Читать книгу La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest - Romuald Dejernon - Страница 21
LE VIN.
ОглавлениеConnu dès l’antiquité la plus reculée, et chanté par les poètes de tous les temps, le vin, qui trouve, dans une fermentation spontanée, cette saveur spiritueuse et agréable dont les hommes sont avides, a vu grandir de jour en jour le rôle qu’il joue parmi eux; ils l’ont recherché à cause des sensations qu’il procure, et parce qu’il fait plus amplement jouir de la vie, en sollicitant et exaltant l’esprit, en relevant et accroissant les forces.
Par les impressions heureuses qu’il fait naître, le vin réveille les idées, et leur prête cette gaité qui est le charme de la vie; par la douce excitation qu’il imprime au cerveau, il en fait sortir ces vives saillies de l’imagination enjouée qui, ne faisant qu’effleurer, peint avec rapidité, et charme ainsi l’esprit tout en dilatant l’âme; par le feu qu’il fait couler dans nos veines, le vin nourrit et avive nos forces; il aiguise l’idée qui conçoit, il fortifie le courage qui exécute; par le sentiment vif de bien-être qu’il répand, il maintient l’intelligence dans une activité facile, et développe les penchants bienveillants et de cordialité.
Dans les pays de bons vins, les hommes sont braves, francs, spirituels et sociables. Si leurs emportements sont faciles, leurs haines n’ont rien de perfide et s’éteignent rapidement; et si le ressentiment les pousse à la vengeance, cette vengeance s’exerce loyalement et en plein jour. — On a affirmé qu’on retrouvait toujours dans le caractère des peuples des régions viticoles, les qualités de leurs vins. Les Grecs auraient puisé chez eux leur talent pour les arts; les Hongrois, leur force et leur courage; et la France serait redevable de sa supériorité sur les autres nations à l’excellence de ses vins et à la diversité de leurs qualités. On comprend en effet comment des impressions qui se renouvellent souvent, puissent exercer une influence sur la manière de sentir et de penser.
Chez tous les peuples, dans toutes les religions, le vin est l’offrande et le symbole; dans la vie privée, il devient le gage de l’hospitalité et de la parole donnée; et dans la vie publique, il préside à toutes les réjouissances, à toutes les fêtes.
Dans les temps passés, comme dans les temps modernes, c’est encore le vin qui est le grand inspirateur des poètes; et si Horace allait lui demander ses plus beaux vers, c’est lui aussi qui dictait les chants de déranger quand, les yeux fixés sur la France déchirée, il consolait la patrie en immortalisant ses désastres.
Le vin n’est pas seulement un excitant pour le cerveau, il est aussi une nourriture saine et salutaire pour le corps. Il fait naître les forces autant qu’il les relève quand elles sont abattues; et M. Rouher a dit avec une grande vérité : «Le vin vaut du pain.» — Sans doute, l’excès du vin, comme celui de tout stimulant, peut attaquer le système nerveux, affaiblir l’intelligence, miner en un mot l’homme physique comme l’homme moral; mais pour en arriver là, il faut pousser cet excès jusqu’au dernier terme, et il est rare qu’on puisse atteindre cet état de dégradation, si l’on n’a recours aux alcools, auxquels on s’adresse à cause de leur action prompte sur le palais et sur le cerveau. Existe-t-il une chose bonne et reconnue telle, dont l’usage poussé a l’excès ne devienne nuisible et dangereux?
L’ivresse produite par le vin sans le secours des esprits, prend rarement ce caractère abrutissant qui distingue l’ivresse due à l’alcool. Sous l’influence de la première, le visage et les yeux s’animent, pendant que la bouche sourit et que le front se déride; — une exubérance de force s’empare du corps, et le dirige dans ses rapides mouvements, pendant que les idées abondent et se pressent; les joyeux propos, les vives réparties chassent la tristesse qui s’évanouit, et ouvrent à l’espérance le cœur des malheureux. Le vin n’accomplit-il pas ainsi une mission de sainte charité ?
Nous ne voulons pas faire ici le panégirique de l’ivresse, qu’on devrait poursuivre et flétrir partout où elle se produit avec un caractère dégradant. — Personne plus que nous ne désire la destruction des vices du peuple et surtout de l’ivrognerie; mais nous croyons fermement que le peuple a besoin de vin, qu’il a, comme certains moralistes qui refusent à l’ouvrier épuisé le droit de demander au vin un peu d’oubli et d’illusion, des besoins et des passions à satisfaire; et que, si l’on voulait mettre en relief les causes de l’ivresse dans les classes pauvres, on ne pourrait rester dans le vrai sans toucher à toutes les grandes questions morales et sociales de notre époque. — Il faut du vin au travailleur pour relever ses forces épuisées; il faut du vin pour le bien nourrir, dans ces contrées où une misère traditionnelle a fait une alimentation si insuffisante et si défectueuse; il faut du vin, pour lui faire perdre l’habitude de ces esprits ardents et malsains qui, tout en lui donnant une force artificielle et trompeuse, détruisent en lui le corps comme l’intelligence, les ressorts de ses nerfs, comme les aspirations de son âme. — Il faut donc faire des vins abondants et communs, qui seront vendus à bon marché à ces classes déshéritées, à moins qu’on ne veuille accroître leurs privations déjà si grandes, leurs souffrances déjà si dures.
Si, par le perfectionnement de la viticulture, le pauvre avait à chaque repas sa liqueur fortifiante et réparatrice; si, à côté du pain de chaque jour, il avait le vin de chaque jour, qui peut dire l’influence de ce régime sur les idées, sur les mœurs, sur les progrès d’un peuple? — Le chemin de la vie est semé d’épines; fortifiez l’homme par le vin, et il y cheminera hardiment: le vin transformera les épines en fleurs.
Nous lisons dans le docteur Guyot: «Cet admirable vieillard, qui a plus de 90 ans, Monsieur Chassin, qui a gagné une honorable aisance de retraite par la culture directe et de ses mains de la vigne, ne fait que deux repas par jour, et à chaque repas, il boit une bouteille de son vin. Je signale ce fait d’hygiène, parce qu’il s’ajoute à mille autres pareils, pour montrer que l’usage du vin aux repas, assure la solidité du corps et la lucidité de l’esprit dans les âges les plus avancés.» Combien le docteur Guyot a raison dans l’éloge qu’il fait du vin, appliqué aux vieillards, et combien pour tous et pour eux surtout, la vigne est un précieux arbrisseau.
Selon la maxime du comte de Broussin, illustre buveur du XVIIe siècle, on ne vieillit jamais à table. On a aussi appelé le vin, le lait des vieillards, — En effet, que de vieillards, amis du vin, à qui l’on peut appliquer le mot de Montaigne: «Les ans m’entrainent, mais à reculons:» Combien n’en est-il pas qui, aidés par le vin, conservent jusqu’à la tombe cette chaleur d’âme, cette fleur d’imagination qui sont la part si heureuse de la jeunesse. — Quand le vieillard est à table, son sang a plus de vitalité et de force, ses idées plus d’entrain et d’expansion; on dirait qu’il est sous le courant d’un nouveau souffle, et que ce souffle qui ouvre son cœur aux épanchements, a rendu à ses souvenirs toute leur fraicheur et à sa vie toute son ivresse. — Les scènes du passé qu’il aime à rappeler, sont saisissantes de vérité, pleines d’actualité et de mouvement; et, de ses récits se dégage cette science de la vie, qui consiste à avoir les feuilles au printemps, les fleurs à l’été et les fruits à l’automne. Caton, dans sa vieillesse, trouvait dans le vin l’appui qui fortifiait et sanctifiait sa vertu; et Anacréon, couronné de roses au déclin de la vie, puisait dans sa coupe les inspirations charmantes de ses vers. — Sans doute, le vin n’enlèvera pas aux vieillards les épreuves douloureuses de la vie; mais, en chassant les froids de l’hiver, en évoquant le souvenir des fêtes et des fleurs de la jeunesse, il les aidera à franchir le dernier pas, sans trop le redouter.
A tous les âges, dans toutes les conditions, c’est le vin qui fortifie, qui rend l’homme meilleur et fait aimer; c’est lui qui, indispensable au bonheur et à la santé, chauffe le génie et conduit à la victoire: c’est lui enfin qui, après avoir souri aux hommes et cimenté le lien des peuples, jette quelque chose des rayons du soleil dans les cerveaux comme dans les cœurs.