Читать книгу La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest - Romuald Dejernon - Страница 23
LE VIN DANS LE PASSÉ ET A L’ETRANGER.
ОглавлениеComme nous l’avons déjà vu, le vin jouait un rôle immense dans la vie publique comme dans la vie privée du peuple Israélite. En vain, les prophètes juifs s’élevaient-ils de temps en temps contre l’intempérance du peuple de Dieu, celui-ci n’en continuait pas moins à fêter gaîment les vins d’Israël, du Carmel et du Liban qui étaient les crus les plus renommés de la Judée.
En Egypte, l’usage du vin avait pénétré si profondément dans les mœurs, que les peintures conservées de cette nation nous montrent à chaque instant, d’un côté, la vigne formant de beaux et frais abris, de l’autre, les amphores pleines de vin avec les vignerons qui recueillent la précieuse récolte. — Le vin de Méroé, selon Anderson, avait quelque ressemblance avec celui de Falerne. Ce vin, qui était la boisson favorite de Cléopatre, n’aurait pas cependant la valeur que l’antiquité lui accorde, s’il faut s’en rapporter à une épigramme de Martial qui dit que, malgré la chaleur du climat, tous les vins de l’Egypte manquaient de qualité.
En Grèce, les vins les plus estimés étaient ceux produits par Sicyone, Leucade, Eubée et Chypre; et le docteur Anderson, d’accord avec d’autres auteurs Grecs, met au premier rang les vins de Lesbos, Chio et Thasos. Celui de Lesbos, dit-il, avait moins de parfum, mais plus de saveur; celui de Thasos était généreux et doux, et s’améliorait en vieillissant. — Et le docteur Clarke apprend que l’île de Chio, qui a conservé la célébrité de ses vins, a gravé sur ses médailles qui sont communes dans le Levant, des emblèmes qui ont toujours rapport à l’excellence de ses produits. — Le vin de Chio avait une telle réputation à Rome lorsqu’il y fut introduit, et il était si rare, que, sur les tables les plus riches, on n’en versait qu’une coupe à chaque convive.
S’il faut en croire Pline, les vins de la Gaule étaient loin de valoir ce qu’il valent aujourd’hui, et les grands vins de l’antiquité étaient presque tous fournis par l’Italie. La Campanie produisait le Falerne. Le vin de Cécube, récolté dans les marais d’Amyclée, jouissait d’une grande réputation; mais, d’après le même auteur, Auguste préférait le Létos, dont Horace n’a cependant jamais parlé. — Virgile, après nous avoir appris l’art de cultiver les vignes, se joint à Columelle, à Caton et à Pline, peur exalter tous les services rendus par les vins Italiens; et, Horace, après avoir célébré les vins antiques, nous en fait savourer avec lui le parfum et l’arôme.
Les auteurs anciens nous apprennent que les Romains avaient autant besoin de vin que de pain. Et Suétone mentionne les troubles qui éclatèrent sous Auguste, et qui puisaient leur source dans la cherté de cette boisson. Aurélien, pour s’attacher le peuple de Rome, forma le projet de faire distribuer du vin gratuitement à tous les Romains; mais n’ayant pu l’accomplir, il dût se contenter d’en déposer dans le temple du Soleil, pour être vendu au peuple à très-bas prix. Enfin, un édit de Niger nous apprend que, pendant toute la durée de son service, on en donnait de fortes et journalières rations à toute l’armée.
Dans toutes les belles choses du passé, c’est le vin qui joue le principal rôle. Et, dans les fêtes données à Bacchus, qui, comme nous l’avons déjà dit, ont donné naissance au théâtre ancien, les premiers chants inspirés par lui furent des prières, des hymnes de reconnaissance envers Dieu. Plus tard, ce furent des chants patriotiques qui, enflammant le courage, armaient les peuples et les poussaient à la défense du territoire; puis, vinrent les vers qui pleuraient avec le malheur et pactisaient avec l’opprimé ; et de la combinaison de ces éléments divers naquit le théâtre.
C’est le vin qui inspirait les Bardes, ces poètes et ces législateurs des temps obscurs. Après avoir exalté les faits d’armes dans les combats, leurs harpes prenaient au foyer domestique des sons graves et doux, pour dire ces chants qui devenaient les lois des peuples, et les moralisaient aussi. — C’est enfin le vin qui créa les Troubadours, ces poètes du peuple qui, effleurant tous les sujets, jettèrent dans les masses les principes de la gaie science.
Nous ne parlerons pas de l’histoire des vins à l’étranger, ni de l’influence que cette boisson a toujours conservée sur les mœurs et sur les idées des populations; un fait seulement. Chardin rapporte que l’ivresse est considérée par certaines nations asiatiques comme une vertu, et il ajoute qu’un Géorgien qui ne s’énivre pas à Pâques et à la Noël, ne passe pas pour chrétien et qu’on l’excommunie.
Nous ne mentionnerons non plus qu’un seul vin, le plus célèbre de tous les vins étrangers, le Tokai. Ce vin délicieux se récolte sur le Hégyallja et à Tallya, sur le lieu même où Probus fit planter les vignes dont Claudien en 423 chantait les produits.
Une légende antique, renouvelée depuis trois cents ans, se rattache à ce vignoble. On prétend que l’or se mêle au vin dans les grappes de ces vignes fortunées; et un médecin célébre de la Hongrie rapporte qu’en 1561, on porta à Patak à Georges Rakotzki des grappes de raisins entre les grains desquels brillait l’or; et qu’ayant, sur l’invitation qui lui en fut faite par ce prince, pressé les grappes entre ses doigs, l’or tomba à terre. Une description de la Hongrie qui est à la date de 1743, dit aussi: «L’or natif s’y voit tantôt adhérent aux fruits, tantôt répandu sur les feuilles, ou formant des grains dans le raisin même.» Sans nous arrêter davantage à ces légendes, citons deux faits qui élèvent aussi haut que le merveilleux qu’elles renferment, la réputation des vins de Tokai.
La politique de François Rakotzki lui faisant une loi de s’attacher le roi de Prusse, il ne trouva pas, pour atteindre son but, de moyen meilleur et plus infaillible, que d’envoyer à ce prince 150 bouteilles de ce vin fameux. — Enfin, au Concile de Trente, le pape Pie IV réunit dans un repas tous ses cardinaux, et leur fit servir les meilleurs vins de France, d’Espagne et d’Italie. Le cardinal Hongrois Draskovitch, l’un des convives, présenta alors au Saint-Père un vin qu’il avait apporté avec lui. A peine le pape y eut-il trempé les lèvres, que le déclarant supérieur à tous les autres, il demanda d’où il était: «De Tallya,» lui répondit l’évêque. Et le Saint-Père ajouta dans une spirituelle inspiration: «Sacrum pontificem talia vina decent.»