Читать книгу La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest - Romuald Dejernon - Страница 14
LA VIGNE ET LE VIGNERON.
ОглавлениеDe toutes les plantes utiles à l’homme, la vigne est peut-être celle sur qui l’on a le plus écrit; cependant, le sujet est loin d’être épuisé ; et à une époque comme la nôtre où l’on parle de toutes choses, même de celles qu’on ne connait pas, comment se taire sur la vigne, cette plante française par excellence, qui fait tant jaser?
La vigne rit au jour en s’énivrant de la flamme ardente du soleil; et, dans son ivresse, elle a mille fantaisies, mille caprices; elle embrasse tout ce qui l’approche; elle rampe à terre ou se balance au-dessus des autres plantes; tout lui sert d’appui pour prendre son essor, et jeter ses sarments jusqu’aux cîmes les plus élevées; tantôt elle s’étend et se couche nonchalament dans la plaine, tantôt elle gravit lestement la colline ou grimpe sur la montagne qu’elle tapisse de sa riche verdure, qu’elle enlace de ses bras nerveux; et pendant qu’elle se livre à ces jeux, ses puissantes racines vont puiser dans les terres les plus stériles, comme aux flancs des rochers, cette liqueur animée, qui adoucit le cœur de l’homme en le fortifiant, qui fait jaillir pour la jeunesse la flamme mystérieuse à laquelle va se rattacher sa destinée, comme l’inspiration de tout ce qui est noble et grand, qui répare les forces de l’âge mûr détruites par le travail, et qui, voilant pour le vieillard les tristes réalités d’une existence qui s’éteint, évoque les plus heureux souvenirs, et lui donne encore des jours étincelants.
Dans son livre sur la vieillesse, après avoir fait dire à un petit-fils de Romulus qu’il ne peut se lasser d’admirer une vigne, Cicéron s’écrie dans son enthousiasme: «Qui ne serait ravi au charmant aspect de cette plante?» — Quand le printemps pénètre, échauffe l’air, qu’il souffle l’esprit de vie dans les ressorts les plus cachés de la nature, la vigne entr’ouvrant ses bourgeons éclate et s’épanouit de tous côtés; et ce que l’air a commencé, le soleil l’achève; ses rayons de chaleur et la rosée vivifiante de l’été, forment, nourrissent, développent le fruit, pendant qu’ils donnent aux pampres une luxuriante végétation d’une admirable beauté ; à l’automne, la vigne étale au grand jour ses trésors enflés, ses raisins pressés, vifs et transparents; et, si elle se plaît tant dans nos zônes tempérées, c’est que, pendant toute l’année, le ciel pur lui donne la chaleur, la mer la brise, et la montagne l’abri.
La vigne entretient une population active et intelligente, et c’est dans les pays de vignobles que naissent les fortes races, celles à qui la civilisation moderne est redevable de ses idées, de ses arts, de ses lois; l’habitant de ces contrées quitte-t-il sa patrie, la vigne le suit; car il sait que tout ce qui tient au progrès moral ou matériel de l’humanité se rattache à elle.
La culture de la vigne police et adoucit les mœurs, satisfait aux besoins sans cesse renaissants d’une société en progrès, et fait ainsi vivre une immense population; dans les contrées où elle est prospère, elle excite une émulation salutaire qui secoue cette apathie, cet engourdissement qui est la plaie désastreuse des pays arriérés; partout, elle répand une chaleur vivifiante, donne du mouvement, fait circuler la vie; et par elle, l’agriculture peut sourire sur nos landes comme sur nos terrains abandonnés.
La culture de la vigne, en procurant aux paysans pauvres des moyens plus nombreux d’utiliser leurs bras, assure leur existence qui ne reste plus à la charge de la société ; elle leur offre une ressource certaine contre la misère, et toutes les chances pour ramasser un petit pécule; elle leur offre ainsi la perspective d’un meilleur avenir. Enfin, avec le travail incessant que donne la vigne, l’épargne facile et le bonheur de la famille, le campagnard qui doit à une constante occupation une grande amélioration morale, le campagnard qui est enraciné dans le sol et qui aime son village, ne songera pas à le quitter, et passera sa vie entre le clocher qui l’a vu naître, et la vigne que sa main a plantée.
Le vigneron a compris tout ce qu’il devait à la vigne; et, si elle est généreuse jusqu’à la prodigalité dans ses dons, il est dévoué jusqu’au sacrifice de lui-même dans sa reconnaissance: «Oui, le vigneron, dit le docteur Guyot, est bien le soldat toujours campé et toujours en campagne; il attaque avec ses bras vigoureux le sol de pierre ou de granit; il le fouille, il le hache, il le culbute avec la pioche, avec le pic, avec la poudre; il lutte contre les frimats, contre la gelée, contre les brumes, contre la pluie, contre la grêle, contre l’oïdium, la pyrale, fléaux de la vigne; il brave la fatigue, le froid et le chaud. Toujours debout avant le soleil, il travaille et veille sans cesse avec une infatigable opiniatreté, avec un courage indomptable. Rien n’égale l’activité, la force, l’intelligence du vigneron, si ce n’est l’activité, la force, l’intelligence de savigneron ne, intrépide cantinière qui prépare les vêtements et les aliments, nourrit et soigne ses enfants en un tour de main, prend sa charge et son tricot, va et vient quatre fois par jour de la maison au champ de travail; travaille aux côtés de son mari, rentre avant lui pour que son homme, ses enfants et ses bêtes ne manquent de rien; et ne se repose qu’après avoir pourvu aux besoins de tous. Que de peines, que d’anxiétés, que d’émotions d’avril en octobre pour les gens d’un tel labeur, d’un tel courage, d’un tel cœur!» Oui, le vigneron qui a planté la vigne, qui l’a taillée, qui l’a travaillée, qui lui a donné son empreinte, qui a mis en elle une partie de lui-même par le travail, n’aime pas seulement sa vigne; elle fait corps avec lui.
Enfin, dans les vignes, le cœur ne se ride pas comme le front, et la vie saine de la campagne grandit l’âme, l’élève et écarte d’elle ces souillures, si communes dans les grandes villes. — Le vigneron ne relève que de lui-même, et ne demande qu’à Dieu de féconder ses sueurs; il trouve l’indépendance dans le travail qui lui laisse ainsi la dignité du caractère. — Les vertus des paysans, quoiqu’écloses dans l’ombre, ont les plus doux parfums. La femme, par sa douceur et son dévouement de tous les instants, donne le bonheur et la paix, en retenant l’époux au toit domestique. L’homme, par son rude travail, s’affermit dans son amour pour toutes les choses honnêtes: il s’arme de courage et de patience contre les obstacles, et sort de sa lutte de tous les jours, avec une foi plus grande et plus féconde pour le bien, avec un juste orgueil de sa force et de sa liberté.