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II
LE CONGÉ DE LA PALISSE

Table des matières

Le Chevalier Noir, sans dire un mot, sans tourner la tête, sans même regarder Chabannes épouvanté, se dirigea froidement et comme sûr de lui, vers le roi qui, bien que ne le connaissant point et étant en droit de s’attendre à une tentative de régicide, ne tremblait pas.

Arrivé à trois pas de François, il mit genou en terre, puis se releva en ôtant son gantelet droit. On se demandait si ce personnage étrange n’allait point avoir l’audace de le jeter aux pieds du roi. Il se contenta d’étendre la main, une main fine et aristocratique, qui portait à l’annulaire une bague, dont le châton retourné brillait du côté de la paume.

A la vue de la bague, le roi, tout ému, saisit affectueusement cette main.

La Palisse n’en revenait pas,…

–Messieurs, dit François, un moment, je vous prie.

Et, ouvrant la tapisserie qui coupait en deux sa tente, il introduisit avec une déférence extrême le chevalier dans sa chambre de repos.

La Palisse eut une pensée consolante:

–Au moins, se dit-il, je saurai qui c’est. Le roi ne refusera pas de me l’apprendre.

Puis il se dit:

–Mais s’il refusait?… Il se joue quelquefois de moi, le jeune roi.

Les guerriers de ce temps-là ne se croyaient pas astreints à une grande délicatesse. La Palisse s’approcha de la tapisserie et, sans en avoir l’air, prêta l’oreille… A travers l’épaisse laine, la voix sombre du Chevalier Noir ne s’entendait point. Mais le roi était si content que, d’instant en instant, la sienne éclatait de joie et le vieux capitaine, malgré la tapisserie, parvenait parfois à saisir une phrase tout entière.

–Quoi! c’est vous! s’était d’abord écrié François.

–Ainsi il le connaît intimement, pensait La Palisse. Et moi qui voudrais tant.

Pendant quelques instants, la tapisserie ne trahit aucun lambeau de la conversation royale. Puis, tout à coup, Chabannes entendit cette exclamation:

–Oh! le misérable!

Cela devenait fort intéressant. Par malheur, Gaston de Maulévrier était précisément en train de raconter à la suite de quels incidents il était parvenu à procurer à son parrain le plus précieux des scribes, et le bruit de sa voix juvénile couvrait celle du roi:

–Vous savez bien, disait Gaston, que pendant la bataille, il s’est répandu parmi nos soldats le bruit que le cardinal de Sion était accompagné de bagages énormes renfermant des trésors considérables: «Par le roi de France, mon maître, et par le sire de La Palisse, mon parrain, me suis-je écrié, j’aurai les bagages du cardinal ou je ne serai qu’un manant.» Et je me suis tenu parole; je n’ai pas Lardé à rejoindre l’escorte qui emportait les bagages vers les montagnes du Tyrol, et après un combat assez dur, ma foi, je suis demeuré possesseur de tous les effets de campement du cardinal, que Dieu bénisse! Naturellement nous avons fait de nombreux prisonniers. Parmi eux, se trouvait le seigneur Pancracio Buffalora, italien de naissance, comme l’indique son doux nom. Il se démenait même si vertement et se mettait si fort en colère qu’on le prit pour un soldat, alors qu’il n’était qu’un scribe.

–Je me demande ce que cela peut leur faire, pensait La Palisse, qui eût bien préféré entendre ce que disait le roi.

Gaston reprit:

–Il est bon que vous sachiez que ledit Buffalora était secrétaire de Sforza.

–Mais, mon cher seigneur, lui dis-je en rentrant au camp français, si vous étiez secrétaire de Sforza, vous écriviez sa correspondance?.

–Je m’en flatte.

–Alors vous faisiez la guerre à la France?

–Oh! mais entendons-nous, dit-il, je parle de la correspondance amoureuse du duc.

–Le duc était donc amoureux?

–Quand il ne l’était plus, c’est qu’il allait l’être.

Ici maître Buffalora se redressa en homme important qu’il était, et ajouta avec un petit clignement d’yeux:

–Le duc pourrait même affirmer que, sans la tournure galante et poétique des billets que j’écrivais pour lui, il eût été souvent traité avec plus de rigueur.

–Par ma foi! m’écriai-je, vous êtes en ce cas un homme utile, et si mon parrain, M. de la Palisse, connaissait vos talents.

–Eh bien?

–Il vous prendrait à son service.

–Peuh! fit-il d’un air dédaigneux, quel homme est-ce, votre parrain?

–C’est un grand capitaine.

–D’accord. mais, après?

–Il a cinquante ans et n’en paraît guère que quarante.

–Est-il beau?

–Superbe!

–Et amoureux?...

–Toutes les fois qu’il en trouve l’occasion.

–Te tairas-tu, gamin? cria La Palisse.

Les officiers riaient. Gaston, encouragé, continua:

–Voyons, parrain, je sais une certaine dame.

–Bravo, bravo! firent les officiers.

–Qui vous ferait perdre la tête, sans compter l’appétit, si le roi n’y mettait bon ordre. Mais avec notre jeune monarque, il faut se promener de champ de bataille en champ de bataille, et le plus souvent faire sa nuitée en selle.

–Enfin, demanda notre scribe qui était curieux, cette dame est belle?

–Je ne l’ai jamais vue, mais mon parrain l’assure, hélas!

Ici, je vous avouerai que je ne pus m’empêcher de pousser un formidable soupir. Le drôle se permit de me demander ce qui me désolait.

–C’est que si la dame le veut, répondis-je, mon parrain l’épousera.

–Et il aura des enfants, et il vous déshéritera?

–Justement; vous êtes un homme d’esprit, cher seigneur.

–Bavard! grommelait La Palisse, qui, bien que tendant l’oreille, ne percevait plus un mot de la conversation du roi avec le Chevalier Noir.

Gaston de Maulévrier continuait:

–Le duc de Sforza vous avait donc tout à fait à son service? demandai-je à ce scribe d’amour.

–Oui, certes!

–Et que vous donnait-il pour vos peines?

–Cinquante écus d’or par an.

–Mon parrain vous en donnera cent.

–Il est donc bien riche! fit mons Buffalora en écarquillant les yeux.

–Il a des seigneuries et des châteaux à faire prendre le roi pour un pauvre homme; mais les plaisirs de mon cher parrain passeront toujours avant mes intérêts.

–Le gamin sait se faire tout pardonner, dit La Palisse en adressant à son filleul un sourire affectueux.

Pauvre La Palisse!

Gaston de Maulévrier ne disait pas, en effet, qu’il avait ajouté:

–Maître Buffalora, les cent écus d’or que mon parrain vous donnera ne sont rien auprès de ce que je vous donnerai moi-même, s’il vient à mourir célibataire.

A quoi le scribe avait répliqué:

–Ah! ah! c’est donc un pacte que vous me proposez?

–A peu près.

–Mais alors, au lieu d’attendrir cette belle dame, que faudra-t-il que je fasse?

–Je vous le dirai plus lard.

Autour du jeune roi François Ier, l’amour était si en faveur, que le tendre roman du capitaine La Palisse devait fatalement faire long feu. On entoura le vieux soldat. On le pressa de questions sur les charmes de madame Isaure et le plus ou moins de chances qu’il avait de la posséder. La Palisse en ce moment eût envoyé son filleul à tous les diables. Il venait d’être en effet intrigué au plus haut point. Il avait entendu le roi prononcer son nom avec fureur! Qu’est-ce que cela voulait dire? Quel pouvait être ce mystérieux Chevalier Noir qui mettait le roi en colère contre lui, La Palisse? Soudain la tapisserie se souleva. Gaston et les officiers se turent. Le roi s’effaça respectueusement devant le Chevalier Noir qui, la visière toujours baissée, silencieux et solennel, gagna le milieu de la tente.

–Faites avancer la monture du chevalier, dit le roi à un homme d’armes.

Puis François s’assit devant une petite table, signa un sauf-conduit, et le tendit à son mystérieux visiteur. Celui-ci mit de nouveau le genou en terre, salua le vainqueur de Marignan, puis se retira.

Naturellement La Palisse, de plus en plus intrigué, s’apprêtait à le suivre. Mais le chevalier, arrivé sur le seuil de la tente, se retourna brusquement, le saisit par le bras et lui murmura un seul mot à l’oreille.

–Cette fois, au moins, tu ne m’échapperas pas, vociféra La Palisse en bondissant.

Et déjà il avait tiré son épée, quand le roi, froidement, dit:

–Chabannes, remets cette arme au fourreau. Je le veux!

–Sire. balbutia La Palisse confus.

–Et viens ici, j’ai à te parler.

Le capitaine s’approcha du roi.

–Tu sais, reprit François, que tu auras un congé.

–Quoi! sire, vous voulez bien! et quand?

–Lorsque nous aurons pris Milan!

Les aventures du capitaine La Palisse

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