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PROLOGUE
LA DERNIÈRE HEURE A MARIGNAN

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Table des matières

Monsieur de La Palisse est mort,

Mort de maladie.

Un quart d’heure avant sa mort,

Il était encore en vie.

Certes oui! Il était en vie, autant que peut l’être un brave capitaine prêt, comme toujours, à verser son sang pour l’honneur de son pays et à mourir en tuant.

Pauvre chère France, tu as bien été éternellement la même!

A peine as-tu célébré la valeur et les mérites d’un homme, que tu cherches le moyen d’amoindrir ses titres à ta reconnaissance.

Jacques de Chabannes de La Palisse a été le digne successeur de Gaston de Foix dont ona dit: «Il eût mieux valu pour Louis XII et pour la France perdre la bataille que ce jeune et vaillant général.» Il a été l’émule de Bayard, le modèle des Turenne et des Condé. On l’a mis en couplets. Et en quels couplets! On l’a bafoué et ridiculisé. On a fait de lui le Calino du moyen âge. L’imagerie d’Épinal l’a donné en pâture aux enfants. Ce vaillant guerrier est devenu un être grotesque dont les ignorants s’amusent.

Et la chanson qui se moque de lui est le pendant de celle par laquelle nous nous sommes vengés de Malborough, qui nous avait battus.

Monsieur de La Palisse est mort,

Mort de maladie.

Ce n’est pas vrai. Il est mort à la bataille de Pavie, presque en même temps que la Trémoille qui lui, au moins, a eu le bonheur d’être respecté par la chanson.

Un quart d’heure avant sa mort,

Il était encore en vie.

Et c’est précisément sa vie extraordinaire et sa mort héroïque que nous nous proposons de raconter.

D’après les mémoires du temps, on ne connaissait à La Palisse que deux défauts.

D’abord, il aimait, plus que de raison, les femmes. Ensuite, s’il savait leur parler, il ignorait l’art de leur écrire. Mais ces défauts étaient communs à la plupart des gentilshommes de son époque. N’oublions pas que La Palisse a servi sous François Ier, ce roi capricieux qui n’a pas aimé moins de femmes que lui. Et souvenons-nous que les plus valeureux capitaines se trouvaient alors excessivement savants quand ils parvenaient à mettre leur paraphe au bas d’un message.

Ce qui caractérisait principalement La Palisse,– bravoure à part,–c’était une extrême gaieté, la gaieté de ce siècle insouciant qui pourrait reprocher au nôtre de n’avoir jamais connu les plaisirs, tant celui-là a su en inventer de toutes sortes. Parfois cependant le front de La Palisse s’assombrissait… En cherchant la cause qui, par instants, troublait le capitaine et le terrassait quand elle ne le courrouçait point, ses officiers n’avaient pas à évoquer d’autres souvenirs que ceux-ci:

Un matin, on avait vu La Palisse venir gaiement au lever du roi Louis XII. Soudain le rire s’envola de son visage comme un oiselet sur qui un faucon ferait irruption. Le capitaine blêmit, se retourna, sembla chercher quelqu’un… Puis, un instant après, son insouciance native parut avoir oublié l’incident inconnu: son heureux caractère avait repris le dessus. Et La Palisse, si terrible devant l’ennemi, redevint le plus gai, le plus spirituel, le plus divertissant des courtisans.

Une autre fois, se produisit un pareil fait. C’était en Italie, à Villefranche, que nous venions de prendre. On allait chanter un Te Deum pour célébrer la victoire. Les moines faisaient procession dans l’église. Naturellement, La Palisse se trouvait à côté du roi, précisément à l’entrée du banc d’œuvre. La foule des moines était en train de défiler auprès de lui. Tout à coup le capitaine, sans respect pour le saint lieu, porte brusquement la main à son épée et, faisant volte-face, promène sur la pieuse procession un regard furibond comme si l’un des moines, en passant, l’avait souffleté d’une injure. Mais, devant lui, ils étaient trente qui lui tournaient le dos en suivant la croix. Auquel d’entre eux s’adresser? Il laissa son épée, pria un instant, puis dissipa son souci en mêlant sa voix mâle au chœur des fidèles.

Le jour même où commencent les faits étranges que nous nous sommes donné la mission de retracer, Chabannes de La Palisse allait de nouveau frémir et rester blême devant ce mystère qui troublait sa vie. C’est le second jour de cette lutte acharnée que l’histoire devait nommer «le combat des géants.»

Nous sommes en septembre mil cinq cent quinze, à quelques bornes de Marignan.

Pendant toute une journée, toute une nuit et toute une matinée encore, les Suisses étaient descendus de leurs montagnes, fleuve humain destiné à grossir cette armée que foudroyait le canon français. Le roi chevaleresque, le jeune roi François Ier, qui avait combattu vingt heures, ayant Bayard à sa droite et La Palisse à sa gauche, avait fini par s’écrier:

–Mais il pleut donc des Suisses!

Il en avait plu, en effet, pendant trente-six heures, et le combat, interrompu le soir du premier jour par une nuit obscure, avait recommencé, le lendemain, lorsqu’à peine glissaient les premières clartés de l’aube sur la cime blanche des Alpes qui se dressaient à l’horizon. Aux Suisses avaient succédé des Suisses, sombres bataillons qui, avec le stoïcisme des soldats de Léonidas, marchaient à la mort sur les pas du cardinal de Sion, ce valeureux prélat qui maniait une épée aussi dignement qu’il portait une crosse.

La bataille avait été rude; pendant longtemps le sol de la vieille Lombardie avait tremblé sous les pieds de ces masses énormes qui se le disputaient, et Milan, perdu dans la brume de l’horizon, s’était demandé quel serait, le soir même, son maître, ou de Sforza, ou du roi de France. Mais enfin, le roi chevalier l’avait emporté.

Entre neuf et dix heures du matin, les Suisses abandonnaient le champ de bataille et se repliaient vers les gorges sauvages de leurs montagnes. Le vaillant cardinal de Sion, désespérant de les rallier, prenait la fuite.

Chabannes de La Palisse, traquant l’armée suisse, se chargea de transformer la défaite en déroute, et poursuivit le cardinal.

–Quel honneur pour moi, se disait-il, si je le tue ou si je le fais seulement prisonnier! Madame Isaure ne pourra plus rien me refuser.

Madame Isaure, c’était sa passion de ce jour-là. Juste au moment où, se noyant dans un rêve d’amour, il oubliait la bataille pour ne penser qu’à madame Isaure, un chevalier déboucha d’un sentier creusé dans les rocs. Ah! celui-là ne songeait pas à fuir. Il se planta droit devant La Palisse et attendit. Tout d’abord le capitaine, étonné, le regarda. Ce chevalier avait l’aspect étrange.

Au crépuscule, il eût été invisible. Son armure, en effet, son casque, dont la visière était baissée, son cheval, ses armes et ses gantelets étaient noirs. Sur son cœur, seulement, il portait une croix rouge. Malgré sa bravoure célèbre, La Palisse ne put se défendre d’un frisson. Il entrevoyait sous cette enveloppe de deuil un mystère terrible.

Soyons sincère. Il se disait:

–Je ne voudrais pas tuer ce chevalier…

Celui-ci mit sa lance en arrêt. Il fallait bien se défendre. La Palisse s’élança, la lance au poing. Le Chevalier Noir recula jusqu’à un talus, puis soudain s’effaça. La lance de La Palisse s’enfonça dans le talus avec une telle force qu’il n’eût pas été possible de l’en ôter. Le Chevalier Noir jeta sa lance et brandit son épée. La Palisse tira aussi la sienne et, visant le défaut de la cuirasse, s’élança sur le Chevalier Noir. Celui-ci fit un léger mouvement. L’épée du capitaine, frappant à faux la cuirasse de l’inconnu, se brisa en morceaux. La Palisse allait mourir… quand soudain, le Chevalier, remettant paisiblement son épée au fourreau, s’approcha du capitaine troublé, lui cria un seul mot, puis partit à franc étrier. La Palisse d’abord atterré, bondit sur ses traces. Ce mot, la plus sanglante injure qu’il pût entendre, c’était le mot qu’il avait entendu dans la chambre du roi, le mot que le moine avait murmuré à son oreille dans l’église de Villefranche.

Quel était donc ce mot?

Quel était ce Chevalier?

Les aventures du capitaine La Palisse

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