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N.o1892.

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Table des matières

MARIS (satire contre les).

NON, chère EUDOXE, non, je ne puis plus me taire,

Je veux te détourner d’un hymen téméraire;

D’autres filles fans toi, vendant leur liberté,

Se chargeront du foin de la postérité;

D’autres s’embarqueront, fans crainte du naufrage:

Mais toi, voyant l’écueil fans quitter le rivage,

Tu n’iras point, esclave asservie à l’Amour,

Sous le joug d’un époux t’engager fans retour,

Ni d’un servile usage approuvant l’injustice,

De tes biens, de ton cœur, lui faire un sacrifice,

Abandonner ton ame à mille foins divers,

Et toi-même à jamais forger tes propres fers.

Ne t’imagine pas que l’ardeur de médire

Arme aujourd’hui ma main des traits de la satire,

Ni que par un Censeur le beau Sexe outragé,

Ait besoin de mes Vers pour en être vengé.

Ce Sexe plein d’attraits fans secours&fans armes,

Peut assez se défendre avec ses propres charmes;

Et les traits d’un Critique affoibli par les ans,

Sont tombés de les mains fans force&languissans.

Mon esprit, autrefois enchanté de ses rimes,

Lui comptoir pour vertus les satiriques crimes,

Et livroit avec joie à ses nobles fureurs

Un tas infortuné d’insipides Auteurs;

Mais je n’ai pu souffrir qu’une indiscrette veine

Le forçât, vieux Athlète, à rentrer dans l’arène;

Et que, laissant en paix tant de mauvais Ecrits,

Nouveau Prédicateur, il vînt, en cheveux gris,

D’un esprit peu chrétien blâmer des chastes flammes,

Et par des Vers malins nous faire horreur des femmes.

Si l’Hymen après foi traîne tant de dégoûts,

On n’en doit imputer la faute qu’aux époux;

Les femmes font toujours d’innocentes victimes

Que des loix d’intérêt, que des fausses maximes

Immolent lâchement à des maris trompeurs:

On ne s’informe plus ni du sang ni des mœurs.

CRISPIN, roux&Manceau, vient d’épouser JULIE;

Il est du genre humain&l’opprobre la lie;

On trouveroit encore à quelque vieux pilier

Son dernier habit vert pendu chez un Fripier.

Par ses concussions, fatales à la France,

Il a déjà vingt fois affronté la potence;

Mais cent vases d’argent parent ses longs buffets,

Avec peine un Milan traverse ses guérets;

Que faut-il davantage? Aujourd’hui la richesse

Ne tient-elle pas lieu de vertu, de noblesse?

Et pour faire un époux, que voudroit-on de plus

Que dix terres en BEAUCE avec cent mille écus?

Regarde DORILLAS, cet échappé d’ESOPE,

Qu’on ne peut discerner qu’avec un microscope,

Dont le corps de travers&l’esprit plus mal-fait,

D’un THERSITE à nos yeux retracent le portrait;

Que t’en semble, dis-moi? Penses-tu qu’une fille,

Qui n’a vu cet Amant qu’au travers d’une grille,

Et qui depuis dix ans nourrie à Port-Royal,

A passé du parloir dans le lit nuptial,

Puisse garder long-temps une forte tendresse

En faveur d’un mari d’une si rare espèce,

Quand la Ville&la Cour présentent à ses yeux

Des flots d’adorateurs qui la méritoient mieux.

Mais je veux que du Ciel une heureuse influence

Rassemble en ton époux&mérite&naissance;

Infortuné joueur, il perdra tous tes biens

Qu’un contrat malheureux confond avec les siens.

Entrons dans ce Brelan, où s’arrête à la porte

Des Laquais mal payés la maligne cohorte;

Vois les cornets en l’air jetés avec transport,

Qu’on veut rendre garans des caprices du sort;

Vois ces pales joueurs, qui, pleins d’extravagance,

D’un destin insolent affrontent l’inconstance,

Et fur trois dez maudits lisent l’arrêt fatal

Qui les condamne enfin d’aller à l’Hôpital.

Pénétrons plus avant: vois cette table ronde,

Autel que l’Avarice éleva dans le monde,

Où tous ces forcenés semblent avoir fait vœu

De se sacrifier au noir Démon du Jeu.

Vois-tu fur cette carte un contrat disparaître?

Sur cette autre un château prêt à changer de Maître?

Quel soudain désespoir saisit ce malheureux

Que vient d’assassiner un coupe-gorge affreux?

Mais fuyons; fous ses pieds tous les parquets gémissent,

De sermens tous nouveaux les plafonds retentissent;

Et, par le fort cruel d’une fatale nuit,

Je vois enfin GALET à l’aumône réduit.

Sa Femme cependant, de cent frayeurs atteinte,

Boit chez elle à longs traits&le fiel&l’absynthe,

Ou, traînant avec soi d’infortunés enfans,

Va chercher un asile auprès de ses parens.

HARPAGON est atteint de toute autre folie;

Le Ciel l’avantagea d’une femme accomplie;

Il reçut pour fa dot plus d’écus à la fois

Qu’un balancier n’en peut réformer en six mois.

Sa femme se flattoit de la douce espérance

De voir fleurir chez elle une heureuse abondance,

Elle croyoit au moins que deux ou trois amis

Pourroient, soir&matin, à fa table être admis;

Mais Harpagon, aride&presque diaphane

Par les jeûnes cruels auxquels il se condamne,

Ne reçoit point d’amis aux dépens de son pain,

Tout se ressent chez lui des langueurs de la faim;

Si, pour fournir aux frais d’un habit nécessaire,

Sa femme lui demande une somme légère,

Son visage soudain prend une autre couleur,

Ses Valets font en butte à fa mauvaise humeur;

L’Avarice bientôt, au teint livide&blême,

Sur son coffre de fer va s’asseoir elle-même.

Pour ne le point ouvrir il abonde en raisons;

Ses Hôtes fans payer ont vidé ses maisons,

D’un vent venu du Nord la maligne influence

A moissonné ses fruits avec son espérance,

Ou de fougueux torrens inondant ses vallons.

Ont noyé fans pitié l’honneur de ses sillons.

Ainsi, toujours rétif, rien ne fléchit son ame;

Pour avoir un habit, il faudra que fa femme

Attende que la Mort, le mettant au cercueil,

Lui fasse enfin porter un salutaire deuil.

Mais pourquoi, diras-tu, cette injuste querelle?

Les époux sont-ils faits fur le même modèle?

ALCIPE n’est-il pas exempt de ces défauts

Que tu viens de tracer dans tes piquans tableaux?

D’’accord; il est bien fait, généreux, noble&sage,

Mais à se ruiner son propre honneur l’engage.

Si-tôt que la Victoire, un laurier à la main,

Appellera Louis fur les rives du RHIN,

Que des Zéphyrs nouveaux les fécondes haleines

Feront verdir nos bois&refleurir nos plaines,

Ses mulets importuns, bizarrement ornés,

Et d’un airain bruyant par-tout environnés,

Sous des tapis brodés se suivant à la file,

A pas majestueux traverseront la ville;

Tout le peuple, attentif au bruit de ces mulets,

Verra passer au loin surtouts, fourgons, valets,

Chevaux de main fringans, insultant à la terre,

Pompe digne en effet des enfans de la guerre;

Mais, pour donner l’essor à ce noble embarras,

Combien chez le Notaire a-t-il fait de contrats?

Les joyaux de fa femme ont été mis. en gage,

D’un somptueux buffet le pompeux écalage,

Que du débris commun il n’a pu garantir,

Rentre chez le Marchand d’où l’on l’a vu sortir.

Pour assembler un fonds de deux mille pistoles,

Combien, nouveau Protée, a-t-il joué de rôles;

Combien a-t-il fait voir que le plus fier Guerrier

Eft bien humble aujourd’hui devant un Usurier?

Il part enfin,&mène avec lui l’abondance;

Tout le camp se ressent de fa noble dépense;

Des Cuisiniers fameux, pour lui fournir des mets;

Epuisent chaque jour les mers&les forêts.

Que fait fa femme alors? Dans le fond d’un village

Elle va sans argent déplorer son veuvage,

Dans ses jardins déserts promener la douleur,

Et des champs paresseux exciter la lenteur.

On voit, six mois après, tout ce train magnifique,

Réduit à la moitié, revenir foible, étique:

On voit fur les chemins l’équipage en lambeaux,

Des mulets décharnés, des ombres de chevaux,

Qui, dans ce triste état n’osant presque paraître,

S’en vont droit au Marché chercher un nouveau Maître.

Cependant au printemps il faut recommencer;

Il faut, fur nouveaux frais, emprunter, dépenser:

Mais nous verrons bientôt une liste cruelle

Du trépas de l’époux apporter la nouvelle;

Et pour payer enfin de tristes créanciers,

Il ne laisse après lui qu’un tas de vains lauriers.

Il est d’autres Maris volages, infidèles,

Fatigans, damerets, tyrans nés des ruelles,

Qu’on voit, malgré l’Hymen&ses sacrés flambeaux,

S’enrôler chaque jour fous de nouveaux drapeaux,

Qui, d’un cœur plein de feux à leur devoir contraires,

Encensent follement des Beautés étrangères;

Le foin toujours pressant de leurs galants exploits

En vingt lieux différens les appelle à la fois.

AGATHON dans Paris court à bride abattue;

Malheur à qui pour lors est à pied dans la rue:

D’un&d’autre coté ses chevaux bondissans

D’un déluge de boue inondent les passans.

Tout fuit aux environs; chacun cherche un asile;

Avec plus de vîtesse il traverse la ville

Que ces couriers poudreux que l’on vit les premiers

Du combat de NERWINDE apporter les lauriers,

Et qui de la Victoire empruntèrent les ailes

Pour en donner au Roi les premières nouvelles.

De cet empressement le sujet inconnu,

Quel est il en effet? Hé quoi! l’ignores-tu?

Il va, fade Amoureux, de Théâtre en Théâtre,

Exposer un habit dont il est idolâtre;

Dans le même moment on le retrouve au Cours;

Hors la file, au grand trot, il y fait plusieurs tours;

Tout hors d’haleine enfin il entre aux Tuileries,

Cherchant par-tout matière à ses galanteries:

Il reçoit tous les jours mille tendres billets;

Ses bras font jusqu’au coude entourés de portraits;

On voit briller dans l’or des Blondes&des Brunes,

Qu’il porte pour garans de ses bonnes fortunes;

Aux yeux de son épouse il en fait vanité;

Il prétend qu’en dépit des loix de l’équité

Sa femme lui conserve une amour éternelle,

Tandis qu’il aime ailleurs&court de Belle en Belle.

D’autres amours encor.... Mais non, d’un tel discours

Il ne m’est pas permis de prolonger le cours;

Ma plume se refuse à ma timide veine.

Eût-on cru que le TIBRE eût coulé dans la SEINE,

Et qu’il eût corrompu les mœurs de nos François,

Pour consoler le RHIN de leurs fameux exploits?

Je voudrais bien, EUDOXE, abrégeant la matière,

Calmer ici ma bile&finir ma carrière;

Mais puis-je supprimer le portrait d’un époux,

Qui, fans cesse agité de mouvemens jaloux,

Et paré des dehors d’une tendresse vaine,

Aime, mais d’un amour qui ressemble à la haine.

ALIDOR vient ici s’offrir à mon pinceau;

Il est de fa moitié l’Amant&le bourreau;

Par-tout il la pourfuit, fans cesse il la querelle;

Il ne peut la quitter, ni demeurer près d’elle.

L’Erreur, au double front, le dévorant Ennui,

Les funestes Soupçons volent autour de lui;

Un geste indifférent, un regard fans étude,

Va de son cœur jaloux aigrir l’inquiétude.

Sans cesse il se consume en projets superflus;

Il voit, il entend tout, il en croit encor plus;

Il est, malgré ses soins&ses confiantes veilles,

Aveugle avec cent yeux, sourd avec cent oreilles.

Chaque objet de son cœur vient arracher la paix;

Marbres, Bronzes, Tableaux, Portiers, Cochers, Laquais,

Ceux même qu’aux déserts de l’ardente GUINÉE

Le Soleil a couverts d’une peau bazanée,

Tout lui paroît Amant fatal à son honneur;

Il craint des héritiers de plus d’une couleur.

Qu’un folâtre Zéphyr, avec trop de licence,

Des cheveux de fa femme ait détruit l’ordonnance,

Sa main s’arme aussi-tôt du fer&du poison,

D’un prétendu rival il veut tirer raison.

Si la crainte des loix suspend fa frénésie,

Pour l’immoler cent fois, il lui laisse la vie;

Dans quelque affreux château, retraite des Hiboux,

Dont quelque jour peut-être il deviendra jaloux,

Il la traîne en exil comme une criminelle,

Et, pour la tourmenter, il s’enferme avec elle.

Dans ce sauvage lieu, des vivans ignoré,

D’un fossé large&creux doublement entouré,

Cette triste victime, affligée, éperdue,

Sur les funestes bords croit être descendue,

Lorsque la Parque enfin, répondant à ses vœux,

Vient terminer le cours de ses jours malheureux.

Nomme-moi, si tu peux, quelque Mari fans vice,

Ma Muse est toute prête à lui rendre justice.

Sera-ce LICIDAS, qui met avec éclat

Sa femme en un Couvent par arrêt du Sénat,

Et qui, trois mois après, devenu doux&sage,

Célèbre en un Parloir un fécond mariage?

Sera-ce LYSIMON, qui, toujours entêté,

Convoque avec grand bruit toute la Faculté;

Et fur son fort douteux consultant HIPPOCRATE,

Fait qu’aux yeux du Public son déshonneur éclate?

Quel champ! si je parlois d’un époux furieux,

Qui, profanant fans cesse un chef-d’oeuvre des Dieux,

Ose, dans les transports de fa rage cruelle,

Porter fur son épouse une main criminelle.

Mais je te veux encore ébaucher un tableau:

Remontons fur la scène,&tirons ce rideau.

Dieux! que vois-je, en dépit d’une épaisse fumée

Que répand dans les airs mainte pipe enflammée?

Parmi des flots de vin en tous lieux répandu,

J’apperçois TRASIMON fur le ventre étendu,

Qui, tout pâle&défait, rejette fous la table

Les rebuts odieux d’un repas qui l’accable;

Il fait, pour se lever, des efforts violens;

La terre se dérobe à ses pas chancelans.

De mortelles vapeurs fa tête encore pleine,

Sous de honteux débris de nouveau le rentraîne:

Il retombe&bientôt l’Aurore en ce réduit

Viendra nous découvrir les excès de la nuit;

Bientôt avec le jour nous allons voir paraître

Quatre insolens Laquais aussi soûls que leur Maître,

Qui, charmés dans leurs cœurs de ce honteux fracas

Près de fa femme au lit le portent fous les bras.

Quel charme! quel plaisir pour cette triste femme,

De se voir le témoin de ce spectacle infame,

De sentir des vapeurs de vin&de tabac,

Qu’exhale à ses côtés un perfide estomac!

Tu frémis: toutefois, dans le siècle où nous sommes,

Cher Eudoxe, voilà comme font faits les Hommes.

Quel mérite, après-tout, quels titres souverains

Rendent donc les Maris&si fiers&si vains?

Osent-ils se flatter qu’un contrat authentique

Leur donne fur ses cœurs un pouvoir tyrannique?

Pensent-ils que, brutaux, peu complaisans, fâcheux,

Avares, négligés, débauchés, ombrageux,

Parés du nom d’époux, ils feront surs de plaire,

Au mépris d’un Amant soumis, tendre, sincère,

Complaisant, libéral, qui se fait nuit&jour

Un foin toujours nouveau de prouver son amour;

Non, non, c’est se flatter d’un erreur condamnable;

Et pour se faire aimer, il faut se rendre aimable.

Après tous ces portraits bien ou mal ébauchés,

Et tant d’autres encor que je n’ai pas touchés,

Iras-tu, me traitant d’ennuyeux Pédagogue,

Des martyrs de l’Hymen grossir le catalogue?

Non; dans un plein repos arrête ton destin;

C’est le premier des biens de vivre fans chagrin,

Si dans des Vers piquans JUVÉNAL en furie

A fait passer pour sou celui qui se marie ;

D’un esprit plus sensé concluons aujourd’hui,

Que celle qui l’épouse est plus folle que lui.

Regnard.

Encyclopédie poétique, ou Recueil complet de chef-d'oeuvres de poésie sur tous les sujets possibles. T. 10

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