Читать книгу Les aventures du capitaine La Palisse - Pierre Alexis Ponson du Terrail - Страница 4
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SOUS LA TENTE DE FRANÇOIS Ier
En se levant le lendemain matin, Jacques de Chabannes de La Palisse énuméra tous les événements de ces deux terribles journées.
Il s’était battu comme un lion, il avait eu deux chevaux tués sous lui, le roi lui avait passé au cou, le premier soir de la bataille, le grand cordon de l’Ordre de Saint-Michel, créé par Louis XI, et lui avait dit, ce qui n’était pas un mince éloge dans sa bouche:
–Chabannes, tu es aussi brave que mon cher Bayard.
Tout cela n’empêchait pas le capitaine d’être sombre et mélancolique. Après la sanglante injure que lui avait infligée, pour la troisième fois, le Chevalier Noir, il avait poussé son cheval vers la direction qu’avait prise ce mystérieux ennemi.
–Que je le rejoigne, pensait-il, et il faudra bien que je lui arrache son secret, qu’il lève au moins sa visière.
Il ne l’avait même pas revu… Il n’avait plus pourtant qu’une pensée: Le retrouver! Aussi reprit-il le chemin des Alpes. Il s’orienta aisément sur ce blanc tapis où les pas des chevaux servaient de fil d’Ariane. Bientôt il arriva dans un carrefour, qu’il reconnut. C’était là qu’il avait rencontré le Chevalier Noir.
Mais le Chevalier n’avait pas eu comme lui l’idée d’y revenir. Seules, les traces des pas des chevaux racontaient la rencontre. La Palisse descendit de cheval, suivit ces traces, fouilla la neige, fouilla les rocs. Rien.
Les traces s’arrêtaient brusquement au milieu d’un sentier piétiné par de nombreux chevaux. Toute recherche devenait impossible.
Le capitaine s’agenouilla pieusement sur la neige, leva les yeux et les mains vers le ciel, puis, après s’être signé dévotement, en bon chevalier qu’il était:
–Omon Dieu, supplia t-il, faites que je le retrouve!.
Et il remonta à cheval et regagna le camp.
Au moment où nous sommes, si son corps était déjà remis de quarante heures de fatigue, son esprit cherchait vainement à établir un lieu entre la longue carrière qui semblait à tous avoir été si laborieusement remplie et ce mystérieux Chevalier!
Aussi notre héros ne faisait-il que soupirer pendant que son barbier étuviste lui taillait la barbe et versait dans sa chevelure, qui grisonnait sur les tempes, une eau destinée à enlever la poussière.
Le barbier était un vieux serviteur à la tête blanche, qui ne quittait jamais le sire de La Palisse, même dans la bataille, et qu’on appelait plaisamment l’ombre de Chabannes.
Il avait nom Pantaléon, était né au château de La Palisse et avait vu naître le sire de Chabannes.
–Ah ! mon pauvre Pantaléon, murmurait tristement le capitaine, au lieu de me donner le collier de Saint-Michel, le roi eût bien mieux fait de me dire: «La Palisse, mon ami, tu te fais vieux et tu as besoin de repos; va-t’en faire un tour en France et visiter ton château de La Palisse.»
–Mon doux seigneur, dit le barbier, ce n’est point pour voir votre château de La Palisse que vous désirez retourner en France.
–Tu crois? fit le grand capitaine en soupirant encore.
–Mais bien pour voir certaine dame… Ah! par votre noble épée! c’est vraiment malheureux de voir un vaillant homme de guerre comme vous perdre l’esprit pour une coquette.
Le barbier fut interrompu dans ses jérémiades par l’arrivée subite de Gaston de Maulévrier.
Gaston était le filleul de La Palisse. C’était un jeune homme d’une vingtaine d’années, aux belles manières, au visage presque féminin, qui portait des gants parfumés, mêlait des essences à sa chevelure et se battait vingt-quatre heures sans boire ni manger.
Il entra d’un petit air conquérant et dit:
–Mon parrain, êtes-vous toujours amoureux de madame Isaure?
–Toujours, murmura le vieux guerrier.
–Alors, mon parrain, je vous amène un scribe doublé de nécromancien qui se fait fort d’attendrir ce cœur de roche, grâce aux jolis billets qu’il écrira pour vous.
Et Gaston, s’effaçant, laissa entrer un petit homme, d’une jolie figure d’ailleurs, et qui n’avait guère plus de trente ans. Son œil était vif, sa bouche moqueuse. Malgré sa taille exiguë, le scribe ne manquait pas d’une certaine élégance que gâtait malheureusement une prétention exorbitante.
–Qu’est-ce que cela? fit La Palisse en regardant ce petit homme.
–C’est un prisonnier que j’ai fait hier, le scribe de Sforza, le seigneur Pancracio Buffalora en personne.
–Bonne capture! fit le capitaine amoureux en toisant le nouveau-venu des pieds à la tête.
–Monseigneur, dit Buffalora qui soutint bravement cet examen, le duc de Sforza n’est ni beau, ni jeune; mais, grâce à moi, il a eu les plus magnifiques combats d’amour qui se puissent voir.
–Et il a triomphé?
–Toujours, monseigneur.
Chabannes se dressa tout d’une pièce comme s’il eût entendu le clairon des batailles sonnant le bouteselle.
–Tu es donc sorcier? fit-il.
–Je suis poète; cela vaut mieux.
–Et tu me ferais aimer d’une dame qui a repoussé jusqu’à présent mes hommages?
–Oh! bien certainement.
–Mort de ma vie1s’écria La Palisse, si tu fais cela, mon drôle, je t’enrichirai.
Buffalora s’inclina.
–Et, continua le bouillant capitaine qui avait déjà oublié le Chevalier Noir et les Alpes, il faut que le roi me donne congé et me laisse retourner en France. Nous partirons dès demain.
–Le plus tôt sera le meilleur, dit Buffalora.
Le barbier Pantaléon levait les mains au ciel avec un comique désespoir.
–Çà! ordonna La Palisse, donnez-moi mon casque, mon épée et mon manteau.
–Où donc voulez-vous aller à cette heure, mon parrain? demanda Maulévrier. Il fait encore nuit.
–Voir le roi sous sa tente.
–Mais le roi dort.
–Tant pis! je l’éveillerai. Il m’a fait veiller assez souvent pour son service.
Et La Palisse sortit de sa tente, impétueux comme un torrent qui rompt ses digues et sort de son lit.
Maulévrier et Buffalora le suivaient à distance.
Maulévrier s’était trompé; le roi ne dormait pas; le roi avait nombreuse et joyeuse compagnie.
Il festoyait, le verre en main, avec ses plus jeunes officiers, qui ne se rappelaient pas plus que lui les périls et les fatigues des deux journées précédentes.
Le roi se mit à rire en voyant entrer messire Jacques de Chabannes qui ressemblait à un sanglier faisant sa trouée dans un hallier.
–Que veux-tu donc, mon vieux La Palisse? lui dit-il.
–Sire, je veux me reposer.
–Hein? fit le roi, tu n’es pourtant jamais las, toi?
–Je le suis aujourd’hui, et j’ai bonne envie d’aller voir si mon château de la Palisse est toujours au même lieu.
–Bien! fit le roi; je sais ce que c’est. On m’a déjà touché deux mots de la chose.
–Sire.
–Ta tête grise tourne au vent d’amour comme une girouette, n’est-ce pas?
–Sire. balbutia La Palisse un peu confus.
–Eh bien, mon vieux capitaine, reprit François Ier, ne te trouble pas tant, je comprends cela.
–Alors vous consentiriez?…
Le roi allait répondre affirmativement quand un officier, levant la portière de toile, entra, l’air effaré, dans la tente.
–Qu’y a-t-il? demanda François.
–Sire, c’est un chevalier étrange, qui ne porte ni nos armes, ni celles de l’ennemi, qui ne veut ni dire son nom ni lever la visière de son casque.
–Et qui insiste pour me parler?
–Oui, sire…
–Quand on a mis en fuite le cardinal de Sion, suivi de tous ses Suisses, on ne craint personne. Faites entrer.
L’officier leva de nouveau la portière, fit un signe. Le chevalier entra. Et La Palisse frémit de tous ses membres. C’était le Chevalier Noir!