Читать книгу La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest - Romuald Dejernon - Страница 30
DÉFAUT D’INTELLIGENCE ET DE CAPITAUX.
ОглавлениеSi la viticulture n’a pas suivi le mouvement progressif qui a imprimé une marche si rapide aux autres industries, c’est aussi qu’il lui a manqué ce qui a été prodigué à ces dernières, l’intelligence et les capitaux. — Il est une vérité qui a longtemps été méconnue, et qui commence à peine à se faire jour dans les campagnes, c’est que le vigneron ne doit avoir ni moins de connaissances, ni moins de capacité, que tel ouvrier d’une manufacture quelconque; et qu’en viticulture comme en industrie, celui-là seul peut arriver à des résultats largement rémunérateurs, qui se distingue par son intelligence et son instruction. — Et cependant, jusqu’ à nos jours, tandis que l’ouvrier mécanicien va de fabrique en fabrique, de ville en ville, à la poursuite des connaissances qui doivent perfectionner les études auxquelles il a appliqué son enfance, le jeune vigneron, qui n’est pas sorti de son village, ne demande qu’à l’usage séculaire les méthodes qu’il appliquera toute sa vie; comme si la viticulture était une science qui appartint à la tradition de père en fils; qu’elle dût éternellement rester stationnaire, et que ce fût à la routine à en régler l’exercice et l’enseignement; comme si l’on ne devait pas étudier la viticulture, pour être bon vigneron. — Aussi dans nos villages, tout se fait encore par habitude, par imitation, et parce que les anciens faisaient ainsi. Aussi, le vigneron, qui n’a pas reçu par l’instruction l’intelligence nécessaire pour attaquer les préjugés qui l’entourent, subit leur domination, et n’a jamais pu se rendre compte des avantages éloignés ou prochains, qu’il doit retirer de sa culture. Une innovation, une découverte surgit-elle devant lui? Il ne peut l’apprécier et la juger: l’intelligence lui manque, pour qu’il puisse la classer parmi les découvertes vraiment utiles, ou parmi les entreprises décevantes. — Science, art ou métier, la viticulture est essentiellement une œuvre de raisonnement; et, pour être comprises, sa théorie comme sa pratique demandent avant tout une intelligence qui soit habituée au travail. — La viticulture ne sera réellement florissante, que lorsque le propriétaire de vignes, grand ou petit, que lorsque tout vigneron se sera familiarisé avec les principes scientifiques et économiques qui dirigent cette science, lorsqu’il pourra se rendre compte du mérite de la culture qu’il a entreprise, de ses rapports, de ses conséquences. — Ainsi, ce n’est pas seulement une question de douane, ou de tarifs qui peut lancer la viticulture dans la voie qui doit en faire la première industrie française; il faut remonter à des causes d’un ordre plus élevé ; il faut chercher son avenir dans l’instruction et le crédit; il n’y a que l’instruction qui puisse donner l’intelligence; il n’y a que l’intelligence qui appelle la confiance; et la confiance seule attire les capitaux.
Rien ne peut sortir de rien; et les lois économiques, comme les lois naturelles, ne veulent pas que la richesse puisse naître de la misère. Pour être productif et pouvoir atteindre son maximum de fertilité, le terrain complanté en vignes doit recevoir de fortes avances; car, en viticulture comme en agriculture, le sol qui reçoit le plus est celui qui donne le plus. — Ces avances se composent de travail, d’engrais et de capitaux. Sans doute, le travail n’a pas été ménagé dans le passé ; mais dans beaucoup de contrées l’engrais, et dans toutes, les capitaux n’ont jamais été donnés en suffisance. On ignorait que la terre paie un intérêt usuraire des trésors qu’on lui confie.
Aussi, était-ce en vain que les méthodes les plus judicieuses, comme les procédés les plus perfectionnés, venaient à se produire; le manque de capitaux publics ou privés empêchait de les appliquer, et ils s’éteignaient dans le domaine des théories, ou demeuraient dans les livres viticoles comme d’ingénieuses découvertes, qui ne devenaient jamais des instruments réels de bien-être et de prospérité, faute de fonds.
Les préjugés économiques de la classe riche et élevée paralysaient toute tentative progressive, et enrayant l’activité générale, l’empêchaient de centupler les ressources, et de satisfaire aux besoins multipliés qui naissaient de toutes parts.
Enfin, avec les idées du passé, la viticulture ne pouvait prendre son essor, si l’on songe à la nécessité d’avoir, quand on plante un vignoble, un assez grand capital à y jeter; et de plus, un revenu assuré par d’autres ressources, et tout-à-fait indépendant des espérances qu’on peut fonder sur la nouvelle plantation. Cela s’explique facilement, par les frais relativement considérables de premier établissement, par les travaux multipliés que nécessite chaque année le nouveau vignoble, par le temps qui s’écoule entre le moment de la mise en terre et celui où la vigne commence à être reconnaissante des soins qu’elle a reçus, en un mot, par l’absence pendant plusieurs années de tout revenu, soit du capital premier employé, soit des diverses sommes qui sont la représentation des travaux annuels.
On ignorait à cette époque, que le crédit est la force vitale de l’agriculture, comme de l’industrie, comme du commerce, comme de la société elle-même; qu’il est pour la viticulture ce qu’est la respiration et le sang pour l’homme; qu’il est le mouvement, la circulation, la vie. — Or, dans la culture viticole, le capital ne s’est jamais trouvé au niveau des exigences de l’entreprise; et le petit vigneron surtout, sans cesse pressé par le besoin, ne trouvait et ne pouvait trouver qu’à des conditions ruineuses, les moyens d’améliorer sa vigne ou d’en créer une nouvelle. — Si l’agriculture anglaise nous a devancés un moment dans la voie des transformations et des progrès, c’est que les Anglais avaient compris, avant nous, la puissance de l’instruction et du crédit en culture. En Angleterre, l’instruction place l’adepte de bonne heure au-dessus des préjugés; et, lui faisant aimer son état dont elle met en relief la noblesse et l’indépendance, elle l’initie aux connaissances scientifiques et pratiques qui le guideront dans la vie: le capital qu’il a en main, après l’avoir aidé dans les avances indispensables dans toute exploitation qui veut devenir industrielle et fructueuse, lui permet de réparer les pertes accidentelles et imprévues, et de changer à volonté sa culture ou son mode de culture, selon les exigences du moment, selon les rapports écomiques de la contrée qu’il habite. — En un mot, ce qui a fait défaut dans le passé à la viticulture française, c’est l’instruction qui révèle au vigneron le sentiment de son intelligence, et le capital qui lui fournit le moyen d’utiliser et de développer cette intelligence.