Читать книгу L'Imagination Créatrice - Théodule-Armand Ribot - Страница 4
PRÉFACE
ОглавлениеLa psychologie contemporaine a étudié avec beaucoup d’ardeur et de succès l’imagination purement reproductrice. Les travaux sur les divers groupes d’images — visuelles, acoustiques, tactiles, motrices — sont connus de tout le monde et constituent un ensemble de recherches solidement appuyées sur l’observation subjective et objective, sur les données de la pathologie et les expériences de laboratoire. Au contraire, l’étude de l’imagination créatrice ou constructive a été presque entièrement oubliée. Il serait facile de montrer que les traités de psychologie les plus complets, les meilleurs, les plus récents, lui consacrent à peine une ou deux pages ; quelquefois même n’en font aucune mention. Quelques articles, quelques rares et courtes monographies résument le travail de ce dernier quart de siècle sur la question. Elle ne mérite pourtant pas cette attitude d’indifférence ou de dédain. Son importance n’est pas contestable, et si jusqu’ici l’étude de l’imagination créatrice est restée à peu près inaccessible à l’expérimentation proprement dite, il y a d’autres procédés objectifs qui nous permettent de l’aborder avec quelques chances de succès et de continuer l’œuvre des anciens psychologues, mais avec des méthodes plus conformes aux exigences de la pensée contemporaine.
Le présent travail n’est offert au lecteur que comme un essai ; il ne s’agit pas ici d’entreprendre une monographie complète qui exigerait un gros livre, mais seulement de rechercher les conditions fondamentales de l’imagination créatrice, de montrer qu’elle a son origine et sa source principale dans la tendance naturelle des images à s’objectiver, — plus simplement, dans les éléments moteurs inhérents à l’image — puis de la suivre dans son développement, sous la multiplicité de ses formes, quelles qu’elles soient. Car il m’est impossible de ne pas soutenir que, actuellement, la psychologie de l’imagination repose presque uniquement sur son rôle dans la création esthétique et dans les sciences. On n’en sort guère ; ses autres formes sont quelquefois mentionnées, jamais étudiées. Cependant l’invention dans les beaux-arts et dans les sciences n’est qu’un cas particulier et non peut-être le principal. Nous espérons montrer que dans la vie pratique, dans les inventions mécaniques, militaires, industrielles, commerciales, dans les institutions religieuses, sociales, politiques, l’esprit humain a dépensé et fixé autant d’imagination que partout ailleurs.
L’imagination constructive est une faculté qui, au cours des âges, a subi une réduction, tout au moins des transformations profondes. Aussi, pour des raisons qui seront indiquées plus tard, l’activité mythique a été considérée, dans ce travail, comme le point central de notre sujet, comme la forme typique et primitive dont la plupart des autres sont issues : la création s’y montre complètement libre, affranchie de toute entrave, sans souci du possible et de l’impossible, à l’état pur, non adultérée par l’influence antagoniste de l’imitation, du raisonnement, de la notion des lois naturelles et de leur régularité.
Dans la première partie, analytique, on essaiera de résoudre l’imagination constructive en ses facteurs constitutifs et de les étudier chacun séparément.
La seconde partie, génétique, la suivra dans son développement intégral, des formes frustes aux plus complexes.
Enfin la troisième partie, concrète, sera consacrée non plus à l’imagination, mais aux imaginatifs, aux principaux types d’imagination que l’observation nous révèle.
Mai 1900.