Читать книгу Amour sans phrases - Albert Le Roy - Страница 12

Оглавление

LA TÊTE ET LE CORPS

Table des matières

Quand le bruit se répandit, dans le monde de la haute finance, que le baron Mauser avait l’intention de reprendre sa série de fêtes champêtres brusquement interrompues, deux ans auparavant, par la mort de sa femme, une veuve apoplectique que le banquier avait épousée pour ses millions, ce fut un cri de joie général. C’était une si merveilleuse habitation que Fontenette, le château du baron! Le parc était si vaste, si artistement planté de beaux arbres; les charmilles étaient si feuillues et on y était si bien à l’abri des regards indiscrets!

De vrais boudoirs aux murs de verdure!

Et puis le baron ne s’était-il pas remarié, il y avait de cela six mois. Le barbon avait eu le courage d’épouser une adorable fille, un peu fantasque, mais ces vieux ont toutes les chances. Depuis son mariage, qui avait eu lieu à huis clos, personne ou presque personne n’avait vu la jeune baronne qui paraissait prendre au sérieux ses devoirs d’épouse. Cela ne pouvait durer ainsi.

Et pourtant, le soir de leur arrivée, pendant que les invités du baron attendaient le signal du dîner en contemplant le paysage du haut de la terrasse du château, voici ce que le petit Raphaël Meyer, un coulissier que la protection du banquier avait fait rapidement millionnaire, racontait au milieu d’un groupe de jeunes gens.

–Vous avez beau dire, mes enfants, le baron est absolument sûr de la vertu de sa femme. Le hasard a voulu que la conversation tombât sur ce sujet, il y a quelques jours, et ce cher Mauser, à qui je ne demandais du reste aucune confidence, m’a dit qu’il connaissait le moyen de faire cesser leurs altaques galantes à ceux qui seraient tentés de faire leur cour à la baronne Suzanne.

–Et vous l’a-t-il indiqué, le moyen? demanda le capitaine Roger..

–Non, je n’ai pas, du reste, poussé l’indiscrétion jusqu’à.

–Et vous avez eu tort! A votre place j’eusse voulu en avoir le cœur net.

Le coup de cloche du dîner coupa court à ces commentaires.

Il avait en effet un talisman, le baron et un talisman de choix.

Après le dîner, pendant que les jeunes gens sautaient au piano, que les gens entre deux âges potinaient et que les vieux jouaient à l’écarté, il avait pris à part le jeune Raphaël, l’avait entraîné dans un petit salon qui lui servait de cabinet de travail et là, sous prétexte de lui causer affaires, il lui avait demandé toutes sortes de renseignements sur les bruits qui couraient à propos de son mariage et de sa femme dans le monde qu’ils fréquentaient.

Au beau milieu de son interrogatoire, le baron s’éclipsa un instant laissant le jeune homme seul dans son cabinet. Tout d’abord Raphaël resta immobile, réfléchissant à l’honneur que lui faisait son protecteur qui daignait l’interroger pour la première fois sur toute autre chose que sur la cote de la Bourse.

Puis ses regards, qui s’étaient dirigés d’abord sur les quelques toiles accrochées au mur, se portèrent sur la table-bureau du banquier.

Au milieu de papiers éparpillés au hasard, une photographie avait été oubliée. Machinalement indiscret, Raphaël écarta les lettres qui cachaient ce portrait et vit.

Ce que vit le jeune homme dut être bien extraordinaire; car il contempla le portrait-carte pendant plus de cinq minutes en donnant les signes de la plus profonde stupéfaction. Il n’eut que le temps, en entendant le pas du banquier qui revenait, de jeter au hasard, sous un paquet de journaux, la photographie dont la vue venait de le surprendre si fort.

Le lendemain, à déjeuner, la baronne Suzanne était le point de mire de tous les regards. Hommes et femmes la contemplaient en souriant, et c’était ensuite entre les convives de longs regards d’intelligence échangés.

–Pauvre femme, avaient l’air de dire entre eux tous les convives du baron.

Celui-ci, assis en face de Suzanne, la regardait amoureusement.

La maîtresse de la maison ne prêtait aucune attention à ce qui se passait autour d’elle. Ni la contrainte des invités, ni les regards de son mari ne la troublaient; calme, gracieuse, elle faisait en véritable petite reine les honneurs de chez elle.

On servit le café, et, dans la débandade de la fin du repas, les hommes, se groupèrent et eausèrent entre eux de ce qu’ils s’étaient, la veille, racontés confidentiellement.

––Ainsi, dit le capitaine à Raphaël, vous avez vu la photographie?

–Parfaitement. Je comprends tout maintenant.

Pauvre baron! Il aura voulu, garder sa femme cloîtrée pendant les premiers jours de son mariage pour surveiller lui-même la fabrication du capitonnage de ses robes. Figurez-vous, mon cher, un contraste étrange. Une tête de Greuze sur un manche à balai: voilà la baronne!

–Mais comment expliquez-vous l’idée de la faire photographier ainsi, sans voiles?.

–Dame! mon cher, je n’explique pas, je constate, j’ai vu!. Et puis, vous savez, caprice de mari amoureux, peut-être.

Trois ou-quatre jours après, à leur retour à Paris, les invités du baron, agissant en bons petits camarades, criblaient leur amphitryon et sa femme de brocards.

Quelques excellentes amies de Suzanne arrivèrent, à force de ménagements, à lui faire connaître qu’elles n’ignoraient point ses imperfections physiques. La baronne ne comprit pas, –mais on mit les points sur les i.

Tout d’abord Suzanne ne voulut pas croire à tant de machiavélisme de la part du gros baron. Elle était sage; une pareille précaution préventive la blessa profondément. Qui veut trop prouver ne prouve rien; le baron avait dépassé le but.

L’un de ceux qui consolèrent le mieux la baronne, ce fut le capitaine Roger. Quand on lui parlait de la maigreur de Suzanne, il se contemtait de lisser sa moustache blonde et ne répondait pas.

Ces jours-ci, il donnait à l’épouse calomniée sa leçon quotidienne de topographie militaire dans le cabinet particulier d’un restaurant des Champs-Élysées, lorsque le baron, suant, soufflant, furieux, se précipita dans le couloir, suivi d’un commissaire de police et d’une douzaine de garçons effarés.

En tacticien habile, Roger protégea la retraite de Suzanne qui put s’évader à demi vêtue, dans un négligé pittoresque qui sembla vivement émouvoir le commissaire.

L’expédition était ratée; il fallait rentrer à l’hôtel.

Le baron, fou de colère, invectivait presque le commissaire de police qui l’avait suivi et l’accusait de maladresse lorsque sa femme entra et dit au magistrat:

–On vient de m’apprendre que monsieur– elle désignait le banquier–vous a dérangé pour essayer de venir me prendre en flagrant délit. Vous avez surpris une personne qui ne me ressemblait pas.

–Comment, dit le baron suffoqué!

–Pas le moins du monde, puisque voici mon portrait que monsieur a eu la précaution de faire faire.

Et elle tendit au commissaire la photographie dont la vue avait tant surpris Raphaël: un corps d’une maigreur invraisemblable surmonté d’une adorable tête!

Le commissaire songea à l’appétissante créature qu’il venait de voir s’enfuir et regarda le baron, sa femme et la photographie:

–Tâchez de ne pas recommencer cette plaisanterie, dit-il sévèrement au banquier.

Et il sortit, pendant que le mari, accablé, courbait la tête sous l’orage conjugal.

Amour sans phrases

Подняться наверх