Читать книгу La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest - Romuald Dejernon - Страница 25
LES VINS DE FRANCE.
ОглавлениеDieu n’a donné qu’à la terre française les qualités essentielles qui font les grands vins; il a marqué la France d’un signe particulier. D’autres nations qu’elle, la Hongrie, Madère, l’Espagne, le Portugal, en produisent bien de justement renommés. Mais tous ces vins, trop chargés d’alcool, ne peuvent être consommés qu’à faible dose, parce qu’ils impriment au système nerveux un ébranlement souvent dangereux. La France seule possède dans ses éléments géologiques, dans les rayons de son soleil, dans les courants de son air, dans ses accidents topographiques, ces précieuses qualités lui donnent au produit de ses vignes, la tonicité, l’arme, la couleur, la délicatesse et la limpidité. Elle seule dans le monde peut faire naître ces vins variés à l’infini, qui conviennent à toutes les constitutions, en même temps qu’ils flattent tous les caprices du goût.
Jusque dans ses contrées les moins favorisées, la France a produit de tout temps des vins qui ont joui d’une faveur signalée, d’une grande réputation, et la preuve nous en est fournie par les chroniqueurs et les historiens du commencement de la Monarchie française. Paris et ses environs avaient des vignes qui fournissaient les vins consommés à la table du roi par ses commensaux. En 1160, Louis VII récolta dans l’île aux Treilles un vin si précieux, qu’il en donna six muids au chapelain de la Sainte-Chapelle. Et, à cette même époque, dans l’enceinte de Paris se trouvaient des vignobles renommés appartenant à des ordres religieux, pour le compte desquels ils étaient cultivés avec le plus grand soin. — On voit encore que sous Philippe-le-Bel, un bourgeois possédait dans Paris un clos qu’il légua aux Chartreux de cette ville; et à suite de ce don, cette congrégation; conçut une si vive reconnaissance pour le donateur, que son corps fût inhumé dans le grand cloître avec la plus grande pompe. — Patin, en 1669, célébrant le pain de Gonesse, et les grands vins de France, fait figurer le vin de Paris parmi les meilleurs. Enfin, la réputation de ces vins s’était même étendue à l’étranger, comme cela ressort des écrits légués par Badio, auteur Italien, et par Sachs, auteur Allemand.
En 1200, parût un fabliau, appelé la bataille des vins, que Le Grand d’Aussy rapporte, et dans lequel figurent avec honneur les vins des environs de Paris. — Dans le fabliau d’Andely, tous les vins de France se présentent devant le gentil roi Philippe, qui a pris pour conseiller «un prêtre anglais, son chapelain, et cervelle un peu folle, qui, l’étole au cou, se chargea d’un examen préliminaire.» Après avoir excommunié et chassé certains vins communs qui commençaient le défilé , après leur avoir sévèrement interdit l’entrée de toute réunion où se trouveraient «d’honnêtes gens», le prêtre n’eût pas à s’occuper d’autres vins moins mauvais, mais encore inférieurs, qui, devant ce début sévère «tournèrent d’effroi.» «La salle un peu débarrassée de cette canaille,» le fabliau fait passer devant le chapelain les vins qui ont de la réputation et qui sont d’une excellence incontestable. Tous se présentent devant lui «sans rougir» et sont reçus avec les honneurs qui sont dûs à leur mérité. Après les avoir goûtés, et, «trouvant alors que le vin valait un peu mieux que la cervoise de sa patrie, le chapelain jeta une chandelle à terre, et excommunia toute boisson faite en Flandre, en Angleterre et par delà l’Oise.»
On dit partout qu’Henri IV buvait du vin de Suresnes avec les huîtres qu’on lui servait. Ce fait, si généralement accrédité, est cependant très-contestable, s’il faut s’en rapporter à la note agronomique de M. Musset-Pathai, note que nous devons à M Rey, membre de la Société des antiquaires, et qui est ainsi conçue: «Il y a aux environs de Vendôme, dans l’ancien patrimoine de Henri IV, une espèce de raisins que l’on nomme Suren; il produit un vin blanc très-agréable à boire, et que les gourmets conservent avec soin, parce qu’il devient meilleur en vieillissant.» Ne serait-il pas possible que ce vin, aimé par le roi, fut dès-lors trouvé excellent par les courtisans, qui lui auraient donné de la vogue et de la réputation? Quoiqu’il en soit, le vin de Suresnes devait avoir encore quelques hautes qualités au commencement du XVIIIe siècle, puisque Chaulieu nous montre son ami, le marquis de la Fare, homme de goût et d’excellente compagnie, allant boire à Suresnes un vin, qui le troublait au point qu’il ne pouvait retrouver la porte du logis.
Le vignoble d’Orléans a eu, lui aussi, une réputation qui est bien déchue de nos jours, et ils sont loin les temps où Louis-le-Jeune, écrivant de la Palestine à Suger et au comte de Vermandois, régents du Royaume, leur enjoint «de donner à son cher et intime ami Arnoult, évêque de Lysieux, soixante mesures de son très-bon vin d’Orléans.» Boileau, dans ses satyres comme dans son diner, fait peu l’éloge de ces vins; et, avant l’existence du satyrique français, Pierre Gaulthier de Rohanne mentionne une ordonnance, à laquelle le grand-maître de la maison du Roi très-chrétien jurait de se conformer, et qui défendait de servir du vin d’Orléans sur la table de Sa Majesté. — Cependant les chroniques nous apprennent que quelques vins de la Loire, alors fort estimés, étaient la boisson ordinaire des rois d’Angleterre, de la maison Plantagenet, et qu’ils figuraient avec honneur parmi les meilleurs vins de France.
Sans nous étendre davantage sur des vins dont le renom s’est éclipsé ou a pâli devant d’autres réputations mieux assises ou plus nouvelles, nous allons rapidement mentionner les crus qui font l’honneur comme la fortune de la France. Depuis plus de 15 siècles, l’accueil favorable qu’on fait de toutes parts à nos vins ne s’est pas affaibli, et il ne peut que grandir devant les nouveaux traités de commerce, qui vont en permettre l’introduction dans le monde entier. Mais avant d’aborder l’exposition de nos grands vins actuels, une observation doit être faite.
Par les documents anciens, il est appris que le moyen-âge a produit d’excellents vins dans toute la France; mais que, pour la plupart, ils étaient dûs à des terrains appartenant à l’église. Là sans doute est l’origine de la réputation des vins théologiques; on comprend, en effet, comment les Chapitres qui possédaient ces vignes pouvaient se consacrer aux soins nécessités par leur culture et par la vinification de leurs produits, si l’on veut se rappeler, qu’en même temps qu’ils étaient les dépositaires de toutes les connaissances du temps, ils en étaient aussi les seigneurs les plus vénérés; et que le respect qu’inspiraient leurs personnes, s’étendait jusqu’ aux terres dont ils étaient les suzerains. C’est aux Bénédictins que nous devons Johannisberg, comme la plupart des grands vignobles qui ont jeté tant d’éclat sur la France viticole. C’est encore à leur initiative, comme à celle des puissantes associations religieuses de cette époque, que nous sommes redevables des meilleurs vins de Bourgogne, de Champagne et des bords du Rhin.
Notre nation possède dans 78 de ses départements, des vins exquis dont les diverses qualités doivent être appréciées dans le monde entier, maintenant que les barrières qui s’opposaient à leur exportation sont détruites.
En première ligne doit figurer le Bordelais, qui produit des vins légers et toniques à la fois, dont la saveur et l’arôme ne se trouvent aussi agréables en aucune autre contrée du monde. Ses crus les plus renommés sont: pour les vins rouges, ceux de Château-Laffite, de Château-Latour, de Château-Margaux, de Branne-Mouton, de Haut-Brion et de St-Emilion. Après ceux-là viennent: St-Julien, St-Estèphe, Pouillac et Pessac. Et, pour les vins blancs, ceux de Sauterne, Grave, Blanquefort, Haut-Barsac, Preignac et Langon.
Les vins de Bordeaux ont été justement appréciés depuis le commencement de notre ère, puisque Auzone qui vivait au IVe siècle, en parle avec éloge dans plusieurs de ses écrits. — Mathieu Paris, mentionnant le mécontentement des habitants de la Guienne, dit qu’ils auraient secoué le joug Anglais depuis longtemps, s’ils n’avaient eu besoin de l’Angleterre pour le débit de leurs vins. Le vin de Bordeaux a été en effet peu répandu en France jusqu’à Louis XIV qui, étant allé à Libourne, et ayant goûté du St-Emilion, dit que «ce vin était du nectar», et jusqu’à Richelieu qui, nommé gouverneur de la Guienne par Louis XV, vanta et répandit à son retour à Paris, les vins qui avaient charmé son exil de la capitale: — Tout ce que produisait le territoire Bordelais était l’objet d’un grand commerce extérieur, et s’adressait peu à la consommation intérieure. — On voit dans le Catalogue des rôles Gascons, comme dans plusieurs arrêts du parlement de Bordeaux, que les rois d’Angleterre Edouard II et Edouard III ne buvaient que des vins de cette contrée, et spécialement des vins de St-Emilion; et que le prix de ces vins était si élevé, que le tonneau se vendait jusquà 2,400 fr. au sortir du pressoir. Aussi, justement fiers de l’excellence comme du haut prix de leurs vins, les Bordelais ont toujours dédaigné de se mêler aux querelles qui ont divisé si longtemps les Bourguignons et les Champenois, au sujet de la suprématie de leurs vins.
La Bourgogne compte parmi ses crus les plus estimés, le Clos-Vougeot, le Chambertin, le St-Georges, le Volnay, le Pomard, le Beaune, le Nuits, le Romanée, le Tonnerre, le Chablis, le Macon. — Les vins de Bourgogne ont eu de tout temps une réputation européenne. En 1234, le Pomard est cité avec éloge par Paradin, qui ajoute que les rois de l’Europe appellent le duc de Bourgogne, le prince des bons vins; et lorsque Grégoire XI rétablit à Rome le siège pontifical et quitta Avignon, ses cardinaux durent faire transporter de la Bourgogne les vins produits par cette province, «vins plus généreux et plus agréables que les boissons épaises et crues des vignes Romaines». Le Vougeot, le plus célèbre clos de la contrée, a été créé par l’ordre des Bernardins de Citeaux qui eurent, en le plantant, l’ambition de faire le premier vin du monde.
Des chartes authentiques établissent qu’en 680, la vigne était cultivée à Auxerre, et les meilleurs crusse la contrée, en renom déjà depuis plusieurs siècles. — En 1227, on considérait le vin d’Auxerre, comme le meilleur de l’Europe. En 1370, Charles V en faisait son ordinaire, exemple qui fut suivi par Charles VI, Louis XI et Henri IV. Enfin, Louis XIV, en 1680, l’appelle à l’honneur de sa table; et Louis XV, qui le préférait à tous les autres vins, en buvait à chaque repas. — Rabelais mentionne l’excellence des vins de ces contrées, lorsqu’il nous parle de l’évêque François de Diutéville, et de la propagande qu’il faisait avec tant de chaleur pour son excellent vin de Migraine: «Le noble pontife, dit-il, aimait le bon vin, comme fait tout homme de bien; pourtant avait-il en soin et cure spéciale le bourgeon, père aïeul de Bacchus; or, est que plusieurs années, il vit lamentablement le bourgeon perdu par gelées, bruines, frimats, verglas, froidures, grêles et calamités, advenus par les fêtes de St-Georges, Marc, Vidal, Eutrope, Philippe, Ste-Croix, l’Ascension et autres, qui sont au temps que le soleil passe sous le signe de Taurus, et entra en ceste opinion que les saints susdits étaient saint greleurs, geleurs et gasteurs de Bourgeon; pourtant voulait-il leurs fêtes translater en hiver, entre la Noël et la Tiphaine (ainsi nommait-il la mère des trois rois), les licenciant en tout honneur et révérence, de gréler lors et geler tant qu’ils voudraient, la gelée lors en rien ne serait dommageable, ains évidemment profictable au bourgeon. En leurs lieux mettre les fêtes de Saint-Christophe, Saint-Jean Décoltats, Sainte-Magdeleine, Sainte-Anne, Saint-Dominique, Saint-Laurent, voyre la my-août colloquer en mai.»
La Champagne produit des vins dont la réputation s’étend sur le monde entier. Les crus d’Ay, Sillery, Mareuil, Epernay sont connus partout. Cette vogue qui avait existé dans le passé, et qui tendait à s’éteindre, fut rendue aux vins si justement estimés de ces contrées, par les courtisans de Louis XIV, qui accompagnèrent ce roi à son sacre. Les annales du passé nous offrent, à chaque pas, les preuves du rôle immense qu’ont joué ces vins jusque dans la politique. — En 1397, Venceslas, roi des Romains et de Bohême, vint en France pour asseoir les bases d’un traité qu’il voulait négocier avec Charles VI. Dans une réception royale qu’on lui fit à Rheims, on lui servit les meilleurs vins de la Champagne; et ce monarque, épris de cette délicieuse boisson, et craignant de devoir en interrompre trop vite l’usage, traîna en longueur, autant qu’il le pût, la signature du traité. Il sacrifia même, dit-on, l’intérêt de ses sujets et le sien propre, au bonheur qu’il avait de boire du Champagne. Enfin, ne pouvant plus atermoyer, il finit par signer gaîment ce que demandait Charles VI. — Le Sillery a été amélioré par les soins que la maréchale d’Estrées fit donner à sa fabrication, et il a porté longtemps, pour ce fait, le nom de vin de la Maréchale. — Henri IV, qui était au plus haut degré un fin connaisseur, se donna le titre de Sire d’Ay, à cause de l’excellence des vins de ce nom; et le pape Léon X avait en Champagne un agent qui lui expédiait les meilleurs vins de chaque récolte. — Mais le plus ancien document que l’on possède sur le vignoble champenois, est le testament de St-Rémy à la date de la fin du Ve siècle, testament par lequel il partage entre son neveu et le clergé de Rheims, le vignoble qu’il a fait planter auprès de cette ville. — Un autre document apprend aussi qu’au Xe siècle, un saint évêque de Laon, grand connaisseur, pronait les vins de Champagne, et les donnait comme étant très-favorables à la santé. Enfin, tout le monde sait, que le commerce de ces vins doit surtout son grand développement à l’abbé Godinot; et la reconnaissance de la ville de Rheims a fait élever sur une des places de la cité, une fontaine qui porte le nom de Godinot. L’on voit aussi au musée le portrait de l’abbé peint par Lesueur, portrait qui fut donné à la ville en 1754.
Depuis des siècles, il existait une sourde rivalité entre les vins champenois et bourguignons. Chacun d’eux avait eu des fanatiques qui réclamaient pour leur préféré la prééminence, lorsqu’au XVIIIme siècle, la querelle éclata en odes et en chansons. Le vin de Champagne, cédant à son élan naturel et à sa fougueuse impétuosité , déversa sur le vin de Bourgogne les flots de son esprit satyrique; et le vin de Bourgogne trouva un ardent champion dans le docteur Salins, doyen des médecins de Beaune, qui mit dans sa défense la chaleur convaincue qu’inspirent un droit et un mérite méconnus. Son travail eut en Bourgogne un immense succès, et fut imprimé 5 fois dans l’espace de 4 ans; enfin, deux camps nombreux se formèrent, qui alimentèrent cette joyeuse querelle. Mais tout le monde se tût et écouta, lorsqu’entrèrent en lice, en 1711, deux nouveaux combattants, deux adversaires d’un mérite incontestable et incontesté, deux professeurs de l’Université de Paris, Grenan et Goffin. — Le premier, bourguignon, chanta le vin de sa patrie dans une ode latine, chaleureuse comme le vin qui l’avait inspirée; et le second, champenois, répondit aussi en vers latins, et rabattit spirituellement les prétentions exclusives de son antagoniste. De part et d’autre, on vidait force flacons, pour affirmer par les faits la vérité des systèmes; mais, quoiqu’ on fit, aucun des partis ne perdait du terrain, lorsque Grenan, qui ne pouvait vouloir pour son protégé d’une couronne partagée, parvint, à force de ruses, à attacher à son camp le docteur Fagon qui, dès-lors, se déclara ouvertement l’ennemi du Champagne. C’en était fait de ce dernier, et la balance penchait évidemment du côté du vin de Bourgogne, lorsque Goffin appela à son aide la littérature et la philosophie, et envoya à Fontenelle 50 bouteilles de l’Œil-de-Perdrix le plus fin, le plus délicat que la Champagne eut fait naître, avec le billet suivant: «Je remets entre vos mains le sort de mon compatriote justement irrité ; votre cœur est enthousiaste de tout ce qui est beau; je me livre donc au doux espoir que, plus puissant que Fagon, vous conduirez le pauvre Champagne si méconnu à de nouvelles victoires, et que par le charme de votre poésie vous le rendrez immortel.» — Fontenelle ne put résister longtemps aux spirituelles et délicieuses attaques du Champagne; il le prit sous sa protection, et parvint par ses écrits à rétablir l’équilibre entre les deux rivaux. — La joyeuse dispute se continua jusqu’au moment où les médecins s’en mêlèrent, et séparèrent, avec l’âpreté de leurs discussions, les gais combattants; alors, il se dépensa beaucoup d’injures et de pédantisme, mais beaucoup moins d’esprit, et la fin de la querelle ne mériterait pas d’être rapportée, si l’on n’y trouvait, sous des apparences graves et sérieuses, la plus insigne bouffonnerie qui se puisse imaginer. — En 1778, intervint un arrêt, un arrêt solennel de la faculté de Paris, qui prononça doctoralement que les qualités diurétiques du Champagne lui méritaient la préférence. — Combien notre époque éclectique présente d’avantages sur les temps que nous venons de rappeler, puisqu’elle nous conduit à goûter et apprécier les diverses qualités des vins bourguignons et champenois, et à les aimer également tous les deux.
Dans le Lyonnais, les crus de Ste-Colombe, du Beaujolais, de la Renaison, de la Chassagne, de Romanèche, de Ste-Foi et de Condrieux, donnent des produits qui sont d’un grand mérite; et l’Alsace fournit d’excellents vins recueillis sur les bords du Rhin et de la Moselle; — En 1669, Patin donne une mention des plus honorables aux vins de Condrieux, qui étaient alors cités depuis plus de 800 ans parmi les grands vins de France; et les Chroniques de Froissard (année 1327) attestent que les Anglais recherchaient, à l’égal dès vins de la Gascogne, les vins de l’Alsace où l’on ne cultivait au XIVme siècle que des plants gentils.
Le Dauphiné a ses vins de St-Peray, Chateauneuf, de la côte St-André, de Côte-Rotie, et de l’Hermitage que l’on recherche partout. La réputation de ces vins n’a fait que grandir depuis l’époque, écrit Patin en 1666, «où le roi a fait présent au roi d’Angleterre de 200 muids de très-bon vin de Champagne, de Bourgogne et de l’Hermitage.» — Voici l’origine de ce dernier vignoble connu dans le monde entier: Un habitant de Condrieux, dans un désespoir d’amour, se fit ermite; il fit choix d’une montagne aride et abandonnée, sur laquelle il construisit sa modeste demeure; il l’entoura de ceps qu’il avait emportés de sa ville natale, et qui réussirent à merveille sur cette côte désolée; la luxuriante végétation de ces plants, l’excellence de leurs produits, lui créèrent des imitateurs, et, bientôt sur les flancs de cette montagne, s’étendit le précieux vignoble qu’on appelle l’Hermitage.
Le Languedoc est renommé pour ses vins généreux et liquoreux de Tavel, de St-Geniez, de St-Joseph, de Frontignan, de Lunel, de Roquemaure, de St-Peray (Ardèche). — Les vins de Gascogne ont eu de tout temps une grande réputation tandis que les vins d’Espagne, leurs rivaux, n’avaient pour eux qu’une force trop grande et trop de chaleur. Froissard nous apprend que les chevaliers d’Angleterre, sous le règne d’Edouard III, accusaient les vins d’Espagne de leur brûler le foie et d’augmenter le poids de leurs armes, et que, pour ce motif, ce n’était qu’avec répugnance qu’ils allaient faire des expéditions dans cette contrée. Tandis que c’était avec bonheur qu’ils se préparaient à toute guerre avec le midi de la France, à cause des coteaux charmants et fertiles du Languedoc, et des vins délicieux qu’ils produisaient.
La Touraine possède de bons crus qui longent la Loire; et le Poitou, l’Angoumois, le Limousin, le Berry (près d’Issoudun), le Bourbonnais, l’Auvergne donnent quelques vins qui ont aussi des qualités élevées.
La Provence compte avec un juste orgueil ses crus de St-Laurent, de Cassio et de la Ciotat. Le Roussillon, a le Rancio, le Collioure et le Rivesaltes. Le Béarn, enfin, vante avec raison ses vignobles de Jurançon et de Gan. — Le vin de Gaye, produit par un vignoble situé à Gan, est une illustration des Basses-Pyrénées, et Cavoleau nous apprend que ce clos, connu sous le nom de Sicabaig, appartenant aujourd’hui à M. Daran, et qui est, comme le fameux vignoble de Constance, d’une très-petite étendue, produit des vins exquis qui, avant la Révolution, étaient réservés pour la table du Roi.
Nous n’avons mentionné que les vins les plus connus de la France; mais nous devons dire qu’il existe des crus, qui peuvent rivaliser avec avantage avec ceux désignés plus haut, et qui de tout temps ont trouvé une faveur signalée tant en France qu’à l’étranger.
Autrefois, l’Angleterre ne buvait que nos vins; et il en serait encore ainsi, si une politique funeste n’avait fait naître de longues guerres; e t si le gouvernement anglais, dans un sentiment de haine et de jalousie, n’avait surchargé de taxes énormes les vins français, pour en faire perdre l’habitude aux populations; mais aujourd’hui que le libre-échange a abaissé les barrières qui existaient entre es deux nations rivales, aujourd’ hui que la paix paraît assurée entre les deux nations; la Grande Bretagne viendra demander à nos coteaux, ces produits délicieux que ne peuvent lui fournir ni les autres états, ni ses colonies, ni son territoire. Combien de vins remarquables et aujourd’hui presque inconnus, qui vont trouver un débouché assuré soit en Angleterre, soit chez les autres nations. — La France viticole ne se connaît pas elle-même; elle possède d’immenses richesses, dont la réputation n’a pas franchi les limites de la contrée qui les produit. Il est temps de faire l’inventaire de tous nos vins, pour les faire connaître, et leur faire ainsi rendre la justice à laquelle ils ont droit.