Читать книгу La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest - Romuald Dejernon - Страница 9
CE QUE PEUT RAPPORTER UN HECTARE DU SUD-OUEST COMPLANTÉ EN VIGNES
ОглавлениеA une époque de spéculation comme la nôtre, où la fureur d’acquérir parait être le seul mobile des actions; où les entreprises les plus hasardées, comme les combinaisons les plus honteuses, sont ouvertement acceptées, pour peu qu’elles offrent quelques chances de succès; où chacun cherche la fortune à la Bourse, dans l’agiotage, dans les spéculations, partout; et demande à une vie agitée et fiévreuse des ressources incertaines, toujours soumises au caprice de la vogue, à la variation des transactions, comme aux combinaisons politiques, comment n’a-t-on pas pensé à la vigne? Comment n’a-t-on pas vu qu’à cette existence aventureuse et tourmentée, qui ne regarde pas toujours les chemins qui peuvent la conduire au but, la vigne peut substituer une vie en plein air, libre et intelligente, qui ne relève que d’elle-même, et assure le bonheur par les services rendus.
Les plus magnifiques résultats financiers doivent s’obtenir par sa culture; et, ce n’est pas seulement l’intérêt privé qui verrait s’accroître le revenu du capital employé, et aurait ainsi son travail largement rénuméré, mais encore la fortune publique grandirait dans une vaste mesure par une perception augmentée de l’impôt foncier, comme par l’extension de l’impôt indirect, dont les recettes sont toujours proportionnelles à la consommation et au bien-être général.
La viticulture est au plus haut degré une entreprise industrielle et commerciale; et le vigneron, comme l’industriel, travaille pour faire des bénifices; aussi, loin de s’immobiliser dans des pratiques séculaires, doit-il s’adresser à toutes les connaissances humaines qui peuvent hâter le progrès, et le mettre à même de réaliser le plus de profit possible. En suivant cette voie, il sera vite prouvé pour lui que la culture de la vigne doit faire produire aux capitaux qu’elle emploie, des intérêts plus élevés que ceux produits par les capitaux placés sur toute autre culture, ou même sur une industrie manufacturière.
Devant l’abaissement des frontières et la facilité des transports, il semble que la viticulture française aurait dû secouer les habitudes stériles du passé, et, se dégageant des anciens préjugés sociaux qui leur avaient donné naissance, aider les tendances modernes, en s’imposant la tâche de produire plus, de produire mieux, de produire à meilleur marché ; il n’en est pas malheureusement ainsi, et ce qui se passe dans une grande partie de la France nous prouve qu’Ovide a raison de dire, que l’homme se débat beaucoup plus énergiquement contre le progrès du bien que contre le progrès du mal. — Sans doute aujourd’hui les premiers pas sont faits, l’élan est donné, les avantages démontrés; mais cela ne suffit pas pour la grande majorité des vignerons praticiens. Renfermés dans leur méfiance naturelle, ils rejettent les raisonnements les plus évidents, et ne consentent à modifier leurs systèmes que devant des avantages clairs et incontestables; il faut que la voie qu’on leur montre, soit largement ouverte et aplanie, qu’ils y puissent circuler librement. Il faut, pour ne pas réveiller leur incrédulité et une opiniâtre controverse, ne puiser ses preuves que dans des faits bien constatés et connus d’eux tous, et rejeter toute supposition, pour rationnelle qu’elle soit, dont la valeur pourrait être contestée.
. C’est avec l’espoir d’atteindre ce but, et en face de cette méfiance armée, pour ainsi dire, que nous allons faire le compte d’un hectare de mauvaise terre planté en fins cépages, et essayer d’établir que, dans les conditions les plus défavorables, l’intérêt du capital employé doit atteindre le chiffre de 20 0/0, bénéfice dépassant de beaucoup celui fourni par les industries les plus florissantes.
1° Prix d’un hectare de terre en coteau ou plaine inclinée, terre aride et sans valeur, désignée sous le nom de vagues, incultes, landes, patis, terre stérile qui compose une si grande partie du sud-ouest; des terrains de cette nature sont essentiellement infertiles et ne peuvent produire des céréales ou des paturages qu’avec des capitaux et des avances qu’ils ne rembourseront que
Etudions maintenant ce que doit coûter chaque année le travail nécessité par un hectare de vignes; et, joignant le chiffre obtenu à celui produit par l’intérêt du capital de 3,665 fr., nous retirerons la somme ainsi composée, du chiffre représentant le produit brut de la vigne pour en avoir le produit net.
L’hectare de vignes complanté en fins cépages, ayant dix mille pieds, travaillé, fumé, soufré, donnera au moins en moyenne 50 hectolitres qui, à 25 fr. l’hectolitre forment la somme de 1,250 fr.; le prix de 25 fr. l’hectolitre de vin produit par de fins cépages, est loin d’être exagéré ; car un mois après la vendange, la moyenne des ventes des vins des environs de Pau, a été en 1863, de 33 fr. 33 c. par hectolitre, et en 1864 de 40 fr. également par hectolitre. En 1865, les vins se sont vendus en moyenne 26 fr. 66 c. l’hectolitre; et l’on doit observer que tous les vignobles de ces contrées renferment en grande quantité des plants communs: ce qui a diminué la bonté et par suite le prix des vins.
Si le vignoble est planté en cépages donnant des vins bons ordinaires, ou même en cépages grossiers, le chiffre de la production dépassera dans les deux cas celui de 50 hectolitres, et malgré l’infériorité du prix de vente de l’hectolitre, on arrivera sensiblement au même résultat par la quantité produite.
Tous intérêts et frais payés, l’hectare de vigne donnera donc à son propriétaire un bénéfice net de 646 fr. 75 c.
En déduisant du produit de la vigne, ou de 1,250 fr. les impôts, assurances, travaux de l’année, fumure, détérioration du matériel, ou la somme de 420 fr. il reste comme intérêts du capital employé, ou de 3,665 fr. la somme de 830 fr. ou un peu plus 22 1/2 pour cent de ce capital.
Comme on le voit, ces chiffres sont loin d’être exagérés; et, en admettant que quelque erreur se fut glissée dans nos appréciations, ne serait-elle pas compensée et au-delà par les rendements certains de la jeune vigne pendant ces cinq dernières années, par ses sarments, par ses fruits qu’elle commencera à donner dès sa troisième feuille, et dont il n’a été tenu aucun compte.
Dans tout ce compte, nous avons pris une moyenne de production d’une période de 10 ans. La moyenne des prix de vente est également calculée sur la même période de temps; on comprend que si, à suite d’intempéries, la vigne ne donne pas le chiffre d’hectolitres avancé par nous, le prix de l’hectolitre s’élèvera proportionnellement, comme aussi, si la récolte est très-abondante, les prix peuvent baisser; toutefois, on doit observer que dans ce dernier cas, un moyen certain de conserver aux vins une valeur élevée, c’est de les garder en cave pour ne les vendre que dans l’année qui suivra une récolte peu abondante: en agissant ainsi, on réalisera même des bénéfices sensibles, le vin augmentant chaque année de valeur dans une grande proportion.
Entre les mains de certains auteurs, la nature est toujours animée et féconde; autour d’eux, tout vit, tout respire; et leur imagination qui nous fournit sans cesse des tableaux variés à l’infini, voudrait nous faire partager les illusions de leurs rêves, et l’espoir de succès toujours nouveaux. Ils oublient trop facilement que les propriétaires viticoles se laissent peu diriger par des œuvres de fantaisie ou le caprice supplée à chaque instant aux notions scientifiques et aux faits d’expérimentation; aussi, pour qu’on ne puisse pas nous confondre avec eux, nous allons essayer d’expliquer et de légitimer le chiffre de 50 hectolitres à l’hectare, seule base de nos calculs qu’on peut encore considérer comme une supposition.
Il ressort clairement du livre du docteur Guyot et de tous ses écrits, qu’avec des engrais et une culture intelligente, on peut toujours obtenir 10,000 kilos de raisins par heetare, et que la vigne ainsi traitée doit donner, avec les fins cépages, une récolte presqu’égale à celle qui serait produite par les plants les plus communs en même temps que les plus abondants; en asseyant, comme il l’a fait, ce principe sur des bases irréfutables, le docteur Guyot a donné à la viticulture française une impulsion immense et a établi l’influence du capital venant en aide à une culture judicieuse.
Ce résultat seul serait suffisant pour qu’on ne contestât pas nos 50 hectolitres à l’hectare; aussi, parmi les faits qui abondent et qui viennent à l’appui de notre assertion, nous n’en citerons que quelques-uns.
Tout le monde sait que la Suisse récolte jusqu’à 200 hectolitres à l’hectare, et dans une communication intéressante, qui a profondément ému le monde viticole, et qui est insérée au numéro du 5 mars 1862 du Journal d’Agriculture Pratique, M. de Guimps, président de la Société d’agriculture de la Suisse Romande, a établi que, pendant les 39 dernières années, un hectare de vignes avait donné en moyenne, et par an, pendant ce laps de temps, 1,682 fr. 57 c. au propriétaire et autant au vigneron, ou la somme énorme de 3,365 fr. par hectare, et cette culture, qui est sensiblement la même, pour les procédés comme pour les rendements, que toutes celles qui l’avoisinent, est loin de présenter des conditions plus favorables que celles dans lesquelles se trouvent les vignobles de France. — La maison du vigneron est à plus de trois kilomètres du centre des vignes; tous les travaux sont exécutés à la main et à la houe; le fumier est transporté à dos d’homme; enfin, la main. d’œuvre comme les engrais sont, dans cette contrée, à des prix très-élevés; et dans un article de M. Guyot sur les vignes de cet heureux pays, l’éminent viticulteur s’exprime ainsi sur la nature des terrains:
«Ces vignes si précieuses sont plantées en fendant vert et en fendant roux, et produisent des vins qui ne se vendent pas 25 fr. l’hectolitre, mais elles en produisent de 200 à 300 hectolitres; et qu’on n’aille pas croire en France que ces cultures sont établies sur des terres promises, dont la fertilité naturelle dépasse tout ce que l’imagination peut concevoir de plus fertile; non, elles sont établies sur la stérilité la plus absolue, sur la roche nue, sur le granit qu’il faut étonner à coups de masse, faire sauter à la mine, et cela dans la proportion de 4,000 mètres cubes par hectare, pour y former des gradins de 10 à 12 mètres de largeur sur 3 à 4 mètres d’escarpement, gradins dont il faut border la saillie d’une muraille d’un mètre d’épaisseur pour asseoir et maintenir le peu de terre recueillie sur la rampe et beaucoup de terre apportée des vallées voisines; voilà ce qui, planté en vigne, vaut plus de 30,000 fr. l’hectare, voilà ce qui n’en coute pas 15; voilà ce qui rapporte brut plus de 3,500 fr. et ce qui rapporte net plus de 1,800 fr.»
D’après les chiffres relevés dans une correspondance entre MM. Guyot et Marès, correspondance insérée au Journal d’Agriculture Pratique, comme d’après ceux qui ressortent du rapport de la prime d’honneur de l’Hérault en 1860, la vigne donnerait en moyenne dans ce département 150 hectolitres à l’hectare, et l’on sait que cette fécondité existe dans la Charente et dans l’Anjou, partout enfin où une culture intelligente se joint à des fumures judicieuses.
Les statistiques de l’Auvergne, rappelées dans un article de M. Du Breuil, inséré au Journal, d’Agriculture Pratique, numéro du 20 septembre 1864, établissent pour ce pays, une moyenne de 75 hectolitres par an et par hectare; et les modifications conseillées par M. Du Breuil, doivent, en augmentant le rendement, porter le produit net à plus de 50 0/0 du capital employé, et cela en effectuant tous les travaux à bras d’homme.
A Orthez, dans les Basses-Pyrénées, avec le cépage appelé Tannat, cépage qui produit les bons vins toniques de Madiran, on récolte en moyenne de 90 à 100 hectolitres sur des terres qui sont loin de valoir, au point de vue de la culture de la vigne, celles qui forment la généralité des terrains vagues ou incultes du Sud-Ouest; et les rendements sont sensiblement les mêmes dans vingt villages de nos contrées, à Madiran, à Castetnau-Rivière-Basse, à St-Lanne, à Arrozès.
Enfin, dans les vignes bien tenues de la Bourgogne, de la Champagne et du Bordelais, la moyenne de production des vins est de 70 à 90 hectolitres, et dans le rapport fait pour la prime d’honneur de la Gironde, on trouve, ent’autres faits très-intéressants, que M. Montaugou a récolté sur une étendue de 6 hectares 80 ares, 1,310 hectolitres en 1858.
Nous avons les mains pleines de faits de même nature; mais ceux que nous avons cités suffiront, pour qu’on ne nous conteste pas le chiffre de 50 hectolitres à l’hectare, dans un pays comme le Sud-Ouest, où avec des soins, des engrais et quelques modifications dans le mode de culture, le soleil et la nature des terrains doivent si merveilleusement venir en aide à notre précieux arbrisseau.