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LA FRANCE, LE SUD-OUEST, LE BÉARN AU POINT DE VUE VITICOLE

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La France est viticole, et sa fortune doit surtout venir de la viticulture: je ne crois pouvoir mieux abriter cette vérité qu’en la plaçant sous les paroles suivantes de Michel Chevalier, paroles remarquables comme tout ce qui sort de sa plume, et qu’il avait écrites avant l’inauguration du libre-échange; l’éminent économiste s’exprime ainsi: «La France est quand même assurée de pssséder dans la viticulture une source de fortune, inépuisable comme les besoins illimités de la consommation, variée comme la diversité de ses terroirs, de ses expositions, de ses températures. Entre ses multiples aptitudes, aucune n’est plus conforme à son génie séculaire et à sa vocation naturelle; aucune n’est plus fructueuse, tant pour les populations laborieuses que pour les propriétaires: des terres impropres par leur aridité à toute autre plante, deviennent lucratives grâce à la vigne, et celles qui étaient déjà fertiles, voient presque toujours s’accroître leurs revenus: l’économie sociale toute entière gagne à cette transformation; car la vigne retient et appelle les populations au sein des campagnes, dans les hameaux et les villages: sur une surface donnée, elle nourrit une population plus dense qu’aucune autre branche de l’industrie agricole: en pénétrant dans les habitudes régulières des populations; l’usage du vin donne du ressort au corps et à l’esprit: il contribue puissamment à dissiper l’ivrognerie, qui nait presque toujours des excès qui suivent les privations. Enfin, le vin étant, d’après les lois des climats, le privilège de la zône tempérée, devient un précieux moyen d’échange avec les zônes boréales et tropicales; si l’on considère que l’on compte par dizaines de millions les habitants du Nord et du tropique qui ne se privent du vin qu’à cause de sa cherté, on reconnaîtra que la France peut, sans aucun péril, tripler et peut-être quadrupler les deux millions d’hectares qu’elle possède en vignobles, et les 50 millions d’hectolitres qu’elle récolte, à la condition de conserver sa supériorité pour les hautes qualités, de mettre ses prix, pour les qualités moyennes, plus à la portée de toutes les classes, de conquérir enfin, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, les débouchés qui lui sont aujourd’hui fermés.»

Ainsi, c’est par la culture de la vigne que la France doit voir s’élever sa solide grandeur; elle seule peut commander aux richesses des pays lointains et industriels, et nous mettre à même de jouir de tous les avantages qu’elles emmènent avec elles: c’est elle encore qui, stimulant l’activité de production et d’échange, doit surtout caractériser la différence entre l’agriculture du passé et celle de l’avenir, et nous faire comprendre que si la première a pu vivre avec beaucoup de terre et peu de capital, la seconde ne peut prospérer qu’en s’appuyant sur le capital,

Sortie enfin de la torpeur où elle était plongée depuis longtemps, la viticulture est aujourd’hui en grand honneur; tous les regards sont fixés sur elle, et les esprits les plus élevés ne dédaignent plus de lui consacrer leur sollicitude et leurs veilles; c’est qu’on a enfin compris que même élevée au milieu des rochers et des sables brulants, qui par leurs reflets redoublent les ardeurs du soleil, la vigne, cette vieille gauloise, donne à ces pays déshérités de tout autre faveur, une liqueur salutaire et fortifiante, et le bien-être basé sur un travail qui captive en même temps qu’il est peu fatiguant; c’est qu’on a enfin compris qu’elle seule peut assainir et enrichir les terres incultes aussi bien que les landes, y élever et y nourrir une population nombreuse et florissante.

Si les tendances actuelles vers la viticulture n’étaient que superficielles, une question de mode qui ne miroite un moment que pour disparaître ensuite, ce mouvement se serait ralenti et éteint devant l’oïdium et ses ravages; en vain, on aurait institué des concours et décerné des primes, ces concours auraient disparu, sans laisser même une trace de leur passage; le contraire a eu lieu, parce que la viticulture a implanté ses profondes racines dans les mœurs et les habitudes de la France, et qu’elle répond à un besoin essentiellement national.

Par la richesse de ses produits, par l’étendue des terrains qu’elle occupe, par l’étendue de ceux qu’elle occupera dans l’avenir et qui, en l’attendant, demeurent infertiles et improductifs; par le nombre des travailleurs qu’elle fait vivre, en s’adressant à tous les âges et à tous les sexes, la viticulture est bien la première industrie de la France; c’est elle enfin qui, tout en donnant une valeur aux terrains les plus stériles, y puise l’aliment du commerce le plus grand qu’il y ait au monde, et qui, après avoir ainsi créé des villes et des flottes, donne plus de 800 millions à son propriétaire et à celui qui la travaille.

Et cependant, malgré les résultats heureux produits par la vigne, combien de départements qui la cultivent sans la comprendre, et qui ne savent pas encore qu’elle seule peut les sortir de la misère traditionnelle dans laquelle ils sont plongés. — Tandis que l’agriculture et l’industrie ont jeté dans quelques parties de la France comme une surabondance de vie, dans d’autres tout languit et meurt faute d’intelligence, de débouchés et de population; ici, l’émigration règne, et, loin d’utiliser leurs forces sur le sol natal, les enfants de ces contrées l’abandonnent à la bruyère, et vont associer leurs efforts à ceux des habitants de contrées plus favorisées. Ainsi, d’un côté, l’instruction, la richesse, le bien-être; de l’autre le dénument et l’ignorance; d’un côté, une civilisation qui fait notre force et notre gloire, de l’autre une misère qui fait notre honte. — Il faut à tout prix rétablir l’équilibre de production et de richesse; là est le seul principe éminemment national, qui peut assurer à la France la grandeur à laquelle elle doit atteindre; il ne suffit pas pour cela de défricher des terrains plus on moins étendus; il faut encore affranchir par l’instruction et le crédit la masse ignorante et pauvre de ces contrées presque abandonnées, et, pour nous aider à atteindre ce but, la vigne est merveilleusement douée, puisque, tout en donnant la richesse, elle fixe les populations dans les pays qui la cultivent.

Si, de la France prise dans son ensemble, nos regards se portent sur une de ses parties, sur la zône pyrénéenne et le sud-ouest, nous voyons les mêmes différences caractéristiques se dessiner nettement; et comme souvent on saisit mieux les ressemblances sur un croquis fait en peu de temps, que sur un portrait étudié, où les conventions de l’art ont trop souvent fondu et adouci les nuances, voici ce qu’un coup d’œil rapide a pu nous faire remarquer.

On trouve dans la zône pyrénéenne, chacune avec sa physionomie fortement accentuée, d’un côté, la viticulture du passé vivant d’habitudes surannées, de traditions et même de légendes; d’un autre, la viticulture du XIX siècle, venant demander à l’alliance du travail, de l’intelligence et du capital sa richesse et sa dignité, et cherchant par tous les moyens à se rendre industrielle; à ne considérer que ces tendances opposées, on dirait que dans ces contrées, la civilisation et le progrès ont inégalement répandu leurs bienfaits; car les uns marchent toujours du même pas et mécaniquement, sans essayer même de satisfaire au développement des besoins locaux, tandis que d’autres plus hardis, mieux favorisés, osent procéder par l’intelligence et les capitaux, et envisager un horizon inconnu des premiers.

Que les habitants de ce littoral se réveillent de leur engourdissement, et qu’ils comprennent que dans leur pays si pittoresque et si accidenté par les soulèvements volcaniques, la vigne est la plante providentielle qui doit transformer les terres incultes et leur donner une immense valeur; qu’ils comprennent enfin, que leur contrée, par le relief de son territoire, par ses magnifiques coteaux, peut devenir une seconde Bourgogne, supérieure peut-être à la première, de toute la fécondité native de ses terrains, et de la chaleur généreuse de son soleil méridional. N’ont-ils pas à côté d’eux de grands et de salutaires exemples dans le Bordelais, et déjà depuis longtemps, n’auraient-ils pas dû les suivre.

Dans le sud-ouest se trouvent réunies toutes les chances du succès; un sol accidenté que la mer et les montagnes semblent embrasser avec amour; un climat tempéré, et un soleil qui sourit à la terre en la fécondant; et là, ce n’est pas seulement un ciel clément qui se prête bien à la culture de la vigne et à la qualité si élevée de ses produits, c’est encore un terrain privilégié ; dans ces contrées se rencontrent des surfaces d’une immense étendue merveilleusement constituées pour la viticulture, des terrains coupés, ondulés, continuellement tourmentés, des sols aridés, brûles par le soleil et la sécheresse, et auxquels la vigne seule peut donner une valeur.

A un autre point de vue, le perfectionnement de la culture de la vigne et son extension deviennent pour ces contrées d’une nécessité absolue. On paraît oublier trop facilement la révolution que vont produire dans le Sud-Ouest les voies ferrées, quand elles le relieront d’un côté à l’Espagne et de l’autre au midi de la France; avec l’économie et la facilité des transports que la vapeur amène avec elle, ces deux contrées vont déverser sur la zône pyrénéenne le trop plein de leurs récoltes exubérantes, et, si elle ne se hâte, elle peut perdre les avantages que le climat et un sol privélégié lui ont départis: car le commerce une fois établi de vins communs, mais à bon marché, il lui sera difficile de lutter contre les habitudes qu’il fait naître, et de détruire des relations qui auront eu le temps de faire d’assez profondes racines. La zône pyrénéenne est donc dans l’obligation de tendre, par tous ses efforts, à abaisser le prix de revient, tout en conservant la qualité et augmentant la quantité de ses vins; en dehors de cette voie dans laquelle elle doit s’engager vite et d’un pas résolu, il n’y a pour les propriétaires des coteaux ou des terrains en friche de ces contrées, c’est-à-dire pour plus des trois quarts de cette zône, que géne et que misère.

Le département des Basses-Pyrénées a tardé beaucoup à s’engager dans une voie progressive: — c’est que pour beaucoup d’hommes de ce département, industrie agricole est synonime de pauvreté et de détresse: et, en effet, l’agriculture qui est aujourd’hui l’art d’obtenir de la terre la plus grande somme de produits possible, a été pour le Béarn et est encore bien souvent pour lui, il faut le reconnaître, l’art de se ruiner honnêtement. Le Béarn est considéré par tous comme ingrat et infertile, et cependant il est le pays vignoble par excellence: encadré dans les lignes grandioses de ses montagnes, il présente des conditions géologiques qui n’appartiennent qu’à lui; ses collines, ses coteaux, ses montagnes entrecoupées de vallées, qui se succèdent les unes aux autres, et dont les pentes dénudées sont stériles, deviendraient avec la vigne la source d’une immense richesse: enfin, les chemins de fer qui vont relier le Béarn aux deux mers lui offriraient tous les moyens d’exportation. Comment la France, et spécialement le Sud-Ouest et le Béarn, ne s’apperçoivent-ils pas qu’ils ont été chargés par la providence de fournir de vins toutes les contrées du monde qui en sont privées.

La vigne en France et spécialement dans le Sud-Ouest

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