Читать книгу Amour sans phrases - Albert Le Roy - Страница 5

Оглавление

MADEMOISELLE CÉLESTE

Table des matières

La maison, mi-bourgeoise, mi-rustique, était bâtie au tournant de la route qui conduisait de la gare au village haut perché sur la colline. De la terrasse pavée en briques sur champ, on avait une vue superbe: le vallon avait toute sa gamme de verts, depuis la sombre nuance des châtaigniers énormes jusqu’à la délicate pâleur verdâtre du panache des aulnes qui bordaient la rivière tapageuse, la Cèze. torrent bien plus que cours d’eau; tout autour de ce frais paysage, le cadre sévère des montagnes cévenoles avec leurs cimes pelées et leurs pentes garnies de vignes, pauvres champs en gradins d’amphithéâtre, patiemment conquis par le paysan sur la nature abrupte.

La maîtresse du logis, la «demoiselle», habitait le pays depuis huit ans à peine. Elle était ar-rivée un beau matin, seule, avait acheté la maison qu’elle avait fait restaurer tant bien que mal, l’avait meublée de vieilles choses qu’elle avait reçues par le chemin de fer,–deux pleins vagons! avaient dit les paysans ébahis.–Son premier soin avait été de congédier le fermier– le bayle;–elle ne voulait pas d’hommes chez elle et n’en employait, pour les travaux des champs, que dans les cas indispensables.

–Ma pauvre mère a été si malheureuse avec mon père, répondit-elle un jour à son unique servante, la vieille Honorine, qui la questionnait à propos de cette aversion. Pouah! les hommes, fit-elle ensuite avec un geste de dégoût.

Elle avait trente ans environ; les traits étaient un peu vulgaires mais les lèvres étaient sensuelles, les yeux gris bleu expressifs. Le corps solide, bien campé, les hanches larges, la poitrine saillante sans exagération, était celui d’une fille du peuple raffinée par une existence de demi-bienêtre.

Dans le pays, on n’en disait ni bien, ni mal. Assez avare pour défendre son bien contre les empiètements des paysans, sachant faire la charité à propos, écoutant tout sans donner son avis, elle vivait là, oubliée et indifférente; la banalité de sa vie avait lassé les cancans de village.

Quelquefois la vieille patache qui faisait le service entre la gare et le village, s’arrêtait devant sa porte, et l’abbé Gervais soulevait le heurtoir.

Trapu, la tête ronde et le nez camard, un vrai nez de paysan cévenol, le geste hardi, l’allure déhanchée, l’abbé Gervais, avait été, dès son arrivée. dans le pays, l’objet de toute l’attention des gros bonnets à qui ses manières de casseur d’assiettes ne plaisaient guère. Au bout de deux mois, Gervais était l’ami de tout le monde. Femmes et filles n’avaient rien à craindre: ce matamore était un timide qui gesticulait d’autant plus qu’il avait honte de parler.

Mademoiselle Céleste avait-elle été séduite par cette timidité? Connaissait-elle l’abbé de longue date? Personne ne put le savoir; mais la maison, close pour les autres hommes, s’ouvrit devant Gervais qui s’arrêtait souvent, allant à la gare ou dans quelque maison de fermier, chez sa bonne amie Céleste.

En tout bien tout honneur, du reste! Les voisines déposèrent en vain des trésors d’intelligence et de ruse: elles furent obligées de proclamer la pureté des relations existant entre le curé et mademoiselle Céleste.

Trois ans environ après son arrivée, Céleste avait fait une longue absence, laissant la maison aux soins de la vieille servante. Elle avait à régler des affaires d’intérêt dans son pays, à Valence, avait-elle dit en partant. Personne n’avait songé à mettre la chose en doute. L’abbé n’avait témoigné aucun regret. Il perdait une bonne paroissienne, avait-il dit à quelqu’un, mais elle devait revenir.

L’adjoint au maire avait raconté un soir, au café de l’Univers, qu’il avait vu l’abbé aller prendre des lettres à la poste restante, à La Cadière, le jour du grand marché; mais on ne put établir aucun rapport entre ce fait et l’absence de Céleste.

Celle-ci revint, du reste, fraîche et bien portante. Elle avait dû faire de bonnes affaires, car un éclair de joie passait de temps en temps, quand elle était seule et songeuse, sur son visage calme.

Les visites de l’abbé recommencèrent. Rien ne fut changé à sa vie, rien, ou peu de chose, car elle fit seulement un voyage à Lyon, pour aller recueillir l’héritage d’une de ses tantes.

Vers la fin d’octobre dernier, Gervais descendait dans la vallée doucement, béatement, humant les derniers rayons de soleil. De temps en temps, dans un pli de terrain, un coup de vent faisait tourbillonner les feuilles sèches des châtaigniers, sous l’amas desquelles disparaissait le vert des prés. Le village tout entier était occupé à rentrer la récolte; le temps pouvait changer et un débordement de la rivière était à craindre.

Céleste était absente depuis quelques mois; une discussion d’intérêts, un procès avait nécessité sa présence à Nîmes, puis à Paris, à la cour de cassation. Elle n’avait rien à faire et avait voulu surveiller elle-même ses intérêts.

Le curé était arrivé à deux cents pas de la maison de Céleste. En voyant les croisées du premier étage.ouvertes, il eut un geste de surprise et hâta le pas.

Honorine vint lui ouvrir.

–Ah! monsieur le curé, dit-elle en levant les. yeux au ciel, si vous saviez!.

–Qu’y a-t-il, Norine, répondit l’abbé, anxieux, mademoiselle est arrivée, n’est-ce pas? Serait-elle malade?.

–Malade!. Ah oui!. Malade!. Ah! mon Dieu, mon Dieu!.

Gervais poussa la vieille et pénétra dans le salon où se trouvait Céleste.

Deux voisines, madame Bonnet et sa nièce, étaient assises sur le canapé, baissant les yeux, ne sachant quelle contenance tenir.

En face d’elles, confortablement installée dans une bergère, Céleste, le sein nu, allaitait un baby de deux mois, rose, joufflu, aux cheveux blonds frisottants. A ses pieds, deux fillettes, l’une de cinq ans, l’autre de trois ans, se roulaient sur une peau d’ours.

Interloquées, les deux vieilles femmes n’osaient pas dire mot.

A la fin, madame Bonnet dit en désignant les fillettes du bout de son ombrelle:

–Elles sont vraiment charmantes, ma chère Céleste, vos nièces.

On eût dit que le mot lui écorchait la bouche.

Céleste se leva d’un bond.

–Mes nièces! dites mes enfants, s’il vous plaît!

Elle les regardait fixement, les défiant de trouver un blâme. Les vieilles n’osaient répondre.

Gervais entra; Céleste alla vers lui.

–N’est-ce pas, Auguste, dit-elle, que ce sont mes enfants. nos enfants?.

L’abbé recula; il était livide, ses jambes flageolaient.

–Ma. demoiselle, balbutia-t-il, comment osez-vous! Je ne sais pas. J’ignore.

–Ah! tu ne sais pas, tu ignores!. Oh! les hommes, race de lâches, s’écria Céleste en montrant le poing à Gervais. Mais sais-tu pourquoi –je me suis donnée à toi?.

Accosté au chambranle, stupide, le curé écoutait bouche béante. Les deux femmes s’étaient levées et regardaient curieusement la scène, scandalisées.

–Je voulais des enfants et pas de mari, entends-tu; toi seul tu pouvais être un amant discret. J’ai mes enfants maintenant, le mâle est inutile! Du reste, je vais être tranquille; ton évêque te chassera du village comme je te chasse d’ici!.

Elle alla vers la porte et l’ouvrit violemment, d’une poussée brutale:

–Sortez tous, s ecria-t-elle, et laissez-moi avec mes chers petits!.

Quand la porte cochère se fut refermée, elle revint s’asseoir, attira vers elle les deux fillettes qui ouvraient de grands yeux étonnés, les baisa longuement sur le front et sourit au baby qui gazouillait:

–Mes enfants, dit-elle en les couvrant tous les trois du regard!

Amour sans phrases

Подняться наверх