Читать книгу La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest - Romuald Dejernon - Страница 32
L’IMPOT.
ОглавлениеSi l’on parcourt quelques campagnes viticoles, et si l’on observe la pauvreté relative e quelques vignerons, on se sent tenté de faire remonter la responsabilité de ce malaise jusqu’à la vigne; mais si l’on se livre à un examen plus approfondi, si l’on sonde la plaie, et qu’on descende jusqu’à sa cause, on trouve que ce malaise est dû presque en entier aux charges si injustement réparties, qui accablent les vignes comme les vins qu’elles produisent; on s’apperçoit alors, que la viticulture aurait fait infailliblement la fortune du propriétaire comme la prospérité de la France, si la richesse de ses produits n’avait séduit le fisc et l’octroi. — A certaines époques ils se sont jetés sur la vigne avec une insatiable avidité ; ils ont paralysé ou écrasé sa production; ils ont traqué et pressuré les vins, avec plus de furieux acharnement qu’ils n’en eussent mis, si le vin, au lieu d’être une boisson salubre et fortifiante, en même temps qu’une nourriture saine et agréable, eût été le plus dangereux, le plus mortel des poisons.
Depuis le moment où un cep était planté, jusqu’à celui où son vin se servait sur la table du consommateur, toujours l’industrie viticole était soumise à mille impôts qu’il lui fallait payer, à mille tourments qu’il lui fallait endurer; taxes et surtaxes de toute nature et de toute provenance: impôt au profit de l’Etat sous le nom de droit d’entrée, de passavant, d’acquit-à-caution, de droit de circulation, de licence, de navigation, etc. L’impôt foncier pesait aussi sur les vignobles d’un double poids, et lui était appliqué avec une souveraine injustice.
La terre plantée en vigne ne payait pas seulement l’impôt foncier comme terre, elle le payait également comme vigne; qu’un terrain complètement stérile et infertile, de la dernière classe et côté pour un revenu nul, fût planté en vignes; aussitôt cette transformation opérée, quoiqu’elle ne dût conduire le propriétaire à un revenu que dans plusieurs années, ce sol payait une contribution de beaucoup supérieure à celle des meilleures terres arables, des meilleurs prés; aussi la vigne, loin de vivre prospère et florissante, agonisait sous le lourd fardeau de l’impôt, direct ou indirect. Pouvait-il en être autrement, devant le compte suivant, sincère et Vrai, qui est le prix de revient d’une barrique de 316, de 655 litres, expédiée de Narbonne à Paris en 1843.
Pour que les vins eussent pu se répandre partout et faire naître une prospérité durable, il eût fallu qu’ils n’eussent plus été grevés de certains droits qui les écrasaient, en élevant, à trois et quatre fois leur valeur, la différence du prix de vente et du prix payé par le consommateur. — D’éloquentes révélations nous sont faites Par les statistiques du passé ; et l’impôt excessif que Payait le vin, frappait surtout les classes pauvres, Parce que la qualité du vin, qui cependant assure sa vente et élève son prix, n’entrait pas, comme élément, dans l’appréciation de la taxe qu’il supportait, et que cette dernière était la même pour tous les vins. — En 1369, un droit fut établi par les États-Généraux sur l’entrée des vins à Paris; mais ce droit, plus juste et moins impolitique que celui qui régissait les années qui nous ont précédés, s’appliquait avec plus de sévérité aux vins d’élite, destinés aux tables riches, qu’à ceux qui devaient devenir la boisson du pauvre; le vin commun ne payait que 15 sons par queue, tandis que ce chiffre s’élevait à celui de 24 sous, pour les vins de Bourgogne et pour les vins fins.
Toute mesure trouve des approbateurs. La fiscalité odieuse qui, frappant les vins, poussait à la mauvaise production, et à une falsification aussi dangereuse pour la santé du corps que pour celle de l’intelligence; cette fiscalité, qui jetait la mauvaise foi dans le commerce et compromettait ainsi l’une des grandes richesses, comme l’une des gloires de la France, trouva, elle aussi, de chauds et puissants défenseurs, qui appelèrent à leur aide les idées comme les choses les plus sacrées. Ils invoquèrent la morale, l’ordre, la religion, pour pouvoir attaquer l’immoralité du cabaret et les suites fâcheuses qu’elle entraîne après elle. Ces champions d’une cause vieillie, qui s’étalaient chaudement et confortablement dans des cercles somptueux, faisaient sans doute partie d’une société de tempérance, dont ils savaient chez eux et ailleurs enfreindre les lois; mais aujourd’hui, au point où sont parvenues les connaissances économiques,, de telles raisons ne peuvent plus être discutées et doivent disparaître. Il serait en effet absurde, sous le prétexte de tempérance, de frapper des populations entières et de leur interdire l’usage du vin, si nécessaire à la réparation de leurs forces. On ne peut plus volontairement oublier que la classe pauvre, industrielle ou agricole, qui vit de salaires journaliers, ne peut acheter son vin et ses aliments qu’au détail; et que, par suite, la loi fiscale qui a régi tout le passé, frappe infiniment moins l’ivrognerie que les premiers besoins de la famille du peuple. On ne doit plus oublier qu’en excédant de charges, sous un prétexte mensonger, une boisson nutritive et fortifiante qui est de première nécessité pour l’ouvrier, on enlève en même temps au producteur de vins le débouché le plus large, qui lui assurerait l’écoulement de ses produits.
Le moment est arrivé pour le législateur, d’opérer Une révolution complète dans le système d’impôts, directs ou indirects, qui régissent les vignes et les boissons.. Par leur accroissement et leur multiplication, par l’exagération de leurs taxes, par l’absurdité de leur assiette qui frappe, non la valeur du produit, mais les frais dont il est déjà grevé ; par l’action néfaste qu’ils exercent sur les intérêts généraux du pays comme sur son avenir; par la fausseté du caractère qu’on leur a donné jusqu’à ce jour, caractère qui est en opposition directe avec l’esprit comme avec la lettre de nos institutions; par la vexation incessante que leur perception inflige au producteur comme au consommateur, ces impôts éveilleront la sollicitude du gouvernement qui, avec ses tendances progressives et démocratiques, voudra radicalement réformer un pareil système.
Il y a un principe incontestable aujourd’hui, et qui doit régir tout ce qui, de près ou de loin, tient à l’alimentation publique; c’est d’alléger autant que possible les impôts qui grèvent les produits de première nécessité ; or, le vin est aussi nécessaire à la population ouvrière que le pain. — Ce principe seul, appliqué dans toute sa franchise et dans toute son étendue, pourra résoudre le problème posé par la société actuelle, comme par l’avenir: la vie à bon marché.