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MUSIQUE SACRÉE

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Table des matières

Madame Marchand et l’abbé Philippe venaient de se rencontrer sur la petite place de l’église; ils firent ensemble les quelques pas qui les séparaient de la grande porte, dont les deux battants largement ouverts laissaient apercevoir l’autel illuminé. C’était le dernier jour du mois de Marie, et la cérémonie devait être plus pompeuse que d’habitude. La nuit achevait de tomber;, le mince croissant de la lune brillait dans le noir du ciel. La cloche précipitait ses appels, les fidèles se hâtaient.

Assis sur les bancs de pierre de l’allée latérale, quelques jeunes gens poursuivaient de leurs railleries les jeunes dévotes qui pressaient le pas en rougissant.

Arrivé sur le seuil de l’église, l’abbé Philippe salua madame Marchand.

–Je vous quitte, lui dit-il, c’est moi qui tiens l’orgue, ce soir, comme dans toutes les grandes occasions.

–Ah tant mieux. vous ne sauriez croire, mon cher abbé, combien j’aime vous entendre. Je suis un peu fantasque, un peu nerveuse, vous me l’avez reproché souvent; eh bien, il me semble que je passerais des heures, des journées entières, immobile; vous écoutant.

L’abbé sourit, s’inclina respectueusement et se dirigea vers le petit escalier qui conduisait à la tribune de l’orgue.

Madame Marchand alla vers sa place habituelle, elle s’assit, arrangea le nœud de satin gris ombré de son chapeau garni de petites plumes grises, donna coquettement, pour les défriper, quelques petites, tapes dans les plis de sa robe de soie grise qui froufrouta, ramena sur ses épaules sa visite de cachemire perlée de jais. Puis, pour se donner une contenance, elle tira de sa poche un tout petit volume aux tranches rouges, l’Imitation de de Jésus, et fit semblant de lire.

La cérémonie venait de commencer; quelques jeunes filles chantaient avec plus de bonne volonté que de respect pour la tonalité un cantique bête qui débutait ainsi:

De Marie

Qu’on publie

Et la gloire et les grandeurs.

Qu’on l’honore,

Qu’on l’implore,

Qu’elle règne sur nos cœurs!

L’orgue accompagnait en sourdine, comme si le musicien éprouvait de la répugnance à faire sa partie dans un.chœur aussi stupide. Néanmoins, aux premiers sons, madame Marchand avait tressailli; fermant à demi son livre, elle avait relevé la tête, l’oreille aux aguets. Ses yeux noirs brillaient, ses narines palpitaient, ses lèvres rouges se contractaient comme si elles eussent appelé le baiser, dans un spasme d’amour.

Son fin profil de brune, éclairé par la lueur jaunâtre du lustre, qui pendait au bout d’un long fil de fer, se détachait sur le noir d’un recoin de confessionnal.

Le cantique fini, un chant triomphal éclata, remplissant le vaisseau immense, roulant son harmonie dans les chapelles, un hymne d’amour qui semblait plutôt célébrer la brune Marie amoureuse du beau Gabriel que la mère de Dieu.

Pâle, les yeux fixes, les mains crispées sur son livre, madame Marchand écoutait. Le grand fracas s’éteignait peu à peu; des trilles, des points d’orgue, mettaient la gaieté et le repos dans le tapage de l’introduction. Puis ce fut un andante, une mélopée triste aux sons de laquelle la dévote laissa son imagination se bercer; une halte au cours d’un doux voyage. Ensuite l’enivrement recommença; elle écoutait, pâmée, tout le sang affluant au cœur qui battait sous l’étreinte; puis la mélodie s’éteignit, doucement, amoureusement, la laissant comme l’amant laisse sa bien-aimée, avec un baiser au front.

Un bruit monotone vint rompre le charme. On récitait les litanies de la Vierge. Les filles répondaient par des ora pro nobis à ces impudicités sacrées qu’elles ne comprenaient pas. Il y eut ensuite une prière générale et la musique recommença pendant qu’on se préparait au départ.

L’abbé joua d’abord quelques mesures d’une villanelle, puis il attaqua un menuet de Lulli, marquant fortement la mesure, martelant l’harmonie, comme s’il eût voulu l’imposer à ses au diteurs.

–Madame Marchand, reprise par le charme, écoutait béatement, sa pensée se détachait de plus en plus des choses vulgaires. L’arc noir de ses sourcils qui donnait un peu de dureté et de vulgarité à sa figure se détendait: sa pose était celle d’une extatique.

Peu à peu les fidèles sortaient de l’église. Le bedeau avait éteint les cierges de l’autel et les cierges de la nef, ne laissant allumé que celui qui se trouvait près de madame Marchand qu’il n’osait déranger. Bientôt il éteignit aussi celui-là, pensant que la transition brusque de la lumière à l’obscurité forcerait la dévote à partir. Elle ne bougea pas.

Là-haut, l’abbé avait attaqué la sonate de Kreutzer, de Beethoven. La divine mélodie prenait une ampleur merveilleuse en passant sous les voûtes sonores de la grande église vide. Madame Marchand, complètement hypnotisée, avait perdu le sentiment de la réalité. La musique la possédait corps et âme.

Le bedeau fatigué d’attendre, était rentré dans la sacristie. L’église était seulement éclairée par la lueur falote de la lampe du maître-autel.

L’abbé Philippe venait d’achever. La dernière note s’était envolée dans une coda d’accords furieusement plaqués que répétaient encore les échos de l’église. Le prêtre descendit à pas de loup et s’approcha silencieusement de la dévote.

Elle était encore sous le charme.

–Claire, lui dit-il.

Elle ne bougea pas. Il lui prit la main.

–Claire, viens!

Elle se leva, raide comme un automate. Il lui prit la taille et la soutint. Au fond de l’église l’obscurité était complète.

Quand madame Marchand reprit ses sens, l’abbé Philippe était à ses côtés.

La voix traînante du bedeau montait vers la voûte.

–On va fermer les portes.

Ils sorlirent.

Sur la petite place, elle dit à l’abbé, tout bas, d’un ton de reproche:

–Dans l’église! Vous n’y songez pas, monsieur l’abbé! C’est un grand péché, un sacrilège! Il faudra se mettre en règle avec le bon Dieu. A quelle heure confessez-vous demain?

Amour sans phrases

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