Читать книгу Les aventures du capitaine La Palisse - Pierre Alexis Ponson du Terrail - Страница 6
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LE MÉDAILLON
Renvoyé, comme il l’était, au lendemain de la prise de Milan, le congé de La Palisse eût semblé à bien d’autres, une de ces promesses illusoires qui ne sont jamais tenues. Mais la bravoure du capitaine était de force à contraindre, par l’admiration qu’elle inspirait, les prometteurs les plus endurcis, à tenir leur parole.
–Sire, quand prenons-nous Milan? demanda-t-il sans emphase.
–Mon brave Chabannes, attends au moins que le jour vienne. N’es-tu pas fatigué de Marignan?
–C’est précisément parce que je suis fatigué que je voudrais me reposer.
–A la façon d’Hercule, n’est-ce pas?
–Sire, madame Omphale avait du bon puisqu’elle était belle.
–Peste, quel madrigal! Je ne m’étonne pas si tu réussis auprès des femmes.
La Palisse se tut. Il pensait:
–Il faut que je me sois trompé tout à l’heure quand je croyais entendre le roi prononcer mon nom avec colère. Il est manifeste que le roi me parle avec une extrême bonté. Il ne parle même qu’à moi. Comment concilier cela avec sa déférence envers le Chevalier Noir?
Et le capitaine cherchait en vain la solution de ce problème qui l’absorbait complètement, quand il sentit un bras se glisser sous le sien.
–En vérité, dit à La Palisse Gaston, qui profitait du privilège de familiarité que lui donnait son titre de filleul et de favori du capitaine, c’est bien mal à vous, mon parrain, de ne nous laisser, en amour comme en guerre, que des glanes à recueillir.
–Ne voudrais-tu pas, jeune fou, que je te cédasse la place? dit La Palisse en souriant.
–Non, mais au moins laissez-nous en prendre une à vos côtés.
–C’est chose facile.
–Pas tant, mon parrain! J’en appelle au témoignage des nobles seigneurs qui nous entourent. Quand la mêlée commence, qui voit-on au premier rang, à côté du roi? La Palisse. Quand on parle d’une belle, quel nom murmure-ton? Celui de La Palisse. La Palisse sans cesse!
Le brave capitaine était tout rouge et aurait volontiers imposé silence à son filleul. Mais le babil du jeune homme amusait le roi François qui riait aux éclats à chaque boutade. Et, bien que plus vaillant soldat qu’habile courtisan, Chabannes ne pouvait se fâcher de ce qui faisait rire le roi.
–Et pourtant, continua Gaston avec l’effronterie de l’enfant gâté, pourtant il y a une tache dans votre soleil. Une citadelle vous résiste… Ah! nous ne sommes pas habitués à cela! car déjà nous avons pris mesdames Diane, Blanche, Valentine.
–Chut! interrompit vivement le vieux maréchal; je vous en prie, sire, imposez silence à ce bavard!...
–Mais, au contraire, qu’il parle! dit le roi en riant toujours; nous sommes curieux d’apprendre tes prouesses, mon glorieux capitaine. Aussi bien, nous avouerons que nous sommes jaloux dé toi, La Palisse, et très heureux de savoir qu’il se trouve au moins une cruelle pour résister enfin à l’éternel vainqueur. Parle, Gaston!.
–Puisque mon roi me le permet, s’écria avec un enthousiasme railleur, le jeune Maulévrier, je vais d’abord raconter comment le grand capitaine de La Palisse a perdu le boire et le manger, comment il a connu celle à qui il songe en ses longues nuits d’insomnie, celle dont au combat il prononce le nom. madame Isaure enfin!...
–Vraiment, demanda François Ier, riant toujours, vous êtes épris à un tel point, Chabannes?
La Palisse hocha affirmativement la tête.
–Foi de gentilhomme! s’écria le roi; mais c’est à me donner envie de la connaître, cette madame Isaure! Elle est donc bien belle!.
–N’en déplaise à mon roi, j’ai aimé dans ma vie beaucoup de femmes, comme le disait mon filleul Gaston; jamais je n’en ai rencontré une si belle!.
–Oh! oh! dit François, vous n’avez donc jamais vu ma maîtresse, capitaine, ou va-t-il nous falloir disputer en champ clos la palme de beauté?
–Contre tout autre que mon seigneur et maître, je le ferais sur l’heure, sire, s’écria le vieux chevalier avec vivacité, car sur mon honneur de gentilhomme, madame Isaure est la plus belle personne qui puisse exister!.
–Allons, dit le roi en riant de nouveau, Gaston a raison, messieurs. La Palisse est féru pour tout de bon!...
–Et faites-vous des vers à votre dame, capitaine, demanda avec un sérieux affecté le jeune page de Pardailhan? Une si magnifique personne doit inspirer des poésies à faire mourir de honte messire Clément Marot.
–Pour moi, ajouta M. de Gordes, un familier du roi, je suis d’avis que puisque la cruelle ne se laisse pas séduire par la bravoure du capitaine, il abandonne l’épée pour la mandoline et s’en aille chanter un virelai sous son balcon.
–Raillez, messieurs, raillez, murmura le soldat. Si vous aviez eu seulement l’occasion d’entrevoir madame Isaure!.
–Vraiment, dit pour la seconde fois le roi, cette madame Isaure est donc la reine des belles!
–Que Votre Majesté en juge par ses yeux! s’écria La Palisse en tirant de sa poitrine un médaillon retenu par une longue chaîne d’or et en le présentant au roi.
C’était une ravissante miniature que n’eussent certes pas refusé de signer Raphaël Sanzio ou Léonard de Vinci. Mais, par une singulière précaution, le nom du peintre avait été effacé.
A peine le jeune roi eût-il vu le précieux médaillon qu’il poussa un cri et pâlit.
Les courtisans se dirent que, lui aussi, avait déjà, à la cour et ailleurs, connu bien des femmes, mais que sans doute il n’avait jamais eu l’idée de pareille splendeur. Il considéra longuement les traits de la beauté si cruelle au capitaine, et machinalement fit un geste comme pour serrer le médaillon dans son sein. Puis, s’arrachant à regret à cette contemplation, il le tendit à La Palisse en disant d’une voix émue:
–Vous avez raison, capitaine, il n’y a pas sur terre femme comparable à celle-là!
La Palisse avançait la main pour reprendre le portrait, Gaston le prévint et s’en empara.
–N’est-ce pas, sire, dit-il, qu’il faut bien que je connaisse celle dont je raconte l’histoire?
Le roi ne répondit pas. Il était devenu sérieux tout à coup et semblait réfléchir.
–Ah! s’écria à son tour Maulévrier, écrasé par l’éclat de la jeune femme. Elle est réellement trop belle pour vous, parrain!.
–Il est franc, au moins! glissa tout bas M. de Pardailhan à l’oreille de M. de Gordes.
––Mais il pousse la raillerie un peu loin. Le capitaine finira par s’offenser.
Pourtant Gaston ne raillait pas. Son exclamation naïve n’était que l’explosion du sentiment qui avait surgi dans son cœur. Il ne pouvait admettre que cette femme si belle, cet ange, cet être qu’il n’eût osé souiller de ses plus purs désirs, pût jamais appartenir à La Palisse… Il regrettait ses plaisanteries de tout à l’heure, il eût voulu se mettre à genoux devant le portrait pour lui en demander pardon.
–Qu’elle est belle, mon Dieu, qu’elle est belle!.. disait-il dans une véritable extase.
Les autres seigneurs intrigués s’approchèrent de lui, voulant, à leur tour, voir cette merveille. M. de Gordes étendit la main vers le médaillon.
–Permettez, messires, dit La Palisse, le jugement de Sa Majesté me suffit, je n’en demande point d’autre!.
Et, prenant le médaillon, il le replaça sur son cœur.
–Capitaine, demanda le roi très-ému et semblant sortir d’un rêve, dites-moi, où donc avez-vous eu ce médaillon? Le tiendriez vous de madame Isaure elle-même?
–Sire, un soldat tel que moi n’est point fat. Mon filleul Gaston disait vrai tout à l’heure; madame Isaureme dédaigne encore. Ce précieux médaillon, je l’ai découvert chez un orfèvre qui avait charge de le garnir des pierreries que vous avez vues. Celui qui l’avait apporté n’a-t-il pu le reprendre? N’avait-il point d’argent pour le payer? Y a-t-il eu quelque autre cause que j’ignore? Bref le médaillon était resté là. Je l’ai vu chez le joaillier, j’ai reconnu celle dont il est l’image, je l’ai acheté. à prix d’or, on s’en doute. Je l’eusse payé de ma fortune!
–Foi de gentilhomme! s’écria le jeune roi, ce La Palisse a tous les bonheurs. Personne, pour moi, n’eût fait pareille trouvaille!. Capitaine, vous savez combien j’aime la peinture, vendez-moi votre médaillon?
–Sire… balbutia La Palisse, embarrassé.
–Vous refusez?…
–Votre majesté voit quel prix j’attache à ce portrait. Ce serait pour moi une douleur profonde que de m’en séparer.
–Je n’insiste pas, dit François, je ne veux pas peiner un vieux serviteur. Gardez l’image de votre belle, capitaine, quoique, foi de gentilhomme! il n’en soit pas besoin pour ne pas l’oublier!…
La conversation changea de thèse. Le roi sembla ne plus penser à la belle Isaure et au médaillon.
Mais, comme les gentilshommes causaient de choses et d’autres, il appela Gaston du geste.
–Tu es ambitieux, lui dit-il tout bas, veux-tu que je me charge de ton chemin à la cour?
–Sire!... s’écria Gaston enthousiasmé.
–Apporte-moi, dès que tu le pourras, le médaillon de ton parrain.
–C’est que…
–Je l’en indemniserai… mais surtout qu’il ignore ce que ce portrait est devenu.
–Pourtant, si…
–Ah! je le veux à tout prix. J’ai de puissantes raisons pour vouloir ce médaillon, qui, d’ailleurs, est à moi, bien à moi, je te le jure.
–Quoi! sire, vous connaîtriez?
–Chut. Fais ce que je te dis. J’y compte.
Gaston courba la tête et murmura:
–Vous aurez ce médaillon, sire...
Et si le roi eût alors regardé le jeune homme, il eût vu poindre une larme au coin de son œil d’enfant. On se donne vite et tout entier, à l’âge de Gaston et, pour avoir contemplé un seul instant un portrait, Gaston de Maulévrier était acquis désormais, corps et âme, à madame Isaure.
–Écoutez, s’écria le roi.
En effet, au milieu des bruits confus du camp, s’élevèrent tout à coup, fraîches et éclatantes, les notes sonores de la trompette.
–Messieurs, dit François en se tournant vers ses gentilhommes, j’ai ordonné qu’on sonnât le bouteselle au premier chant du coq. A cheval! il nous faut Milan!
Et François Ier frappa sur l’épaule de La Palisse en lui disant:
–A propos, tu sais que je te fais maréchal de France!
–Moi, sire?
–Certes, car tes amours ne doivent pas m’empêcher de faire mon devoir. Tu m’as aidé à vaincre à Marignan et tu vas avec moi prendre Milan... A cheval!
La Palisse soupira et murmura entre ses dents:
–Le bâton de maréchal! j’aimerais mieux un regard de madame Isaure.
Mais M. de Gordes, qui l’avait entendu, lui glissa à l’oreille:
–Patience! c’est l’affaire d’une bataille encore.
La Palisse ne répondit rien et s’en alla monter à cheval. Seulement, il dit à Buffalora:
–Seigneur magicien, à partir de ce jour je vous fais mon écuyer et vous ne me quitterez plus.