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LA VIGNE DANS LE PASSÉ ET A L’ÉTRANGER.

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La culture de la vigne remonte au premier âge du monde. — Son histoire commence avec celle de l’humanité, et le berceau de l’une est placée à côté du berceau de l’autre. Le rôle qu’elle a joué dans la vie privée comme dans la vie publique des premiers peuples est immense, et nous a été légué par la tradition; et si nous consultons les souvenirs de l’antiquité la plus reculée, souvenirs conservés par Moïse et par Homère, nous voyons qu’à ces époques si lointaines, la culture de la vigne était déjà connue depuis longtemps; et que partout où elle a implanté ses racines, avec elle sont nés le bien-être et la civilisation.

On dit partout que c’est Noé qui le premier a cultivé la vigne, et l’on appuie cette opinion sur le texte de la Genèse, qui dit littéralement qu’après le déluge, «ce patriarche commença à devenir un homme des champs, planta la vigne, but du vin et s’énivra» (Genèse, ch. 9, vers 20 et 21). Mais ces paroles, loin d’attribuer à Noé l’honneur d’une telle découverte, laissent au contraire supposer qu’il ne fit qu’imiter ce qui avait été pratiqué par les peuples antédiluviens, au milieu desquels il avait vécu. S’il en était autrement, la Genèse n’aurait-elle pas signalé et mis en relief l’invention de cette culture et de l’art de faire le vin, ainsi que le phénomène de l’ivresse? L’étude réfléchie du texte sacré vient à l’appui de notre opinion; car la malédiction de Dieu ne s’étend pas jusqu’aux végétaux; et puisque l’olivier n’a pas péri dans le naufrage, que la colombe, quand les eaux commencèrent à disparaître, a pu arracher une feuille à cet arbuste fragile, la vigne si forte, si rustique a dû résister et n’a pu être atteinte. Saint Chrisostome paraît accepter cette interprétation, puisqu’il dit pour excuser l’ivresse de Noé : «Que c’était pour adoucir les tristesses et les amertumes de son esprit, relever et fortifier ses faiblesses, et soulager les autres infirmités de son grand âge; car le vin, pris modérément, produit d’ordinaire tous ces bons effets.»

La tradition Grecque, d’accord en cela avec la tradition juive, nous permet aussi de supposer que la culture de la vigne remonte à une époque antérieure au déluge et à Deucalion, c’est-à-dire aux premiers temps des sociétés humaines.

La Genèse fournit à chaque page des preuves irrécusables de l’importance de la culture de la vigne parmi les enfants d’Israël. Abraham dit à son fils en le bénissant: «Que Dieu te donne la rosée du ciel, et l’abondance du blé et du vin.» Dans sa prédiction sur la venue du Christ, Jacob compare le mystère de la croix à la vigne, à ses rameaux et au vin: «Il liera à la vigne son ânon et au cep son ânesse; il lavera dans le vin son vêtement, et dans le sang de la grappe son manteau.» (Genèse, ch. 49, v. 11). Le livre sacré nous apprend encore combien le vin des Hébreux troublait la raison; nous en trouvons la preuve dans l’ivresse de Loth, dans celle de Nabal, et dans les prédictions des prophètes qui s’élevaient sans cesse contre les habitudes d’ivresse du Peuple juif. — Le roi prophète compare une femme féconde à la vigne qui jette au loin ses rejetons, (ps. 128, v. 3.) Dans le livre des juges, l’écriture fait répondre à la vigne à qui les autres arbres demandaient de dominer sur eux: «Puis-je délaisser mon vin qui réjouit Dieu et les hommes, et être élevée entre tous les autres arbres!» (Genèse, v. 12.)

Quel éloge plus grand peut-on faire de la vigne que celui que Dieu en a fait, en comparant cette plante à son église, les bons aux raisins doux et mûrs, et les méchants à la vigne sauvage, qui ne produit qu’un fruit amer et qui ne peut atteindre aucune maturité ? (Isaïe, ch. 5).

Enfin, Jésus-Christ a dit: «Je suis la vraie vigne, et mon père en est le vigneron; il retranchera toute plante qui ne porte pas de fruit en moi, et taillera, émondera toutes celles qui portent du fruit, afin qu’elles en portent davantage; demeurez en moi, et moi en vous; comme le sarment ne peut lui-même porter du fruit, s’il ne demeure en la vigne, vous n’en porterez point non plus, si vous ne demeurez en moi; je suis la vigne, et vous les sarments; qui demeure en moi, et moi en lui, porte beaucoup de fruits; car sans moi, vous ne pouvez rien faire; si l’un de vous ne demeure en moi, il sera jeté dehors comme le sarment et se séchera; on l’amassera et jettera au feu, et il brûlera.» (St-Jean, XV, v. de 1 à 6).

Homère, dans ses poèmes immortels, montre partout que la culture de la vigne remonte à la plus haute antiquité, et que le vin était la boisson ordinaire de toutes les contrées qu’il nous fait parcourir avec lui. — Lors du départ de Télémaque, les rameurs couronnent de vin les coupes, et font aux dieux des libations. — La grotte où Calipso chantait en tissant de la toile avec une navette d’or, était ombragée par une vigne chargée de raisins. — La vigne croît merveilleusement et sans culture dans l’île des Cyclopes, et, en y pénétrant, Ulysse porte avec lui un outre d’excellent vin «contre lequel il n’y avait ni tempérance, ni sagesse qui pûssent tenir» vin qu’il devait à la reconnaissance de Maron, prêtre d’Apollon qu’il avait sauvé, ainsi que sa femme et ses enfants. — L’une des Nymphes de Circé versait le vin dans les coupes d’or, et cette enchanteresse le prodigua aux compagnons d’Ulysse pour aider à l’exécution de ses projets. Le père d’Ulysse, désolé de son absence et attendant son retour, couchait sur un lit de feuilles séchées, au milieu de ses vignes; — Enfin, pendant le siège de Troie, des navires chargés de vins arrivèrent de Lemnos, et ces vins furent échangés contre du fer, des bœufs, des peaux d’animaux, et, pour en avoir, les chefs de l’armée Grecque donnèrent leurs plus belles esclaves.

Hérodote nous apprend que les fêtes que l’on célébrait en Grèce en l’honneur de Bacchus, le dieu du vin, avaient pris naissance en Egypte, où elles étaient en usage depuis les temps les plus reculés sous le nom de Mystères d’Osiris. — Nous savons aussi que le culte de Bacchus était établi partout où il y avait des hommes réunis, et un commencement de culture; et qu’avant que ce dieu n’eût des autels en Grèce, les Phéniciens le vénéraient depuis des siécles.

D’autres auteurs font naître Bacchus en Arabie, en Assyrie, dans toutes les contrées enfin où il y a des vignobles; et Pausanias nous apprend que tous les peuples de la Grèce revendiquaient son berceau, et le plaçaient chez eux.

Tout est allégorie dans le passé mythologique, et Bacchus, c’est le vin; il est fils de Jupiter et de Sémélé, c’est-à-dire du ciel et des montagnes; il aime le soleil et les coteaux: «Bacchus amat colles.» Et, si l’on a dit que ce dieu avait son berceau en Béotie, et que Cadmus était son aïeul, c’était pour montrer que ce chef de colonie ou de flotte marchande, avait enseigné à la Grèce l’art de cultiver la vigne et de faire le vin.

Les fêtes et les mystères de Bacchus étaient des usages innocents dans leur origine; c’étaient les fêtes des vendanges; la gaîté qu’elles inspiraient, la liberté qui y régnait, devaient en effet les répandre partout.

En les célébrant, les prêtres du dieu du vin donnaient au peuple des spectacles et des jeux, où se déployait une grande magnificence. Là se disputaient les prix de l’art dramatique et de la poésie, et les pièces de théâtre n’étaient données au public, que lorsqu’elles avaient été représentées et acceptées dans les mystères de Bacchus. — Tragédie vient de Tragos et Odé, chant du bouc. Dans ces mystères on sacrifiait un bouc et l’on chantait cette victime; voici la tradition: — Icarius, qui avait appris de Bacchus l’art de faire le vin, trouve un bouc dans ses vignes, et l’immole à son maître. Les paysans de la contrée, mûs par un sentiment de reconnaissance pour ce dieu, se réunissent à Icarius pour prendre part à cet acte de piété ; on danse autour de la victime et l’on fait des libations. L’année suivante, on se réunit de nouveau pour célébrer la fête qui avait laissé de charmants souvenirs; elle se répand dans les campagnes; Athènes suit l’exemple des villages; et une fête privée devient une fête publique.

Ces mystères se célébraient chaque année, et le héros du drame est Bacchus tué par les Titans; il descend aux enfers, ressuscite ensuite pour revenir au séjour d’où il est descendu. Dans ces représentations figure toujours Un jeune homme en cire; on jette des fleurs sur son corps, et les femmes le pleurent jusqu’à l’heure de sa résurrection; alors éclate cette joie délirante qui, alimentée par le vin, changea bientôt le caractère de ces fêtes religieuses, et de simples et naives qu’elles étaient à l’origine, en fit des bacchanales et des saturnales. Et ces mystères ont ainsi donné naissance à la tragédie et à la comédie.

C’est pour rappeler cette origine que les sculpteurs de l’antiquité couronnent toujours de pampres les fronts de Thalie et de Melpomène, dans toutes les statues qu’ils nous ont laissées de ces muses; et selon Diodore, tous les peintres représentaient Bacchus avec des cornes. C’est là encore un monument des anciennes mœurs; les cornes des animaux ont été les premiers vases qui ont, renfermé le vin, les premières coupes dont les hommes se soient servis pour en boire.

Rien de si pompeux dans la mythologie que les conquêtes de Bacchus; rien ne peut l’arrêter, et il va jusqu’aux Indes. Ce dieu a conquis tous les peuples; il les a tous séduits et énivrés par le vin.

A chaque pas, les vieilles religions nous montrent le rôle immense qu’a joué le vin dans les sociétés antiques; et Ariane, après son abandon par Thésée, devenant prétresse de Bacchus dans l’île de Naxos qui produisait les vins célèbres de l’antiquité, Jupiter la rend immortelle, parce qu’elle s’est consacrée à la culture de la vigne dans cette île.

Comme on le voit, ces traditions nous aprennent que la vigne a d’abord occupé l’Asie et l’Europe Méridionale; qu’elle s’étendit sur ses vastes continents et les poliça avant d’atteindre les zônes plus tempérées, qui cependant conviennent si essentiellement à cette plante; elle n’y fut introduite que peu à peu par l’action du commerce, et à suite des migrations si fréquentes à cette époque du monde. Les peuples florissants de l’Asie, qui allaient fonder des colonies dans des contrées moins brûlantes, la portaient avec eux, et lui donnaient les terrains qu’ils défrichaient, qui étaient propres à cette culture; et les relations qu’ils entretenaient avec la mère-patrie aidaient à son développement. C’est ainsi que les Phéniciens la donnèrent à l’Egypte; les Egyptiens à la Grèce; et que les Grecs, à leur tour, l’introduisirent en Italie; là, elle prospéra rapidement chez les premiers peuples qui habitèrent cette contrée; et elle florissait déjà dans une grande partie de la Péninsule, lorsque Rome n’existait pas encore. — Les fondateurs de cette dernière ville durent songer d’abord à leur établissement et à leur sûreté ; aussi, sous Romulus, la vigne avait-elle gagné peu de terrain, puisque ce roi défendit les libations de vin qui étaient en usage dans toute l’Italie; mais Pline nous apprend que Numa donna une grande importance, une vive impulsion aux libations dans tous les sacrifices qu’on faisait aux Dieux; et qu’en les rétablissant, il put atteindre le but colonisateur qu’il poursuivait, celui de couvrir de vignes les vastes terrains abandonnés qui entouraient la ville prédestinée. Sa politique toute d’avenir, avait compris l’immense service que la vigne devait rendre à la civilisation du nouveau peuple. — Dès lors, la culture de la vigne fut la culture de prédilection des premiers Romains; mais ses produits trop abondants donnèrent naissance à de tels désordres, surtout chez les femmes romaines, que le législateur, pour les réprimer, dût édicter cette loi sévère qui punissait de mort toute femme convaincue d’avoir bu du vin; et, pour assurer la fidèle exécution de cette loi, tous les proches pouvaient, en vertu d’un règlement d’administration publique, s’assurer de la sobriété de leurs parentes en les baisant sur la bouche. La loi reçut peu d’application à cause de sa trop grande sévérité ; et l’usage que le règlement jeta dans les mœurs, produisit, on le comprend, un effet opposé à celui qu’en attendait le législateur.

Les Romains mettaient le plus grand soin dans le choix du terrain qui devait élever la vigne, et l’observation les avait doués d’une sagacité qui les conduisit à des rendements considérables: car les intéressantes recherches du docteur Anderson apprennent que Varron n’a pas exagéré, en disant que 42 ares de terre pouvaient produire jusqu’à 54 muids de vin.

Selon Pline, le nombre des variétés de vignes cultivées dans l’Italie était immense; et Columelle compare ce nombre à celui des grains de sable de la Lybie. Il paraîtrait aussi qu’on préférait à tous les autres les plants doux et alcoolisés; car la variété la plus répandue était la vigne Apiana, ou le Muscat moderne, qui doit ses deux noms à sa propriété d’attirer les abeilles et les mouches. Du temps de Plaute, on connaissait dans Rome plusieurs espèces de vins de liqueur, et le grand Caton en préconisait huit différentes. — Plus tard, de nouvelles plantations italiennes produisent des vins d’une grande célébrité : et les vins aimés d’Hortensius le rival de Cicéron, qui le premier mentionne le vin de Chypre; le Mammertin qui est vanté par Pline, le Falerne qui est chanté par Horace, sont ceux qui paraissent avoir été préférés par la Rome de l’Empire.

Dans les Etats-Romains, la culture de la vigne était devenue l’objet de tous les soins, et, à part une période néfaste que nous verrons plus tard, on la cultivait partout. C’est à Probus que la Hongrie est redevable de la plantation de ses premières vignes; et cette culture avait des lois protectrices dans la législation romaine, puisque une loi de Justinien condamne au fouet ceux qui ont pillé les vignes; et que cette même loi condamne à avoir le poing coupé, tout individu convaincu d’avoir arraché un cep: cette loi édicte encore que les deux poings doivent être abattus, si le coupable est en procès avec le propriétaire du cep coupé.

Si nous arrivons aux époques plus modernes, nous voyons que la culture de la vigne est introduite partout où la civilisation fait quelque progrès, et qu’elle marche du même pas. Dans l’Asie, en Amérique, en Europe, partout où les hommes réunis veulent vivre d’une vie sociale, la vigne implante ses fortes racines, pour peu qu’elle soit aidée par le climat.

La Chine qui fait remonter la plantation de la vigne et la découverte du vin à son roi Yu, dont le règne, voisin du déluge, paraît avoir inauguré la civilisation de cette contrée, la Chine avait des crus abondants et produisant d’excellents vins; mais un de ses empereurs, pour empêcher ses sujets de s’adonner à l’ivresse, a ordonné la destruction de toutes les vignes, et a défendu, sous les peines les plus sévères, l’usage du vin.

D’après Chardin, à Irivan où la tradition locale apprend que Noé a planté la vigne, dans un lieu qu’on désigne à une petite distance de cette ville, existent de beaux vignobles, qui donnent en abondance de bons vins; et comme les hivers y sont très-rigoureux, on couvre ces plantes de terre pendant le règne des froids et des neiges, et on ne les découvre qu’au premier souffle tiède du printemps. — On cultive dans ces contrées plusieurs espèces de vignes, et parmi elles la vigne royale qui donne le plus beau et le meilleur raisin de Perse.

D’après la chronique de William de Malmsbury, il est aujourd’hui avéré que la culture de la vigne était très-répandue en Angleterre au XIIe siècle. Cet auteur cite la vallée de Glocestershire, comme étant celle qui produisait les meilleurs vins; il y avait aussi dans le parc de Windsor une vigne qui a existé jusqu’au règne de Richard II, et ce roi en payait la dîme à l’abbé de Waltham, alors curé de cette paroisse.

Cette culture s’établit dans toute l’Angleterre, et Stow rapporte qu’en 1377, le vin de cette contrée était servi sur la table du roi et même vendu. Ce fait a droit de surprendre devant la déclaration de Froissard, qui nous dit qu’en 1372, 200 voiles anglaises arrivèrent à Bordeaux, et repartirent chargées des vins de la Guienne; et devant les révélations d’un livre de compte, retrouvé par Bentham, qui apprend que, sous Edouard II, 899 tonnes de vin furent expédiées de France en Irlande; mais ce qui est incontestable, c’est qu’avant Henri VIII, chaque abbaye, chaque monastère avait sa vigne, qui était exposée au midi sur des terrains lègers et sablonneux, et que ces corporations recevaient aussi des quantités considérables de raisins en redevance.

Les îles de Chypre et de Candie, exploitées par la république de Venise, ont longtemps fourni les vins recherchés par nos tables, et les chevaliers de St-Jean de Jérusalem devinrent propriétaires d’une Gommanderie dont les vins formaient le plus grand revenu. — C’est à ces chevaliers, qu’un vieux livre sans nom d’auteur fait remonter la rénovation de la mode de porter des santés, mode si fêtée par la gaîté franche et joviale de nos pères; l’origine de cet usage appartiendrait, selon lui, à l’antiquité, et au ciel heureux de la Grèce, où l’on couronnait de fleurs les coupes que l’on vidait aux dieux, aux héros et à l’amour. Il ne pouvait naître dans les forêts obscures et brumeuses de la froide Germanie; il lui fallait le soleil brûlant et le ciel lumineux de l’Attique.

En Espagne, en Portugal, en Sicile, comme en Allemagne, en Autriche, partout où elle a trouvé sa part indispensable de chaleur, la vigne a fait prospérer les contrées qu’elle habitait, et y a répandu l’abondance et la joie. — Enfin, dans certaines parties de la Hongrie, la culture de la vigne a une telle importance, que les Vendanges s’y font au milieu des fêtes et des plaisirs. Vers la fin d’octobre, chacun abandonne la ville, pour aller camper dans les vignes des coteaux; alors commencent à Mad, à Tokai, dans cent endroits, des danses traditionnelles pour toutes les classes, qui ne s’arrêtent que lorsque le dernier pampre est dépouillé de son fruit, lorsque le dernier grain de raisin est pressé.

La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest

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