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RAPPROCHEMENT ENTRE LA VIGNE ET LES AUTRES CULTURES SPÉCIALEMENT LE FROMENT

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Si l’on étudie l’économie rurale du sud-ouest, on s’aperçoit que sa culture se compose de pratiques et de théories qui, pour la plupart, ont été puisées dans l’agriculture étrangère; or, les rapports économiques de la zone Pyrénéenne se trouvant en opposition directe avec ceux des peuples auxquels nous avons fait ces emprunts, il parait évident que nous devons nous débarrasser de ce génant bagage de principes, aussi antipathiques à nos terrains et à nos climats que les lois économiques qui nous régissent sont différentes de celles des autres nations. Ainsi, loin de chercher à répandre, comme on le fait trop souvent, ces idées systématisées, devrait-on au contraire, par l’étude des procédés et des relations économiques de nos contrées, montrer comment la vérité d’un pays est souvent l’erreur d’un autre, ouvrir de nouvelles voies à notre activité, et venir ainsi en aide au praticien découragé qui n’a trouvé dans la route qu’on lui a tracée que gêne et mécompte, et qui espère que celle qu’on va lui présenter, doit le conduire au succès, et rémunérer son travail; — et, à ce point de vue, quelle plante plus que la vigne peut aider à cette transformation, elle, qui donne sur les plus mauvaises terres des produits quatre ou cinq fois plus rémunérateurs, que ceux des autres cultures sur les meilleurs terrains; elle qui, par le commerce que les deux mers favorisent, et avec les débouchés qui lui sont ouverts par elles, peut partout jeter ses vins délicieux que la concurrence ne peut atteindre dans aucun autre pays du monde. Aussi, dans l’intérêt agricole et commercial du sud-ouest, doit-on la pousser, par tous les moyens possibles, dans la voie des changements et des améliorations.

D’un autre côté, l’expérience de tous les pays et de tous les jours nous montre que, lorsqu’un sol produit des denrées vendues à un prix élevé, ce sol est colonisateur et civilisateur par excellence; qu’il appelle, garde et fait prospérer les populations, parce qu’avec le haut prix de ses ventes, il attire les produits des autres contrées, et les jette, comme aliment, au bien-être de ses habitants. — N’est-ce pas la vigne qui peut seule, par le travail qu’elle nécessite et les bras qu’elle occupe, empêcher l’émigration, cette plaie de notre contrée, qui menace de l’envahir toute entière; n’est-ce pas encore elle qui peut aller échanger ses produits recherchés de tout l’univers, contre les denrées que d’autres nations voient naître meilleures ou à plus bas prix que nous.

Il est évident aussi qu’un terrain qui fournit 2,400 fr. de produits bruts, et qui ne donne sur ce chiffre que 200 fr. de produits nets à celui qui l’exploite, est l’égal devant l’intérêt privé, de celui qui, ne livrant à la vente que 600 fr, de marchandises, donne sur ces 600 fr. à celui qui le cultive un bénéfice de 200 fr..... mais, au point de vue colonisateur et civilisateur, au point de vue de la prospérité et de la force d’une nation, le premier sol a une valeur quatre fois plus forte que le second, puisqu’il a payé quatre fois plus de main-d’œuvre, et qu’il a entretenu une population quatre fois plus nombreuse. — Et considérée ainsi, la production du vin, mieux que tout autre culture, ne sert-elle pas autant l’intérêt général que l’intérêt particulier, en livrant à la consommation des produits bruts d’une valeur de beaucoup supérieure à ceux des autres cultures, en donnant au vigneron les produits nets les plus élevés, en entretenant un grand nombre d’ouvriers, en fournissant une boisson salutaire qui épargne les autres aliments dans une immense proportion; en développant les forces physiques, comme l’intelligence des populations.

Enfin, on doit aussi tenir compte de l’influence sur le sud-ouest de l’action législative et administrative des dernières années. Tous les terrains vagues qui ont été arrachés à une honteuse stérilité par l’ouverture des routes qui s’achèvent, et par le partage et la vente parcellaire des communaux, ont reçu une destination nouvelle. Abandonnés jusqu’à ce jour, ils ne peuvent être économiquement utilisés que par la vigne; tout autre culture y jetterait des capitaux qui ne seraient remboursés que trop tardivement; la vigne seule peut y appeler la richesse et y nourrir une population dense et active; elle seule peut, dans d’immenses proportions, aider à l’extension et à l’élargissement de ce vaste atelier dans lequel va s’exercer l’activité nationale.

Devant ces faits qui établissent si évidemment les avantages de la culture de la vigne, devant ces principes économiques qui démontrent la nécessité et l’urgence de sa propagation dans le sud-ouest, essayons de faire, sous leur abri, un rapprochement rapide entre la vigne et les autres modes de culture de la terre.

Et d’abord, on s’aperçoit que les autres productions sont moins assurées que celle de la vigne; que, proportionnellement au produit net qu’on en retire, cette dernière demande moins de travail que les autres cultures; qu’elle s’accommode de toute espèce de terrains sur lesquels les autres plantes ne pourraient croître; qu’elle fournit du travail en toutes saisons aux hommes valides et aux vieillards, comme aux femmes et aux enfants; qu’elle alimente ou fait naître un grand nombre de commerces et d’industries; enfin, qu’elle donne les produits les plus élevés, quoiqu’elle soit la plante qui réclame le moins d’engrais. — Et, pour bien caractériser la richesse de la vigne, comparée à celle des autres cultures, pour bien établir que c’est elle qui vient en aide dans une exploitation à toutes les autres branches de l’industrie rurale, et les commandite, nous ne pouvons mieux faire que de citer l’exemple donné par le docteur Guyot, dans les termes suivants:

«Le domaine du Thil offre une superficie d’environ 400 hectares. Sur ces 400 hectares, on comptait seulement 24 hectares de vignes en 1832, lesquels ont été portés à 46 hectares dans l’intervalle de 1832 à 1861.

Voici les résultats moyens obtenus sur ces bases.


Moyenne générale des produits totaux du domaine


Ainsi, chaque hectare de terre a produit en moyenne de 30 ans, 29 fr. 76 par an, et chaque hectare de vigne a produit en moyenne de la même période 427 fr. 30, quatorze fois plus, à surface égale, au propriétaire.

Mais ce n’est pas tout: le vigneron a eu la même part pour nourrir, entretenir lui, sa famille, son bétail, et pour réaliser ses économies; on voit par là quelles ressources la vigne présente aux exploitations agricoles; dans 60 de nos départements, la vigne est le vrai banquier de l’agriculture, en même temps qu’elle y constitue sa plus riche cité ouvrière».

Les produits totaux ou séparés qui précèdent, ont été relevés sur ses livres, par M. de St-Trivier, propriétaire du domaine du Thil, dans le Beaujolais.

Dans l’intérêt privé comme dans l’intérêt général, ne faut-il pas enfin secouer cette apathie qui engourdit le sud-ouest et le rend réfractaire à tout progrès, puisqu’il est avéré aujourd’hui que la culture de la vigne est moins coûteuse, moins pénible et surtout plus rémunératrice que celle de tout autre produit de la terre.

Rapprochons enfin, très-sommairement, de la culture des céréales, la vigne, cet arbuste précieux qui, par ses qualités mystérieuses, a fait une si grande renommée à certains pays.

D’après le tableau dressé par M. de Gasparin, il y a environ 25 ans, la moyenne de production de blé pour toute la France était à cette époque de 1140 litres par hectare; elle a atteint aujourd’hui le chiffre de 1,350 litres; elle se serait donc élevée, pendant cette période de 25 ans, de 2 hectolitres, 10 litres; mais, sans tenir compte de cette moyenne, et exagérant tant le rendement du blé que le prix qu’on peut en retirer, prenons pour point de départ un hectare de mauvaise terre.

Il faudra un travail de défrichement presque égal à celui nécessité par la plantation d’une vigne, et 120 mètres cubes de fumier normal, pour faire rapporter à un tel terrain 20 hectolitres de froment qui, à 20 fr. l’hectolitre, font 400 fr., si l’on joint à cette somme la valeur de la paille ou 100 fr., on arrive au chiffre de 500 fr. sur un hectare, pour 120 mètres cubes de fumier; appliquons maintenant l’engrais à un hectare de vignes, planté en fin cépages.

Pour défectueux que soit le terrain, 20 mètres cubes de fumier, le sixième seulement de ce qui a été accordé au blé, produiront une abondante récolte que nous n’apprécierons qu’à 50 hectolitres qui, vendus à 25 fr. l’hectolitre, donneront la somme de 1,250 fr. — Voilà déjà la production de la vigne qui n’a dépensé que 20 mètres cubes de fumier, une fois et demi plus, riche que la production du froment qui en a absorbé 120 mètres. Mais dira-t-on qu’avec une telle fumure, la terre arable va produire des récoltes sensiblement rémunératrices pendant 6 ans..... soit... et supposons qu’on puisse apprécier à 300 fr. la récolte de la deuxième année et à 250 fr. celle de chacune des quatre années qui suivront: (l’exagération est ici manifeste), le tout fait 1,800 fr. pour 120 mètres cubes de fumier et pour 6 années. Eh! bien, en recevant la moitié de la fumure ou 60 mètres cubes pendant six ans, la vigne aura produit 6 fois 1,250 fr. ou 7,500 fr. Il y a plus: par ses six années de production, la terre arable se sera appauvrie et presque stérilisée, lorsque le vignoble aura grandi et prospéré en fécondité comme en qualité. Enfin, les produits de la terre arable demandent un outillage coûteux et une main-d’œuvre nombreuse, tandis que la vigne s’acommode facilement de tout, et est loin d’être exigeante. — Devant ces chiffres, devant ce rapprochement, peut-on être assez aveugle ou assez aveuglé pour trouver, au point de vue productif, commercial ou colonisateur, une similitude quelconque entre le rendement de la terre arable fortement fumée et celui d’une contenance égale, complantée en vignes, qui n’a reçu qu’une demi-fumure? A-t-on besoin de dire que les céréales sont très épuisantes: qu’on attribue cet effet à leurs racines traçantes, et surtout à leur mode d’assimilation qui s’opère plus par leurs racines que par leurs feuilles, tandis que les vignes, au contraire, avec leurs feuilles et leurs parties vertes empruntent à l’atmosphère près des 1920 de leur nourriture. — Il est vrai le dicton populaire de la Touraine dans le langage de laquelle closerie signifie vigne. «Closerie donne métairie, dit-on, mais jamais métairie n’a donné closerie.»

Qu’on fasse des vins toniques, salubres et fortifiants, et non de ces vins trop vifs ou trop pétillants que tout le monde goûte, dont personne ne boit à son ordinaire, et qu’on a comparés, nous le croyons, à des femmes coquettes. C’est seulement en suivant cette voie, qu’on arrivera à atteindre les résultats immenses obtenus déjà par le Bordelais; — le Château-Latour, composé de 38 hectares de vignes, 19 de prés, 9,58 de terres et jardins, en tout 66 hectares, a été adjugé, le 4 août 1841, pour la somme de 1,511,000 fr. et l’on justifiait pendant 27 ans d’un revenu de 95,000 fr. porté à 106,000 fr. pour les dernières années. Ce même domaine vaut aujourd’hui beaucoup plus de deux millions.

Comme on le voit par ce qui vient d’être dit, un immense intérêt pour le Sud-Ouest et un intérêt des plus urgents, se rattache à la culture de la vigne. Aussi, ce n’est plus avec une prudente lenteur, qu’il faut tenter de réveiller les populations et de les jeter dans une voie progressive; car, il est déjà trop tard pour fonder de vagues espérances sur l’action du temps sur les esprits. Que tous se mettent à l’œuvre; que ceux qui ont les mains pleines de vérité, ne les tiennent plus fermées; qu’on pousse les campagnes vers une culture dont les produits ont un écoulement à peu près assuré ; c’est ainsi qu’elles ne seront plus en butte, ni aux désastres de ces tristes et calamiteuses années de trop d’abondance ou de disette qui courbent les pays de grains, ni aux fatales oscillations qu’amènent dans les contrées manufacturières, la guerre, un changement de mode, ou la concurrence. — Du reste, là est notre seule ressource; car, s’il est établi et constant que le blé se produit dans nos contrées en moindre quantité et plus chèrement que partout ailleurs; ce qui doit nous éloigner de cette culture, — il est certain aussi que l’industrie manufacturière, si elle cherchait à s’étendre jusqu’à nous, se trouverait mal à l’aise, en face des habitudes et de l’esprit des populations, et ne pourrait pas lutter longtemps contre l’industrie viticole qui peut si richement rémunérer ses ouvriers. — Mais l’industrie manufacturière n’existe pas dans la zône pyrénéenne; car, on ne peut déclarer sérieusement notre pays industriel, pour les quelques rares et petites industries qu’on y rencontre de loin en loin; du reste, elle ne peut trouver dans cette contrée, ni les capitaux nécessaires pour créer une fabrique durable, ni surtout les matériaux indispensables pour l’alimenter; car, si d’un côté dans nos campagnes, les fortunes privées sont restreintes, de l’autre les progrès de l’agriculture en général, ont été si lents jusqu’à ce jour, qu’il paraît impossible qu’elle puisse fournir de longtemps les matières premières que la fabrique doit manufacturer.

L’industrie doit surtout s’établir dans les froides contrées du Nord, où l’hiver laisse les forces inoccupées; ses travaux sédentaires et réguliers seraient antipathiques à nos populations, qui aiment par dessus tout l’air, le soleil et la liberté.

Déjà, pour certains pays, la viticulture a tout créé, tout animé ; dans d’autres, elle a lancé les vaisseaux dans les mers; dans d’autres, s’ouvrant des routes à travers les rochers, elle a abaissé les montagnes et comblé les vallées; pour la plus grande partie du Sud-Ouest, la vigne doit devenir le grand régénérateur social, et commanditer les chemins de fer, ce moyen puissant de civilisation, en envoyant ses produits dans le monde entier.

La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest

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