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LE CHIEN DU COMMISSAIRE

Table des matières

Il s’appelait Phanor, un nom sonore. Sa prime jeunesse s’était écoulée dans les Pyrénées, sa patrie, au service d’un berger quelque peu contrebandier qui lui avait inculqué le mépris de la douane et de la gendarmerie. De haute taille, musculeux, la dent féroce, l’odorat ultra-subtil, Phanor n’avait pas son pareil pour flairer à une demi-lieue un habit vert ou un tricorne, et son pelage fauve taché de blanc était connu dans toute la vallée d’Aran.

Son maître, qui ne brillait pas par les bons sentiments, le vendit un jour, moyennant cinq louis, à un touriste.

Ledit touriste exerçait dans un département lointain les fonctions de commissaire de police et répondait au nom presque archaïque de Landry. Madame Landry,–car il y avait une dame Landry, vous vous en êtes déjà douté,–était l’objet d’une surveillance toute spéciale de la part de son commissaire de mari. Ses vingt-sept printemps en plein épanouissement s’accommodaient mal de l’humeur quinteuse et des qualités. négatives du commissaire qui avait laissé une partie de sa virilité en Afrique où il avait longtemps poursuivi les Kabyles, et en Crimée où il s’était couvert de glorieux rhumatismes.

La blonde et capiteuse Angèle supporta sans se plaindre l’intrusion de Phanor dans sa maison. Ce gardien que lui imposait son mari lui parut assez facile à corrompre, et, de fait, en femme ferrée sur la mylhologie, elle eut bientôt conquis les bonnes grâces du Cerbère pyrénéen.

L’échéance fatale que redoutait tant Landry arriva un beau jour. Pendant qu’il geignait dans son lit, en proie à une sciatique non prévue par son médecin ordinaire, sa femme fila en compagnie de Phanor et emporta, par mégarde, sans doute, dans ses bagages, un gommeux de l’endroit, le jeune Frédéric, dont les larges épaules et la moustache noire en croc paraissaient l’intéresser vivement.

Le couple s’établit à cinquante lieues de la couche de douleur du mari, et tout parut être pour le mieux pendant quelque temps.

Frédéric et Angèle s’adoraient. Phanor les contemplait d’un air attendri. Toutefois, un élément de contrariété s’était introduit dans l’existence de ce dernier.

Tous les matins, Frédéric s’enfermait avec le chien dans un petit pavillon situé à l’extrémité du jardin de la maison et c’était alors, pendant dix minutes, un concert d’aboiements et de gémissements à faire frémir.

Plusieurs fois Angèle avait demandé à son amant les motifs de cette correction journalière, mais celui-ci s’était contenté de répondre:

–Je dresse Phanor; vous verrez les beaux tours qu’il exécutera dans quelque temps, ma chérie.

Elle n’avait pas insisté. Le chien continuait, d’ailleurs, à caresser Frédéric comme si rien ne s’était passé entre eux.

Tout a un terme, même les accès de douleurs sciatiques. Un matin, le commissaire se trouva assez ingambe pour pouvoir aller à la recherche de la fugitive et il ne tarda pas à trouver ses traces.

C’est ce qui explique comment il se trouvait, il y a huit jours, en train de dîner avec son collègue de la ville qui servait de refuge à l’épouse coupable. En bon confrère, ce dernier s’était mis à sa disposition, et, vers minuit, après le café et les liqueurs, ils devaient aller constater le flagrant délit.

Le collègue de Landry avait pour ce dernier des prévenances inouïes et il ne parvenait que difficilement à dissimuler la satisfaction qu’il allait éprouver en surprenant, dans la demi-nudité traditionnelle des épouses adultères pincées flagrante delicto, la splendide créature qu’il avait rencontrée parfois, le soir, dans les allées écartées de la promenade, suspendue au bras de son amant.

Que voulez-vous! pour être commissaire on n’est pas de bois!

Deux agents en bourgeois surveillaient les abords de la petite maison d’Angèle. Le commissaire et le mari avaient pénétré dans le sanctuaire: la bonne affolée par la vue de l’écharpe tricolore n’avait pas osé souffler mot.

Sur le palier, les deux hommes se consultèrent. Fallait-il’que Landry parlât le premier? Le commissaire devait-il seul intervenir? Ce dernier avis prévalut.

On heurta donc violemment la porte de la chambre.

–Qui va là? demanda Frédéric.

–Ouvrez!

–Qui êtes-vous?

Il y eut un moment de silence. On entendit un bruit de pas, d’étoffes froissées, de vêtements passés à la hâte.

–Dépêchez-vous, souffla Landry à son collègue, elle va filer.

–Ouvrez, au nom de la loi, dit alors le commissaire d’une voix tonnante.

A ces mots, la porte s’ouvrit, une masse traversa la pénombre du palier, un hurlement retentit et le commissaire de police, saisi à la gorge par un animal dont les crocs aigus se plantèrent dans ses chairs, roula dans l’escalier en se débattant, entraînant dans sa chute le mari.

L’homme et la bête se traînant, se heurtant, arrivèrent sur le seuil. Landry s’était relevé, et, à la lueur d’un rayon de lune, il avait reconnu son chien.

–Ici! Phanor!.

Docile, l’animal lâcha le commissaire à demi étranglé.

Landry voulait recommencer l’expédition.

–Merci, répondit son collègue; votre femme est trop bien gardée. Du reste, je suis certain que nous ne la trouverions pas.

Et il rentra chez lui, étanchant le sang qui coulait de son visage et réparant tant bien que mal le désordre de sa toilette.

Le lendemain, les deux amoureux avaient filé en Angleterre et Frédéric racontait à Angèle que si Phanor aboyait tous les matins, c’était parce qu’il lui administrait, convenablement grimé et ceint d’une écharpe, une raclée formidable en criant: Au nom de la loi!

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