mais La Palisse ne va point rester longtemps à Milan. Sforza n’attendra pas qu’on fasse sauter son château. La paix est prochaine.
Le Chevalier Noir reprit:
–Lors même que l’armée resterait ici, Jacques de Chabannes retournerait en France; il a la promesse formelle du roi.
–Il va aller à Paris?
–Oui, puisque c’est là qu’il espère retrouver madame Isaure.
–Alors, quand il ira, j’y serai!
–J’y compte, fit le Chevalier Noir qui dit adieu à la Balbina et se retira comme il était venu.
Dès qu’il fut parti, la Balbina manda par son nain le scribe Buffalora qui, au lieu de rire, se prit à trembler en se trouvant seul en présence de cette femme. C’est qu’elle avait repris sa place dans le fauteuil qui dissimulait sa difformité, et de nouveau, elle avait l’air d’une reine.
Buffalora se sentit cloué sous son regard.
–De quel pays es-tu? lui demanda-t-elle.
–Je suis Napolitain.
–Sais-tu haïr?
–Quelquefois.
–Sais-tu aimer?
–Les gens de mon pays le savent tous.
–Tu es au service de La Palisse?
–Depuis huit jours.
–Alors tu ne lui es point attaché?
–Mon cœur va moins vite que le battant d’une cloche.
–Et si tu aimais une femme, haïrais-tu qui elle haïrait?
–Peut-être.
–Si cette femme t’enrichissait, la servirais-tu?
–Certes, dit le scribe, qui subissait la même fascination que celle qu’avait subie tout à l’heure Jacques de Chabannes, seigneur de La Palisse.
La Balbina appela le nain. Le nain vint étaler le coffret aux diamants sous les yeux de Buffalora. Buffalora recula comme si l’éclat des pierreries lui eût brûlé les yeux.
–Tu es avide, murmura la Balbina souriante, tu es et tu seras à moi.
Il se fit alors un petit bruit souterrain et Buffalora entendit frapper sous ses pieds.
Et comme il tressaillait, la Balbina lui dit:
–Ce bruit est un signal; ce signal m’apprend que mes gens ont suivi un passage souterrain et mis mes richesses hors de danger. Les Français peuvent venir maintenant. Suis-moi!
Le nain s’approcha d’elle, et, comme elle quittait son siège, il lui jeta sur les épaules un large manteau rouge qu’elle drapa savamment et qui, tout en la faisant paraître plus grande, dissimula son infirmité.
–Ah! vous êtes belle, murmura Buffalora.
–Belle et vindicative! dit-elle.
–Vous le haïssez donc maintenant?
–Il me faut plus que sa vie, son honneur!
–Et si je vous sers…
Elle laissa tomber sur lui un regard qui fit affluer tout le sang de Buffalora à son cœur.
–Viens! répéta-t-elle.
–Mais. où allons-nous?
–Tu verras.
Elle fit un nouveau signe au nain. Le nain s’approcha du mur, chercha dans la boiserie un ressort qui fit jouer un panneau, et le poète Buffalora, dont la main tremblait dans les petites mains de la Balbina, aperçut les premières marches d’un escalier souterrain.
–A nous deux! messire de La Palisse, dit alors la Balbina.
Et elle entraîna le scribe dans l’escalier mystérieux. Le nain les suivit, le coffret sous le bras.