Читать книгу Les aventures du capitaine La Palisse - Pierre Alexis Ponson du Terrail - Страница 9
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LE NOUVEL AMOUR DE LA PALISSE
Laissons le roi François Ier courir après l’enfant du duc d’Angoulême, et entrons avec La Palisse dans la chambre de l’enchanteresse à qui il allait demander l’amour après avoir manqué de lui devoir la mort. La Balbina était assise dans un fauteuil placé sur une estrade. La pièce où elle se trouvait était si brillamment illuminée qu’on eût dit une chapelle ardente, et les torrents de clarté qui environnaient la maîtresse de ce palais, ne contribuaient pas médiocrement à exercer une sorte de charme sur l’esprit naïf du grand capitaine.
La Balbina était plutôt couchée à demi qu’assise dans ce fauteuil qui ressemblait à un trône. Il était impossible de dire si elle était grande ou petite, mais sa tête était d’une incomparable beauté. Son large front blanc, encadré dans d’admirables cheveux blonds, révélait l’intelligence; ses grands yeux, d’un bleu sombre, avaient des effluves irrésistibles; et quand elle vit entrer La Palisse, elle lui montra, dans un sourire, des dents qui ressemblaient aux perles de la mer des Indes.
Son bras nu, d’un galbe admirable, pendait le long du fauteuil, et ses petites mains jouaient nonchalamment avec le manche d’un éventail.
La Palisse s’arrêta, confus et fasciné tout à la fois, et se demanda naïvement si c’était bien là cette même femme qui, tout à l’heure, avait eu l’audace de tirer sur lui un coup de pistolet.
–Eh bien, lui dit-elle d’une voix harmonieuse et calme, êtes-vous satisfait, maintenant que vous m’avez vue?
–Madame…
–Vous n’avez rencontré ni soldats, ni serviteurs, reprit-elle, et vous n’avez reçu aucun coup d’arquebuse par derrière, comme cela eût pu être si je l’avais ordonné, poursuivit-elle. Cependant, en agissant ainsi, j’eusse été dans mon droit.
–Ah! madame, murmura La Palisse, à qui cette merveilleuse beauté tournait la tête et qui s’enivrait du son de cette voix, que m’importerait la mort, en vérité, si?.
–Et qui vous dit, fit-elle, que vous sortirez vivant de cette maison?
Elle souriait, et son regard avait de magnifiques rayonnements qui pénétraient La Palisse par tous les pores.
–Car, poursuivit-elle, vous avez manqué de galanterie avec moi; je vous ai supplié de respecter ma demeure. et vous avez méprisé ma prière.
–J’ai laissé mes soldats dehors, et nul n’entrera, je vous le jure!
–Mais vous êtes venu, vous!
–Pardonnez-moi, balbutia La Palisse. N’est-il pas naturel que je désire savoir?… Et vous êtes si belle!...
Le sensible maréchal osa mettre un genou en terre et prendre la main de la Balbina qu’il porta respectueusement à ses lèvres. Elle ne retira point cette main, mais elle continua:
–Écoutez-moi, seigneur, et pesez bien mes paroles.
La Palisse demeura à genoux.
–Parlez, madame, dit-il.
–Vous me trouvez jolie?
–Oh! comme les anges!
–Si je vous prouvais que je suis d’une race illustre.
––Peut-il en être autrement? fit l’amoureux capitaine. Cette main patricienne et ce regard de reine ne sont-ils pas là pour l’attester?
–Si enfin j’ajoutais que je possède des trésors.
–Le luxe de ce palais en est la preuve, dit La Palisse.
–Oh! vous n’avez rien vu encore…
Et la Balbina prit à sa ceinture un petit sifflet d’argent qu’elle porta à ses lèvres et dont elle tira un son aigu et bizarre.
Alors le nain reparut. Le maréchal le vit revenir comme il était parti, c’est-à-dire surgir du sol comme une apparition.
–Madame, dit-il, vous êtes belle, vous êtes princesse, vous êtes riche et de plus vous êtes magicienne.
–C’est peu, dit-elle en souriant.
–Chez vous, les nains sortent de terre.
–Oh! ceci, fit-elle, est un enfantillage et ne saurait être imaginé pour un grand esprit comme le vôtre, monseigneur.
–Et à qui donc réservez-vous ces imaginations et sortilèges?
–Aux cerveaux faibles, épris du merveilleux et qui ne croiraient pas à ma science, si je ne l’entourais de quelque prestige.
–Vraiment1dit La Palisse, vous vous occupez de science?
–Oui.
–Parviendriez-vous, par hasasd, comme sire Nicolas Flamel, à faire de l’or?
–Non, répondit la Balbina.
–Auriez-vous trouvé le secret du diamant?
–Je ne l’ai point cherché.
–Fabriqueriez-vous des perles?
–Pas davantage. Je fais mieux que cela, je prolonge la vie humaine.
Le maréchal partit d’un grand éclat de rire.
–Mort de ma vie! dit-il, je voudrais bien vivre cent ans, moi. Est-ce possible?
–Peut-être…
–Et que faut-il faire pour cela?
–Ah! dit la Balbina, voilà ce dont nous allons causer. Écoutez, je suis la fille du prince Balbinelli qui, toute sa vie, a cherché le secret que j’ai fini par trouver, moi.
La Palisse s’écria:
–Mais, madame, vous êtes si jeune que vous n’avez pu encore juger par expérience si votre secret est efficace.
–Quel âge me donnez-vous?
–Vingt ans.
–J’en ai quarante, répondit la Balbina sans broncher.
Le maréchal jeta un cri, puis il se mit à rire.
–Ah! dit-il, c’est mal à vous, madame, de vous gausser d’un pauvre soldat comme moi.
–Mais je dis vrai, fit-elle.
–C’est impossible!
–Non, car j’ai trouvé mieux que le secret de vivre, j’ai trouvé celui de rajeunir.
–Comment! exclama le grand capitaine, vous pourriez me rajeunir?
–Oui.
–Me rendre mes cheveux noirs, ma fine taille et mon œil de vingt ans?
–Je vous rendrai tout cela, si vous acceptez mes conditions.
–Je ferai tout ce que vous voudrez, dit le maréchal, crédule comme tous les braves. Que m’ordonnez-vous?
–Écoutez… Je suis princesse.
–Vous l’avez dit, répondit La Palisse en s’inclinant.
–Riche…
Et elle fit un signe au nain, qui alla prendre dans un coin, sur un coussin de velours, un merveilleux coffret d’ébène, qu’il plaça tout ouvert devant le maréchal stupéfait. Ce coffret renfermait des diamants et des pierreries autant et plus que l’écrin de la couronne de France.
–Voici ma dot, continua la Balbina.
–Votre... dot?
–Oui, car je vous aime, mon doux seigneur, reprit-elle de sa voix la plus enchanteresse, et je veux vous épouser.
–Vous m’aimez. vous!... balbutia le maréchal, qui se connaissait bien mieux en faits de guerre qu’en diplomatie d’amour.
–Je vous aime, répéta-t-elle.
–C’est que je suis vieux…
–Je vous rajeunirai et je vous ferai même une jeunesse éternelle.
–Mais comment se fait-il que vous m’aimiez?
–Ah! dit la Balbina embarrassée, il y a longtemps que le renom de votre valeur est venu jusqu’à moi.
Parler de sa valeur au sire de La Palisse, c’était parler de sa belle écriture au seigneur Buflalora. Le brave capitaine acheva de perdre la tête. Il se mit à deux genoux devant la Balbina qui n’avait pas quitté son fauteuil et qui continuait à être à demi couchée sur une pile de coussins. Il oublia ses soldats qui attendaient, en bas dans la rue, un signal de leur chef pour monter à l’assaut; il oublia le roi qui lui commandait de prendre des villes et non des cœurs; il oublia madame Isaure, cette beauté inhumaine dont les rigueurs l’avaient rendu si marri; et, nouvel Hercule aux pieds d’une nouvelle Omphale, il tendit les mains pour recevoir une quenouille. Ainsi qu’il l’avait dit au roi, Omphale avait tant de charmes!
La Balbina paraissait s’amuser de cette naïveté et de cette jeunesse de cœur du vieux soldat. Il avait ôté son casque, il avait jeté son épée loin de lui, et, toujours à genoux, il la regardait avec extase.
–Ainsi vous m’aimez? disait-il.
–Comme on aime un héros.
–Et vous consentiriez à me suivre en France?
–Oh! non, dit-elle, il fait froid en votre pays; puis votre château de La Palisse est, dit-on, bien délabré; le vent y pleure sous les portes. Nous nous en irons à Naples, où j’ai un palais qui baigne ses assises de marbre blanc dans le flot bleu, en face de Sorrente. Vous avez assez bataillé, mon Achille. Vous avez droit maintenant à goûter le repos.
–Le repos et votre amour, murmura le capitaine qui, décidément, oubliait tout à fait madame Isaure.
Puis il ajouta avec l’embarras d’un enfant.
–Mais vous êtes princesse, vous?
–Sans doute.
–Et je ne suis que baron, moi.
–N’êtes-vous pas maréchal de France? Et puis, fit-elle avec son divin sourire, est-ce que la reine Didon n’aima pas Énée?
–Oui, mais il était prince.
–Eh bien, n’êtes-vous pas un héros? Et les héros ne sont-ils pas plus que des princes?
La Palisse couvrait de baisers les mains de la Balbina et commençait à délirer, n’insistant plus pour obtenir des explications qu’on se refusait à lui donner. L’éclat des lampes avait pâli; une sorte de demi-jour était maintenant répandu dans cette salle où le nain, blotti dans un coin, brûlait des parfums.
Le grand capitaine s’oubliait dans cette atmosphère pénétrante et voluptueuse, lorsqu’un bruit se fit derrière lui. Puis retentit un éclat de rire. Il se retourna et il vit signor Pancracia Buffalora, son scribe d’amour.
–Peste! dit le petit homme, je vois que votre Seigneurie n’aura pas besoin de moi pour réussir auprès des femmes. Elle est en beau chemin.
La Palisse s’était levé un peu confus et regardait son secrétaire.
–Pourquoi m’as-tu suivi? lui dit-il enfin.
–Mais, seigneur, répondit Buffalora, nous commencions à nous inquiéter et nous avions peur, le capitaine Gaston et moi, qu’il ne vous fût arrivé malheur.
–Eh bien?
–Alors nous avons suivi le chemin que vous avez pris.
–Maulévrier est avec toi?
–Et dix lansquenets nous accompagnent.
–Où sont-ils?
–Nous voilà! dit une voix.
C’était celle du jeune capitaine, qui parut au seuil de cette porte que le scribe venait d’ouvrir. La Balbina jeta un cri en voyant sa maison envahie par les soldats, et quitta son fauteuil précipitamment. Mais alors Buffalora poussa un nouvel éclat de rire, et La Palisse un cri de désespoir et de honte.
La Balbina, cette femme au visage d’ange, était un être difforme, une naine horriblement bossue!
–Santa Madona! s’écria Buffalora, voilà une singulière épouse pour un maréchal de France!
Maulévrier éclata de rire.
–Comment! mon parrain, s’écria-t-il, c’est là la femme que vous voulez épouser? Mais vos enfants seront bossus!
Ces derniers mots achevèrent d’irriter le capitaine qui, tout honteux, regardait la naine et la trouvait épouvantable, à présent, autant qu’il l’avait trouvée belle quelques minutes auparavant.
–Oui, tu as raison, dit-il, jamais un Chabannes ne saurait avoir un héritier bossu!
Et il repoussa la Balbina suppliante.
Puis, avec un éclat de rire:
–Mais toi, Buffalora, si tu n’es pas bossu, mon ami, il ne s’en faut pas de grand chose, et tu ferais avec elle de la belle lignée.
–Ah! c’en est trop, s’écria la Balbina, dont l’œil étincelait comme une lame de stylet.
Maulévrier riait, les lansquenets qui l’avaient suivi riaient pareillement, et La Palisse se trouva si ridicule d’avoir un moment perdu la tête pour cet être difforme, qu’il en devint brutal.
–Mais non, Buffalora, dit-il, je soutiens mon opinion; tu auras une femme digne de toi.
–Monseigneur!…
–Et, continua Chabannes, en vertu du droit de conquête, je te la donne!
–Vous me la donnez!
–Elle, ses richesses et son palais!…
–Ah! disait la Balbina dont la voix, naguère harmonieuse, avait maintenant le sifflement de la vipère, ah! prenez garde! monseigneur… vous m’aviez promis de respecter ma maison.
–Comment donc! exclama le capitaine qui fit appel à la forfanterie du soudard pour mieux cacher sa honte, je t’avais également promis de t’épouser.
La Balbina eut un dernier et terrible éclair dans les yeux:
–Maréchal de Chabannes La Palisse, dit-elle, vous qui passez pour un héros, vous êtes le plus vil des hommes, vous venez d’insulter une femme.
–Mais prends-la donc, Buffalora! puisque je te la donne! s’écria La Palisse exaspéré.
Et repoussant ceux qui l’entouraient:
–Arrière tous! dit-il encore, et allons-nous-en! Il faut respecter la nuit de noces de mon scribe Buffalora!
Maulévrier et La Palisse s’apprêtèrent alors à sortir du palais, comme ils étaient venus, en emmenant avec eux les lansquenets. Le maréchal riait toujours pour cacher sa confusion. Quand les autres soldats, qui attendaient dans la rue, le virent paraître à la fenêtre, tous poussèrent des cris de joie.
–Mes amis, dit le maréchal, allons-nous-en, et respectons ce palais! c’est désormais la demeure de mon scribe, il signor Buffalora.
–Après tout, murmura Maulévrier, il n’est pas si à plaindre, ce scribe. La Balbina est bossue, c’est vrai, mais quelle jolie tête!