Читать книгу Encyclopédie poétique, ou Recueil complet de chef-d'oeuvres de poésie sur tous les sujets possibles. T. 10 - Alexis Toussaint de Gaigne - Страница 10
N.o1884.
ОглавлениеMARIAGE (discours d’une Demoiselle à une autre Demoiselle qu’elle veut détourner du).
HÉLAS! où vous engagez-vous?
Vous ignorez les maux qu’un parfait amour cause;
Vous ne voyez, IRIS, que ce qu’il a de doux,
Sans examiner autre chose.
Le Berger qui vous plaît est charmant, je le crois;
Il a mille vertus, il est tendre, agréable;
Mais ce Berger, pour être aimable,
Vous met-il à couvert des maux que je prévois?
Je ne crains point pour vous la funeste aventure
D’ARIANE laissée en proie à la douleur;
Vous n’éprouverez point un semblable malheur;
Vous n’aurez point d’Amant perfide ni parjure.
Votre vertu, votre beauté,
Cent dons qu’a mis en vous la savante Nature,
Seront les sûrs garans de fa fidélité;
Mais pour rendre heureuse une Belle,
Est-ce assez, croyez-vous, qu’un Amant soit fidèle,
Qu’il possède à la fois les précieux trésors
De l’esprit, de l’ame,&du corps,
Et qu’il soit des Bergers le plus parfait modèle?
Le Sort, ingénieux à vous persécuter,
Ne vous donne peut-être un Amant plein de charmes,
Que pour vous condamner à d’éternelles larmes.
Ah! si dans votre cœur, que tout semble agiter,
La Raison aujourd’hui se fait encore entendre,
Evitez un penchant qu’il est beau d’éviter;
Et songez, pour vous mieux défendre
Du dangereux poison qui fait tout enchanter,
Que la mort d’un Amant soumis, fidèle&tendre,
Eft de tous les malheurs le plus à redouter.
On se dit, mais en vain, quand la mort nous sépare
D’un Amant dont l’Amour a formé les beaux nœuds,
Que rien ne garantit de cette loi barbare,
Et que tout est soumis à ce qu’elle a d’affreux,
Quoiqu’à tous les Mortels cette loi soit commune;
On se croit seul en butte au destin rigoureux,
Et, dans cet état douloureux,
Tout nous rend la vie importune.
La perte des présens que nous fait la Fortune,
Touche moins un cœur généreux.
La Raison, qui nous met au dessus des foiblesses,
Nous peut mettre aisément au dessus des richesses,
Dont l’appât séducteur enchante les Humains.
Mais, hélas! belle Iris, quand on perd ce qu’on aime,
Cette fière Raison, dont l’empire est suprême,
Renonce fans efforts à ses droits souverains;
Et, loin de condamner notre douleur extrême,
Dans les cœurs malheureux elle rend elle-même
Ses plus sages conseils inutiles&vains.
Pour affoiblir les maux où ma crainte vous livre,
Je vois, j’entends déjà l’industrieux Amour,
Toujours attentif à vous suivre,
Vous déguiser l’horreur que l’on a de survivre
A la perte d’un bien que l’on perd sans retour.
Du temps où nous vivons, si vous osez l’entendre,
Jusqu’aux temps les plus reculés,
Hélas! charmante Iris, ce Dieu, pour vous surprendre,
Vous parlera de cent¢ cœurs désolés,
Qui, sur les sombres bords toujours prêts à descendre
Par ses foins se font consolés.
Mais loin de vous laisser séduire
Aux charmes trop puissans de ce Dieu plein d’appas
Dans ce qu’il vous dira cherchez à vous instruire.
Un cœur que la raison gouverne&fait conduire,
Est, vous le savez bien, d’un grand prix ici-bas.
Ne vous reposez point fur les puissantes armes
Du temps, qui triomphe toujours
Des plus vives douleurs, des plus tendres amours;
Le temps, quand la raison autorise nos larmes,
Contre notre douleur est d’un foible secours.
ARTÉMISE autrefois, cette illustre Artémise,
Ce modèle étonnant de vertu, de grandeur,
Conserva pour MAUSOLE une héroïque ardeur;
Et, pleine des transports d’une flamme permise,
Elle porta si loin l’excès de fa douleur,
Que ni le temps, ni fa valeur,
Ni même ce tombeau d’éternelle mémoire,
Ne purent l’empêcher de faire de son cœur
Un sépulchre vivant, où l’Amour eut la gloire
De renfermer (ah! j’en frémis d’horreur)
Les restes précieux de son fameux Vainqueur.
D’un destin si cruel, d’une vertu si rare,
Pourquoi chercher, Iris, un exemple si loin?
D’un amour aussi grand, d’un fort aussi barbare
Ce siècle heureux est le témoin.
Dans un Temple sacré, brillante, jeune&belle;
DES URSINS, dont le nom doit être respecté,
Donna de fa fidélité
Un exemple fameux, qui la rend immortelle.
Le temps de ses douleurs n’arrêta point le cours;
Aux pieds des saints Autels elle pleura toujours;
Toujours d’un époux mort la tendre&triste image
Se retraçoit à son cœur amoureux;
Et jusqu’à ce moment heureux
Que le foible Mortel avec crainte envisage,
Elle porta la gloire de ses feux.
Cet exemple pour vous doit être redoutable:
Un grand cœur aux malheurs est souvent destiné;
Le vôtre est généreux, grand, sensible, équitable,
Et tel enfin qu’il faut pour être infortuné.
Pavillon.