Читать книгу Les aventures du capitaine La Palisse - Pierre Alexis Ponson du Terrail - Страница 11
ОглавлениеVIII
NOURRICE LA MITRAILLE
Pendant que Buffalora était en proie à la Balbina, François Ier, désespéré, courait après le ravisseur de son enfant aussi vite que le lui permettait sa pesante armure. Mais cet homme avait sauté sur le destrier du roi et, tenant l’enfant devant lui sur la selle, avait lancé sa monture au grand trot, à travers les rues encombrées de cadavres. François avait bien peu d’espoir de le rattraper. Une circonstance inattendue lui vint en aide. Au détour d’une rue, le bandit donna contre un gros d’hommes d’armes français. Ceux-ci, à son harnachement, reconnurent le cheval de leur maître et à tout hasard arrêtèrent celui qui le montait. Le chef même, craignant, d’après ce qu’il voyait, qu’il ne fût arrivé malheur au roi, se mit en devoir d’interroger le prisonnier, quand François apparut. Son arrivée produisit un instant d’émotion dont profita le prisonnier. Pendant que les hommes d’armes entouraient leur maître, le bandit s’élança, et, sautant par une fenêtre ouverte, entra dans une maison saccagée et percée de toutes parts.
–Pasques-Dieu! jura François, il m’échappe! Sus, sus, à l’homme. Mais prenez garde à l’enfant!
Et, donnant l’exemple lui-même, il pénétra à son tour dans la maison, suivi de ses soldats.
Mais on eut beau fouiller dans tous les sens et chercher autour des ruines, l’homme ne se trouva pas. Malheureusement, ce n’était là que le commencement des malheurs qui attendaient François Ier. Parmi les soldats, se répandit une désastreuse nouvelle. Les succès de La Palisse avaient fait des jaloux. Ses ordres n’avaient pas été exécutés ou l’avaient mal été. Il s’en était suivi un désarroi dont avaient profité les Milanais. Dans plusieurs quartiers les troupes italiennes, reprenant le dessus, avaient repoussé les Français mal conduits et mal soutenus. Des bataillons entiers avaient été taillés en pièces.
Frappé dans son cœur de père, François était atteint dans son orgueil de roi!… Il n’hésita point et sacrifia son amour à l’honneur de la France.
–Foi de gentilhomme! s’écria-t-il, s’il faut mourir ici, au moins je mourrai avec gloire et face à l’ennemi!... En avant!
Et, ralliant les bandes de soldats qui battaient en retraite, il marcha le premier, visière levée, vers le point le plus menacé.
Son passage produisit un effet magique. En voyant ainsi s’exposer comme un simple soldat le jeune roi de France, les plus découragés retrouvèrent leur audace et jurèrent comme lui de vaincre ou de mourir. L’élan donné se communiqua de proche en proche à toute l’armée. Les barricades, abandonnées tout à l’heure, furent reprises les unes après les autres avec une nouvelle furia.
–France! France! criait le jeune roi en reconquérant Milan.
Et il se disait tout bas, le cœur brisé:
–Il faut subir sa destinée. Je dois être roi avant d’être père!
Et il se lançait en avant, n’osant même pas avouer que le père espérait, pour retrouver son fils, profiter de la victoire du roi! Dieu sembla le favoriser. Nos soldats poursuivaient leur marche irrésistible.
Quant aux Milanais, comprenant à l’exaspération de leurs adversaires qu’ils n’avaient aucun quartier à espérer, ils se battaient avec un épouvantable acharnement, ne lâchant le terrain que jonché de leurs morts.
Pour en finir plus vite, le roi avait envoyé chercher du canon qu’on poussait à bras d’hommes à travers les ruelles et qu’on braquait sur les barricades et sur les maisons mises en état de défense. On venait de déblayer ainsi tout un dédale de ruelles enchevêtrées les unes dans les autres et, courant à travers des rangées de maisons mal bâties, les habitants fuyaient affolés.
–Arrêtez, dit François à ceux qui l’entouraient, il faut laisser se sauver ces malheureux.
–Ne vous en déplaise, sire, ce sont des malheureux qui seraient bien contents de vous tuer, riposta un vieux capitaine de reîtres à la moustache grise.
–Mais il y a là des enfants… il y a des femmes...
–Qui sont plus enragées que les hommes, et, tenez, que disais-je?… Par la Mort-Dieu!… voici une de ces vieilles truandes qui, n’ayant plus d’arme, déchire à coups d’ongles et de dents mon camarade de Brindes!...
Et le vieux capitaine, saisissant l’arquebuse d’un de ses hommes, frappa en plein cœur la vieille patriote.
–Horrible chose que cette guerre! murmura le roi avec un soupir. Ah! combien j’aimerais mieux la bataille rangée, homme à homme, lance contre lance. J’ai hâte d’en finir avec ces tueries!.
Le temps d’arrêt avait donné de l’espoir aux soldats milanais. Quelques-uns revinrent sur leurs pas et déchargèrent leurs arquebuses sur l’entourage royal.
–Ah! ils en veulent encore!… s’écria un bombardier en approchant la mèche de la lumière de sa pièce.
François soupira de nouveau. Il voyait dans le carrefour ouvert par le canon, les femmes, les enfants. Il ne pouvait se résoudre à voir massacrer ces pauvres êtres. Tout à coup, il poussa un cri terrible. Au milieu des gens sur lesquels allait pleuvoir la mitraille, courait un homme qui portait dans ses bras un petit enfant… Et cet homme, il ne pouvait s’y tromper, c’était le ravisseur qu’il avait poursuivi en vain!.
–Arrêtez, cria François Ier d’une voix tonnante, en s’élançant, au risque d’être broyé lui-même.
Il était trop tard. Un épouvantable fracas retentit et la mitraille, passant par-dessus sa tête, traversa l’espace avec mille sifflements de couleuvres.
Une clameur terrible, composée de mille cris de terreur, de douleur et de désespoir, répondit à la détonation. Quand la fumée fut dissipée, François, qui avait continué sa route, n’avait plus devant lui qu’un monceau de cadavres horriblement mutilés, du milieu desquels s’exhalaient de sourdes plaintes. Au milieu des morts et des mourants, pour la plupart méconnaissables, François, l’âme désespérée, chercha le ravisseur et l’enfant.
Il les découvrit bientôt, morts tous deux. L’homme avait la tête emportée; les balles de mitraille avaient labouré, déchiré tout le corps du pauvre petit.
Et c’était le canon français qui avait accompli cette horrible besogne!
S’il n’eût été le roi de France, s’il n’eût eu si grande charge d’âmes, à ce moment, François aurait voulu mourir. Il ramassa le petit cadavre ensanglanté et le pressa contre ses lèvres.
–Au moins, dit-il, si je n’ai pu voir mon fils vivant et l’élever selon le rang qu’il méritait, je veux qu’il ait des funérailles dignes de lui!
Il appela un de ses hommes d’armes, et lui indiqua en termes précis la petite maison de la via del Giardino, où était restée la nourrice.
–Portez ce cadavre à la femme que vous y trouverez, lui dit-il, et surtout préparez-la doucement au coup affreux qu’elle va recevoir. Dites-lui que je la reverrai. J’ai besoin d’elle.
Le soldat partit.
–Et maintenant, s’écria le roi, en avant! et menons vivement la fin de cette expédition. J’ai hâte de quitter l’Italie, ce pays maudit, et de rentrer en France!