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UNE MÈRE!

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Les yeux encore gonflés par un sommeil lourd et pénible, car elle s’était couchée la veille aux trois quarts ivre et les jambes brisées par la fatigue, Rosa, à demi enveloppée dans un peignoir de cretonne tout fripé, alla ouvrir la porte. Une vieille, qui carillonnait depuis cinq minutes, entra en bougonnant.

–C’est vous la mère du petit Charlot, en nourrice à Romainville, chez le père Leduc?

–Oui, madame.

–Eh bien! Il ne va pas du tout, le gosse. La mère Leduc m’a dit de passer, en revenant de la Halle, pour vous prévenir. Vous feriez peut-être pas mal d’ y aller voir. Le médecin de la commune a dit que c’était une esquinancie, peut-être bien le grou.

–Le croup! Ah! Mon Dieu! J’y vais!. Dites à madame Leduc de faire tout ce qu’il faudra!. Je ne regarderai pas à la dépense!. Mon pauvre bébé!. Je vous suis!. Je vais prendre une voiture!. Ah! mon Dieu! Quel malheur!. Merci, madame!.

La vieille paysanne était déjà partie, après avoir fait claquer la porte.

Rosa entra précipitamment dans la chambre et alla tirer les rideaux.

–Gustave!. Gustave!.

–De quoi!. de quoi! fit une voix traînante qui sortait du fond de l’alcôve, j’ai entendu ce que t’a dit la vieille. Le crapaud est malade. Eh bien, après?. Les enfants, c’est toujours la même chose: le matin ça râle et le soir ça chante! Tu ne vas pas aller te balader à Romainville pour ça. Nous avons d’autres soucis. La propriétaire fait une tête depuis trois jours!. Si nous ne payons pas ce soir, gare le congé!

–Mais, mon chéri, pense donc, le croup!

–Le croup, le croup! De la blague! Est-ce que ces paysans y connaissent quelque chose? Je vais y aller, moi, voir ton gamin. Toi, tu sais ce que tu as à faire.

–Bien sûr?.

–Parbleu!

Pendant que Gustave, graillonnant, maugréant, se préparait à partir, Rosa s’était mise sous les armes. C’était tannant, ce métier! Pas pouvoir aller voir son enfant! Mais il fallait de l’argent, beaucoup d’argent pour le soir; la propriétaire, le mois du petit! Et puis Gustave! Oh! ce Gustave! Un gouffre. Mais si gentil, si bon! Pas quand il avait bu pourtant! Quand il avait une dizaine de bocks et cinq ou six verres de «fine» «dans le torse» comme il le disait, c’était une sale bête! Oh! oui!

Mais, à part ça, si gentil! Et une poigne! Fallait voir.

Elle avait mis ce jour-là une toilette sérieuse, une mise à épater les gens cossus qui habitent les hôtels des environs du Palais-Royal et qui coupent dans le pont de la vertu. Étoffe anglaise à petits carreaux, visite en cachemire et satin, gants noirs, chapeau de feutre, maintenu par une gaze blanche nouée par derrière. N’eussent été les pieds tout petits et les yeux par trop émerillonnés, on eût dit une petite Anglaise en rupture de Cook-Tour et cherchant aventure.

L’aventure ne vint point le matin. Jusqu’à une heure, Rosa battit le trottoir, allant des arcades de la rue de Rivoli au commencement de l’avenue de l’Opéra. Rien. Il fallut se résigner à aller déjeuner chez un marchand de vin de la rue Montpensier, où on allait rigoler quelquefois, le soir, avec Gustave. Puis la promenade recommença. Les magasins du Louvre, la rue de Rivoli, la place du Châtelet, où des gens comme il faut vont louer des places d’avance, pour voir le Tour du Monde, furent explorés. Elle se décida à franchir les ponts. Elle pouvait trouver un étudiant «braisé» ou un touriste.

Un instant, elle eut l’idée, en arpentant le trottoir de la rue Monge, de monter chez son amie Titine, une bonne fille qui servait dans une brasserie et qui avait toujours un louis à la disposition des camarades; mais c’était un mardi, un jour de sortie, et Titine devait être allée rigoler au Bas-Meudon avec le petit Ludovic, un sale rapin bien drôle, son amant de cœur.

La fatigue venait; depuis deux heures elle marchait, le soleil de mai chauffait ferme. Elle prit les ruelles et arriva devant Saint-Étienne. En voyant sortir de l’église toute une nichée d’Anglais, elle pensa qu’il en était peut-être resté un dedans et entra.

La grande fraîcheur la surprit et la rasséréna. Elle fit lentement le tour de l’église, admirant sans savoir pourquoi la balustrade en pierre ajourée du jubé, les vitraux, les statues, la châsse en cuivre du sarcophage. Une vieille femme se chamaillait avec un bedeau au sujet d’un cierge dont il demandait vingt sous. La vieille en offrait quinze. Rosa lui mit dix sous dans la main, sans rien dire.

Elle sortit de l’église, rasa les murs du collège Henri IV, entra au Panthéon. Ces murailles nues l’épouvantèrent un instant; elle se crut enterrée vivante dans un grand tombeau de pierre froide. Puis, en passant devant la fresque de Jean-Paul Laurens, elle songea à son petit, à Charlot, en voyant un enfant tout nu que sa mère présentait à sainte Geneviève.

Elle sortit de l’église comme une folle. Ses tempes bourdonnaient. Elle voulait voir son enfant! Un instant elle eut l’idée de héler une voiture, mais elle se rappela qu’elle n’avait plus d’argent.

Comme elle allait s’engager sur le pont des Saints-Pères, un homme âgé la bouscula et s’excusa. La connaissance fut bientôt faite, et ils allèrent dîner ensemble au Palais-Royal.

A une heure du matin elle entrait dans la brasserie du boulevard Rochechouart, où Gustave tenait ses assises.

–Tiens, te voilà! T’as de la braise? Je viens de me fiche une de ces culottes!.

Elle lui donna trois pièces de dix francs.

–Et le petit? L’as-tu vu, au moins?

–Ah! oui, fit-il de sa voix grasse, le gosse!

Pas la peine d’aller à Romainville. Le père Machin, le mari de la nourrice, est venu à cinq heures. Mort!. Dame! tu sais. le croup!

Elle s’était affalée sur une chaise, la figure dans ses mains crispées.

Il lui tendit dix francs.

–Tu sais, Zaza, je suis un homme du monde, moi, faut le faire enterrer d’une façon convenable, ce crapaud!

Amour sans phrases

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