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LA VIGNE EN FRANCE.

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Après avoir caractérisé le rôle que la vigne a de tout temps joué dans l’humanité, après avoir esquissé les principaux traits de son histoire à l’étranger, nous allons essayer de dire les diverses phases de son existence en France, et les progrès rapides qu’elle a faits dans nos contrées. La France a été si merveilleusement dotée par la nature au point de vue de la vigne; elle peut offrir dans presque toutes ses provinces, tant de sites, tant de territoires, tant d’expositions, qui ont des vignobles dont la réputation est universelle, ou qui n’attendent qu’une occasion favorable pour la faire naître, qu’elle ne peut redouter une rivalité viticole, et qu’elle est bien à tous égards la patrie des bons vins et des grands vins.

Il serait intéressant pour la France de savoir si sa culture nationale, la culture de la vigne, a pris naissance chez elle, ou par qui elle lui a été enseignée; il serait intéressant de savoir si cette plante a été portée parmi nous, ou si elle est originaire de la Gaule. Tous les auteurs qui se sont livrés à ces recherches, ne nous donnent que des conjectures, des probabilités dont pas une ne peut asseoir une certitude. On ne peut mettre d’accord les auteurs latins ou grecs qui ont traité de ce précieux arbrisseau, et leurs témoignages sont si contradictoires, qu’ils augmentent le doute, loin de le dissiper.

Diodore de Sicile enseigne que la vigne a été portée en Gaule par les Phocéens, qui, cherchant des ports favorables à leur commerce, et trouvant des terrains et un climat privilégiés, songèrent à y établir une colonie sur les bords de la Méditerranée; et qu’après leur établissement, ils plantèrent la vigne. — Selon Pline, ce fut un Helvétien, Hélicon, qui, venant de Rome où il avait fait une immense fortune, importa la vigne, et l’acclimata dans la Gaule. — Cicéron attribue l’honneur de la naturalisation de la vigne en Gaule au commerce. — Varron, Jules César, Strabon se rangent en partie à cette dernière opinion. Enfin, Plutarque et Tite-Live nous disent qu’un Toscan, chassé de sa patrie, vint en Gaule avec l’intention de se venger de ses concitoyens; qu’il fit boire aux chefs Gaulois les meilleurs vins d’Italie qu’il avait apportés avec lui; que, séduits par cette boisson, ces chefs entrainèrent les hordes qu’ils commandaient, dans cette guerre terrible qui faillit emmener la destruction de Rome; ainsi, Brennus, vainqueur de Rome, aurait rapporté la vigne comme trophée de sa victoire.

D’après ces divers auteurs, la vigne aurait été implantée et naturalisée en Gaule par les Romains, les Phocéens, ou même les Gaulois; elle ne serait pas originaire de cette contrée; elle ne serait que la fille adoptive de la France. Nous ne pouvons partager cette opinion; la vigne est fille de France, puisqu’elle est indigène sur les bords du Rhône, dans le Midi, dans une partie du sud-ouest, et qu’elle croît vigoureusement dans tous les bois de ces contrées; et les Celtes la connaissaient et la cultivaient, alors qu’ils ignoraient encore qu’il existât des Grecs et des Romains. La vigne est fille de France, et la preuve s’en trouve dans cette loi de la nature, qui fait naître chaque fruit sous le climat qui doit lui donner ses qualités les plus élevées, comme dans sa vitalité qui résiste, sans dégénérer, à la culture à laquelle elle est soumise depuis des siècles.

Quoi qu’il en soit, Diodore nous apprend que six siècles avant notre ère, le vin était déjà répandu dans la Gaule. A l’appui de ce fait, vient se joindre la tradition qui a été consacrée par l’histoire. Le chef d’un navire. Phocéen qui visitait les côtes de la Méditerranée, fut invité par un roi du pays à un festin qu’il donnait pour célébrer le mariage de sa fille; à ce repas, et suivant l’usage de ces temps primitifs, usage que notre XVme siècle pratiquait encore, la jeune fille remplissait une coupe de vin, et l’offrait à celui qu’elle choisissait pour époux. La vierge royale était belle, et la Gaule méridionale avait envoyé l’élite de ses prétendants. Chacun d’eux aspirait à cette coupe qui devait être pour lui le bonheur et la puissance, lorsque la fille du roi, couronnée de lierre, vêtue de blanc, la donna au navigateur Phocéen, comme au futur maître de sa vie. C’est à ce mariage inattendu, qu’est dû le premier établissement en Gaule des Grecs d’Ionie, et la fondation de la ville de Marseille.

Quand les Romains envahirent la Gaule, la culture de la vigne et l’usage du vin étaient très-répandus dans les contrées méridonnales: la vigne s’avança rapidement vers le Nord et s’y acclimata par degrés; et avant le quatrième siècle, elle avait franchi d’immenses espaces; car une cinquantaine d’années plus tard, l’empereur Julien vante la beauté et l’abondance des vignes des environs de Paris.

En vain les Gaulois avaient-ils édicté la grande loi ad Barbaricum qui défendait à tout régnicole d’envoyer du vin aux barbares même pour en goûter.

En vain un arsenal législatif, conçu dans un esprit de prudence, paraissait-il devoir cacher aux peuplades du Nord la merveilleuse boisson, la réputation de l’excellence des vins du continent s’était répandue partout, .et les barbares, attirés par la vigne, s’emparèrent de la Gaule, et y furent retenus par la vigne.

Dès leur premier établissement, ils songèrent à conserver les vignobles, cet objet de leur convoitise. Ils introduisirent dans leurs codes des dispositions légales pour protéger cette culture; la loi Salique et quelques dispositions pénales des Visigoths, condamnent à une forte amende les voleurs de raisins, |et des peines plus sévères sont prononcées par elles contre ceux qui arracheraient les ceps de vignes. Sous cette protection efficace, cette plante s’étend jusqu’en Bretagne, puisque sous le règne de Childebert, en 587, les bas-Bretons s’emparent des territoires de Nantes et de Rennes, et vendangent les vignobles de ces contrées. Elle envahit même les jardins royaux, et va mêler ses pampres aux fleurs qui entourent les châteaux des rois; puisque la femme de Childebert, la reine des Francs, donnait tous ses soins à un jardin qu’elle avait à Paris et qui était planté de de rosiers, d’arbres à fruits et de vignes.

Plus tard, sous Louis-le-Jeune, le Louvre a sa vigne, sur le produit de laquelle le Roi donne une rente annuelle de 6 muids de vin ou 16 hectolitres au curé de St-Nicolas des Champs; et à cette époque, les vins d’Orléans étaient déjà assez estimés, pour être servis sur la table royale, et offerts en signe d’alliance ou d’affection aux princes et aux rois, ou à des étrangers de distinction.

De l’étude des documents authentiques, il ressort que des règlements ou des lois protégaient la culture de la vigne, et qu’elle donnait des produits si considérables, qu’outre le fisc, elle était déjà assujettie à payer une redevance aux congrégations si puissantes de ces temps. C’est ainsi que Dagobert ordonna en 630 que, si le vigneron, en cultivant sa vigne, nuisait à la vigne de son voisin, il paierait le dommage occasionné aussi bien que l’amende. C’est ainsi qu’à la même date, toutes les vignes de Lutèce devaient payer une contribution à l’abbaye de St-Denis. Ces diverses ordonnances, comme les avantages qu’on retirait de la vigne, l’avaient faite considérer comme une culture sacrée; et «Chilpéric, dit Grégoire de Tours, ayant taxé chaque possesseur de vignes à lui fournir annuellement une amphore de vin pour sa table, il y eut une révolte en Limousin; l’officier chargé de percevoir ce tribut odieux, y fut même massacré.»

Charlemagne, le seul grand homme qui rayonne dans ces siècles obscurs, Charlemagne, dans la personne comme dans le nom duquel l’idée de la grandeur s’est incorporée, victorieux et réunissant sous son empire presque tous les peuples Européens, s’occupait de ses vignes, et dirigeait leur culture avec le plus grand soin. Les Capitulaires donnent la preuve qu’il y avait des vignobles dépendants de chacun de ses châteaux, avec des pressoirs et tous les ustensiles nécessaires à la fabrication du vin. Les palais mêmes de Lutèce, celui de la Cité et celui des Thermes, étaient entourés de vignes; et, après avoir ordonné de veiller à la bonne culture de ses vignobles, et aux commissaires royaux envoyés dans les provinces, d’assurer l’exécution de ses ordonnances, il entre avec les officiers de sa maison dans les plus grands détails sur le mode d’administration.

Le grand Empereur connaissait la valeur du vin, et par ordonnance de l’an 800, il charge les juges de ses terres, de bien pourvoir de vin ses châteaux et de lui faire connaître la quantité de vin vieux et de vin nouveau qui se trouvent dans ses celliers. — Il fut, pendant tout son règne, le protecteur éclairé de la culture de la vigne; il l’encouragea dans tout son empire, et c’est lui qui la fit planter près de Zurich, et sur les collines du pays de Vaud.

Sous son impulsion, la vigne a dû suivre dans ses progrès deux lignes opposées. S’étant propagée d’abord dans le Dauphiné, elle a été de là s’implanter sur les bords du Rhône et de la Saône; elle s’est arrêtée sur ces collines qui traversent la Bourgogne, pour courir de là dans la Franche-Comté, sur les bords du Rhin, sur les coteaux de la Marne et de la Moselle; l’autre ligne s’est dirigée vers le sud-ouest, vers le Languedoc, la Gascogne, la Bigorre, le Béarn et la Guienne.

La vigne s’établit partout, même en Normandie, même en Bretagne, même en Picardie. Et, il est encore de tradition populaire dans ces provinces, que les vignes du passé ont été arrachées au XIVe siècle, par les Anglais qui voulaient favoriser la culture de la vigne dans la Guienne dont ils étaient possesseurs, et qu’ils en agirent ainsi par la crainte qu’ils avaient pour les vins Bordelais, de la concurrence Picarde, Bretonne ou Normande. — La preuve de la culture de la vigne dans ces contrées se trouve partout. Richard III, duc de Normandie, donna au monastère de Fécamps le bourg d’Argentan qui produisait d’excellent vin. — Un gentilhomme Breton, voulant exalter sa patrie devant François Ier, lui disait qu’il y avait en Bretagne trois choses qui valaient mieux que dans le reste de la France, les chiens, les vins et les hommes. «Pour les hommes et les chiens, il peut en être quelque chose, reprit le roi, mais pour les vins, je ne puis en convenir, étant les plus verts et les plus âpres de mon royaume.» Enfin, on voit qu’Henri IV, dans la journée appelée l’erreur d’Aumale, perdit 200 arquebusiers à cheval, parce que les échalas des vignes de la plaine d’en bas les avaient retardés dans leur retraite. — Huet mentionne les vignobles de Caen et d’Amiens. Près de cette dernière ville existe encore un vignoble très-étendu; et, par une de ses chartes, Clotaire III autorise les moines de St-Bertin, à faire des échanges, et l’un des lots échangés est une pièce de terre complantée en vignes.

On trouve dans les vieilles chartes de cette époque, que le vin avait pénétré dans les habitudes des classes supérieures et du clergé, et régnait sur elle; et en 817, le Concile d’Aix-la-Chapelle régla, dans ses graves débats, que chaque moine recevrait par jour 5 livres pesant de vin et chaque chanoinesse trois livres, ce qui fait en moyenne une quantité telle, qu’il suffirait de quatre millions de buveurs comme ceux autorisés par le Concile, pour absorber la vendange toute entière que donnent nos vignes aujourd’hui. Ce fait n’est sans doute qu’une exception, car, on trouve dans une charte de Louis-le-Débonnaire, confirmée par son fils Charles-le-Chauve en 871, que ce roi fait donation annuelle à 120 moines au monastère de St-Germain, de 2000 muids de vin, ou environ le quart de la quantité que le Concile d’Aix-la-Chapelle avait concédée.

Bussel mentionne un compte des revenus de Philippe-Auguste, duquel il ressort que ce roi qui avait des vignes dans vingt localités de la France, devait encore acheter une assez grande quantité de vin pour sa provision; et des documents authentiques établissent que le vin à cette époque était excessivement cher. En 1328, lors du couronnement de Philippe de Valois, une queue de vin de Beaune fut vendue 56 livres, somme considérable pour ces temps.

Philippe-le-Bon se faisait toujours suivre dans ses voyages par les vins de ses domaines, qui devaient avoir de hautes qualités, puisqu’il en envoyait chaque année une certaine quantité à Charles-le-Téméraire.

En 1308, quand le siège pontifical s’établit en France, la table du Saint-Père était alimentée par les vignes dépendantes de l’abbaye de Cluny; et, quelques années plus tard, Urbain V rappelant ses cardinaux à Rome, Pétrarque peut lui écrire, qu’ils motivent leur refus d’obéir à cet ordre, sur ce qu’il n’y a pas de vin de Beaune en Italie.

Enfin, les vins de Beaune et d’Orléans jouissaient d’une grande réputation, puisqu’en 1510, la reine fit porter à Blois trois barrils de vin vieil de Beaune et d’Orléans, pour en faire présent aux ambassadeurs de Maximilien qui se rendaient auprès du roi, alors à Tours.

Nous devons aussi dire que les Croisés rapportèrent, de leurs stériles expéditions, des cépages de Chypre, d Alexandrie et de la Palestine; plantés aux pieds des Pyrénées, ils s’y sont facilement acclimatés, et ont produit les vins de Lunel, Frontignan et autres.

A partir du quatorzième siècle, une immense impulsion est imprimée à la viticulture, et la vigne s’étend partout avec une rapidité incroyable; les propriétaires dirigent eux-mêmes cette culture; les ducs de Bourgogne la protègent ouvertement. On trouve dans plusieurs de leurs chartes, qu’ils se flattent d’être seigneurs immédiats des meilleurs vins de la chrétienneté, à cause de leur bon pays de Bourgogne, plus famé et renommé que tout autre en croît de vin. Les rois eux-mêmes s’occupent, comme nous l’avons vu, de viticulture et d’agriculture, cette belle science, dit Olivier de Serres, qui s’apprend en l’école de la nature, qui est provignée par la nécessité, et embellie par le seul regard de son doux et profictable fruit.

Pour la masse de la population, elle ignorait complètement l’usage du vin; tout ce que la France pouvait produire était consommé par les nobles et le clergé. Mais la richesse que la vigne répandait partout, dût nécessairement appeler les lois fiscales, qui pesèrent si lourdement sur elle, que sa culture devint bientôt une charge; et les produits rémunérateurs disparurent devant les contributions de toutes sortes qui traquaient partout le vin. Toutefois, les vignes s’étendirent, malgré les entraves qu’on leur avait imposées; et, en 1789, elles occupaient une surface de terrain peu inférieure à celle qu’elles occupent aujourd’hui, et pouvaient satisfaire ainsi aux besoins intérieurs assez restreints, des époques qui ont précédé la Révolution.

Comme on le voit par tout ce qui précède, dans les temps anciens comme dans les temps modernes, à l’étranger comme en France, la vigne a été toujours et partout aidée et encouragée, comme étant essentiellement colonisatrice et civilisatrice, comme aidant dans une immense proportion aux progrès des peuples, comme donnant des produits rémunérateurs de beaucoup supérieurs à ceux fournis par les autres plantes cultivées. — Et cependant, malgré tous les bienfaits qu’elle répandait autour d’elle, malgré l’énorme impôt qu’elle payait au fisc, elle n’a pu échapper à des persécutions impolitiques qui l’ont frappée en France, et que nous allons très-sommairement raconter.

Dans le premier siècle de notre ère, en 92, Domitien ordonna par un édit que dans quelques provinces qui produisaient du vin, la moitié des vignes existantes. alors serait arrachée, et que, dans d’autres, spécialement en Gaule, les vignes seraient entièrement détruites. Cet édit impolitique et barbare, eut pour motif une disette de grains qui affligeait le monde à cette époque. — Comme si la vigne occupe les terrains qui peuvent donner des blés; comme si, de tout temps, elle n’a pas fait choix des sols en pente qui ne peuvent être consacrés à d’autres cultures. — Cette loi sauvage fut exécutée par la terreur qu’inspirait le monstre qui l’avait rendue, et tous les vignobles furent anéantis. Quelques années plus tard, on fait parvenir jusqu’à Domitien un distique latin qui disait: «que, quoiqu’il fit, il resterait toujours assez de vin, pour les libations du sacrifice dont il serait la victime» ; et la sinistre prédiction ne tarda pas à s’accomplir.

Ce n’est que deux siècles plus tard, que Probus, après avoir assis son autorité sur la victoire et sur la paix, abrogea l’édit de proscription qui frappait les vignes de la Gaule. Cet empereur qu’on a déjà vu fonder le vignoble de Hongrie, donna la plus vive impulsion à la restauration des vignobles, et ordonna même aux légionnaires de mettre leur travail au service des habitants qui voudraient replanter les terrains dévastés. Dunod, et après lui, Chaptal font de l’activité enthousiaste qui s’empara des populations Gauloises, un tableau que nous n’essayerons pas de reproduire, de crainte d’en affaiblir l’effet.

Quand l’empire Romain croulait de toutes parts, les tribus franques donnèrent aux Gaules un nouveau Domitien. Chilpéric, l’époux de Frédégonde, celui que ses contemporains, comme l’histoire, ont surnommé le Néron des Francs, établit un impôt sur les vignes, impôt par lequel le dixième de l’évaluation de la récolte devait être payé au fisc en argent. Cette taxe odieuse, que nous avons signalée, cette taxe qui était à peu près égale à celle prélevée déjà par le clergé, et qui mérite d’être énergiquement stigmatisée, devait être payée, qu’il y eût ou non récolte.

Depuis Chilpéric, la vigne trouve un nouveau persécuteur dans Charles IX qui, par son ordonnance de 1566, décréta la destruction d’une partie des vignobles, et défendit toute nouvelle plantation. Cette ordonnance ayant pour motif, comme celle de Domitien, une disette de grains, est aussi odieuse que ridicule; comme si l’on pouvait assigner des bornes aux développements de l’industrie humaine, comme si l’on pouvait la comprimer et la retrécir par une législation ignorante et aveugle. Et, si l’on substitue le mot vignerons au mot buveurs dont se sert Grégoire de Tours, combien n’a-t-il pas raison de s’écrier: «C’est une remarque dont les buveurs surtout doivent triompher, que les deux princes, Charles IX et Domitien, qui proscrivirent les vignes en France, aient été, l’un, l’auteur de la St-Barthélémy, l’autre, un des plus abominables tyrans qui aient affligé le monde.»

L’ordonnance de 1566 fut suivie par celle de 1577, rendue par Henri III; tout propriétaire ne pouvait avoir en prés et en vignes, que le tiers de son domaine. Cette ordonnance eut pour conséquence, comme son aînée, la restriction de la culture de la vigne, la presque impossibilité de toute nouvelle plantation. — On est aujourd’hui tout surpris de voir des aberrations si monstrueuses, formulées en lois d’un pays.

Enfin, sous Louis XV, et le 5 juin 1731, il fut rendu Une nouvelle ordonnance sur le rapport d’un contrôleur de finances, nommé Ory, ordonnance qui, défendant toute nouvelle plantation, enjoignait de détruire les vignes qui seraient restées deux ans sans culture; le tout, sous une clause pénale de 3,000 fr. d’amende ou d’une punition plus forte; et pour assurer l’exécution de cette ordonnance, le syndic de chaque paroisse fut déclaré passible d’une amende de 200 fr., pour chaque infraction qu’il n’aurait pas dénoncée. — Le plus grand éloge qu’on puisse faire de la vigne, n’est-il pas dans ce fait d’avoir mérité des ennemis tels que Domitien, Chilpéric, Charles IX, Henri III et Louis XV? Et si elle a soulevé contr’elle une telle conjuration, n’est-ce pas, parce qu’en faisant naître les idées généreuses et fortes, elle est en même temps la plante essentiellement civilisatrice?

Heureusement qu’on peut opposer à ces tristes souvenirs les améliorations toujours croissantes de la viticulture en France. — Que d’hommes, depuis 1760, ont brisé les carrières qu’ils avaient exercées avec honneur et distinction, ou renoncé à un avenir brillant et assuré, pour aider au progrès de cette branche de l’industrie nationale, qui a recueilli cette phalange si distinguée que pleuraient la littérature, les arts, la guerre, la magistrature et l’administration; et, parmi eux, l’abbé Rosier, Bosc et Chaptal ne doivent-ils pas être mentionnés en première ligne?

Depuis 1760 jusqu’à 1830, rien n’arrêtait l’extension de la culture de la vigne; et cependant, malgré la richesse qu’elle emmène avec elle, sa surface ne s’est pas agrandie. Avant le règne de Louis-Philippe comme sous son gouvernement, un mouvement insensible d’abord puis chaque jour plus fort, se fit sentir. Des Comices, des Sociétés d’agriculture, des Congrès surgirent, qui agitèrent et résolurent plusieurs grandes questions de la viticulture; et ce mouvement fut surtout aidé par le duc de Cazes et le comte Odart, qui, tous deux, avec un cœur généreux et une grande intelligence, parvinrent à faire aimer de beaux noms par les bons et utiles enseignements qu’ils répandaient.

Mais c’est seulement de 1856, que commence pour la viticulture française une ère de développement rapide et de prospérité sans égale; ère toute d’avenir, dûe autant aux lois économiques nouvelles introduites dans nos règlements administratifs, qu’à l’entraînement que le docteur Guyot à su mettre dans sa propagande. C’est à cet entraînement que nous devons en grande partie l’élan de tous les esprits vers la viticulture.

Le docteur Guyot se distingue par un rare mouvement d’idées. Dans ses pages si spirituelles et si saisissantes à la fois, dans ses aperçus économiques si pleins de sympathie pour toutes les causes généreuses, l’éminent viticulteur montre à chaque ligne les qualités élevées de l’esprit, les nobles aspirations de l’âme, qui l’ont soutenu dans cette lutte qui a dévoré la plus large part de sa vie.... Quand un homme est, comme lui, animé de la passion de la vérité et du bien général, quand il ne s’arroge pas le droit de se désintéresser de humanité, il est en butte aux coups de l’envie et de la jalousie; et l’intérêt vient trop souvent lui disputer ce qui lui appartient si légitimement et qu’il donne avec tant de générosité ; mais il s’exhale toujours de ses lignes quelque chose qui lui fait des défenseurs.... Infatigable dans ses travaux, ardent jusqu’à l’enthousiasme dans son abnégation en faveur des intérêts viticoles de la France, M. Guyot, avec une persévérance aussi consciencieuse qu’éclairée, a triomphé de toutes les difficultés, de tous les obstacles, pour s’approprier les meilleures méthodes culturales; et, son livre, en même temps qu’il charme et qu’il séduit, est le meilleur guide pour le viticulteur de la France entière.

Le grand service qu’a rendu le docteur Guyot, c’est d’avoir fait grandir au milieu de la lassitude universelle et du découragement, un parti sincère et courageux, bien résolu à combattre pour les intérêts généraux, trop souvent oubliés ou sacrifiés. Ce parti a compris, que c’était une grande et belle mission que de discuter les principes, de les formuler et de les fixer, de manière à convaincre tous les incrédules. Car, si la viticulture a eu jusqu’à nos jours tant de peine à se développer et à se perfectionner, c’est moins par la mauvaise volonté des gouvernements, que par l’inintelligence des méthodes employées, méthodes que le passé avait léguées et qui étaient aveuglément acceptées.

La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest

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