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Régime des Établissements autorisés dans leurs rapports avec l’autorité judiciaire.
ОглавлениеLÉGISLATION. Décret du 15 octobre 1810. — Code pénal (art. 471, n. 15). — Loi des 16-24 août 1790, t. XI, art. 3 et 4; 19-22 juill. 1791, t.I, art. 46 (Attributions de la police municipale). — Code Nap., art. 1382 et s.
78. Double attribution de l’autorité judiciaire à l’égard des ateliers. — Les établissements industriels, après l’autorisation obtenue, ne sont pas seulement soumis à l’action de l’autorité administrative spécialement chargée, comme on l’a vu, des mesures à prendre pour assurer l’exécution des lois et règlements relatifs aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes; ils sont encore sous la juridiction de l’autorité judiciaire. Celle-ci, en effet au point de vue de l’intérêt public et dans un but de répression, partage jusqu’à un certain point avec l’administration le soin de faire exécuter les lois et règlements sur la matière dont il s’agit, et, d’autre part, au point de vue de l’intérêt privé, elle est exclusivement compétente pour donner satisfaction aux droits des tiers expressément réservés par l’art. 11 du décret de 1810. Cette action de l’autorité judiciaire, sous l’un et l’autre rapport, s’exerce, à l’égard des établissements autorisés, dans une mesure et à des conditions qu’il importe de déterminer nettement,
§ Ier.
Action de la justice répressive sur les établissements autorisés au point de vue de l’intérêt public.
SOMMAIRE.
79. Les infractions aux règlements sur les ateliers constituent des contraventions. — 80. Conditions générale de la légalité des règlements. — 81. Mesures spéciales de police attribuées à l’autorité municipale. — 82. Contravention pour exploitation non autorisée ou inobservation des conditions. — 83. Pénalité. — 84. La contravention résulte du fait matériel. Responsabilité du maître. — 85. Dommages-intérêts. Interdiction d’exploiter. — 86. Du droit d’ordonner la démolition. — 87. Prescription annale. Point de départ. 88. Quand a lieu la chose jugée. — 89. Le juge de police apprécie la légalité des règlements — 90. Sursls obligatoire en cas de questions administratives préjudicielles. — 91. Question d’interprétation d’actes administratifs. — 92. Question d’antériorité à 1810 ou d’interruption d’exploitation. — 93. Résumé sur les questions administratives préjudicielles.
79. Les infractions aux règlements sur les ateliers constituent des contraventions. — La juridiction des tribunaux de répression, à l’égard des établissements classés, est fondée sur la disposition générale de l’art. 471 du Code pénal ainsi conçue:
«Seront punis d’amende depuis 1 fr. jusqu’à 5 fr.
«inclusivement........
«15° Ceux qui auront contrevenu aux règlements légalement
«faits par l’autorité administrative, et ceux qui ne se seront
«pas conformés aux règlements ou arrêtés publiés par l’autorité
«municipale, en vertu des art. 3 et 4, t. XI de la loi du 16-24
«août 1790, et de l’art. 46, t. I de la loi du 19-22 juillet 1791.»
Or, les décret et ordonnance du 15 octobre 1810 et du 14 janvier 1815, et toutes les ordonnances générales de classement, ainsi que les arrêtés spéciaux relatifs à chaque établissement en particulier, ayant incontestablement le caractère de règlements de l’autorité administrative, il en résulte que les tribunaux de police sont investis du droit de réprimer toute infraction aux dispositions de ces règlements et arrêtés.
80. Conditions générales de la légalité des règlements — Parmi ces arrêtés et règlements administratifs que le pouvoir judiciaire est tenu de faire respecter, il faut comprendre, mais dans une limite très-restreinte, certains arrêtés de police municipale qui peuvent exceptionnellement être obligatoires pour les ateliers même autorisés.
En principe, il est certain que ces établissements sont placés exclusivement sous l’empire des règlements qui leur sont particuliers, et que, aux termes d’un arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 1853, «les pouvoirs généraux de police et de
«sûreté que l’autorité municipale tient des lois du 24 août 1790
«et 19 juillet 1791 ne sauraient s’étendre aux matières qui
«feraient l’objet de lois spéciales ou de règlements généraux.
«En conséquence, il appartient seulement au préfet ou à l’autorité
«administrative de statuer par des règlements pris selon
«les distinctions indiquées dans les lois et ordonnances (1. du
«15 octobre 1810, ord. du 14 janvier 1815 et 9 février 1825),
«sur le lieu où peuvent être formés les établissements qui en
«font l’objet, et sur les restrictions dont l’industrie qu’ils comportent
«est susceptible, dans l’intérêt de la sûreté, de la salubrité
«ou de la commodité publiques.»
81. Mesures spéciales de police attribuées à l’autorité municipale. — Cependant la jurisprudence admet que des mesures spéciales de police peuvent être prises par l’autorité municipale à l’égard des établissements dont il s’agit, «pourvu
«qu’elles n’empiètent pas sur le pouvoir confié à l’autorité supérieure
«par les décrets et ordonnances précités, et qu’elles
«n’aient pas conséquemment pour objet de régler le lieu
«où peuvent être formés les établissements, de modifier ou
«d’altérer les conditions d’existence de l’industrie des
«propriétaires .»
Parmi ces mesures, elle comprend les précautions accessoires dans le détail desquelles l’administration supérieure n’a pu entrer, et qui sont nécessaires à la salubrité des communes, pourvu qu’elles ne soient pas en opposition avec les conditions fixées par l’arrêté d’autorisation. — Ainsi elle reconnaît au maire le droit d’enjoindre à un fabricant de transporter à une certaine distance des habitations les résidus d’une féculerie autorisée ; ou d’enfouir à une certaine profondeur les chrysalides provenant d’une filature de soie .
Ainsi encore la Cour de cassation a déclaré légal l’arrêté par lequel un maire, en vertu de l’art. 3, n° 2, t. 11, de la loi des 16-24 août 1790, a fixé le temps pendant lequel tous ceux qui exercent des professions à marteau dans la ville seront tenus d’interrompre leurs travaux, afin de ne pas troubler la tranquillité des habitants . Mais elle a refusé à l’autorité municipale le droit de déterminer, d’une manière générale, les heures de travail des moulins à vent et les lieux où telle et telle industrie devrait seulement être autorisée.
Il résulte de cette jurisprudence et des distinctions assez délicates qu’elle consacre, que la police municipale ne pourra s’exercer, à l’égard des établissements classés, qu’à la condition de ne porter aucune atteinte aux conditions de leur existence.
82. Contravention pour exploitation non autorisée ou inobservation des conditions. — En application des principes exposés ci-dessus, peuvent être poursuivis devant les tribunaux de police les industriels qui exploitent un établissement classé, soit avant la demande ou l’obtention de l’autorisation, soit après le refus ou le retrait de l’autorisation , soit enfin malgré un arrêté de suspension .
La formation d’une demande d’autorisation, ou d’un recours contre l’arrêté qui la refuse, ne suspend pas l’action pénale, et ne peut autoriser le tribunal à surseoir . La condamnation est encourue de quelque manière que la partie soit en instance auprès de l’administration, par cela seul qu’il a exploité sans autorisation accordée et subsistante.
Sont également justiciables des tribunaux de police les industriels qui, dans le cours de leur exploitation, méconnaissent les conditions qui leur sont prescrites par l’arrêté d’autorisation .
Les mêmes poursuites peuvent être dirigées contre le-fabricant autorisé qui a contrevenu à l’arrêté municipal interdisant pendant un certain temps de la nuit, dans l’intérêt du repos des habitants, le jeu des manufactures à marteau .
83. Pénalités. — Les peines à appliquer sont l’amende de 1 à 5 fr., d’après l’art. 471, n° 15, C. pén., et l’emprisonnement pendant trois jours au plus, en cas de récidive (art. 474).
84. La contravention résulté du fait matériel. — Responsabilité du maître. — En vertu d’un principe généralement applicable en matière de contraventions, le fait matériel suffît pour entraîner la condamnation, et le prévenu ne peut être excusé d’après son intention. Il est également de principe que l’amende est considérée comme ayant le caractère d’une réparation civile, et qu’en conséquence, elle peut être prononcée et recouvrée non-seulement contre l’auteur même du fait, mais contre celui qui en est civilement responsable, comme le maître à l’égard de son domestique.
85. Dommages-intérêts. — Interdiction d’exploiter. — Le tribunal de police, en même temps qu’il prononce la peine, doit, d’après l’art. 161, C. d’inst. cr., statuer sur les demandes en dommages-intérêts qui seraient formées par une partie civile intervenante, c’est-à-dire accorder les réparations civiles. On parlera ci-après des dommages-intérêts auxquels peuvent avoir droit les tiers intéressés, et qui sont ordinairement demander par la voie de l’action civile devant les tribunaux ordinaires (n° 94). Il est une sorte de réparation Civile qui, bien qu’ainsi qualifiée par la Jurisprudence, vient en réalité compléter la peine et assurer de la manière la plus efficace l’exécution des règlements, c’est l’interdiction de continuer l’exploitation qui doit être prononcée sur là réquisition du ministère public, aussi bien que sûr les conclusions des parties intéressées .
86. Du droit d’ordonner la démolition. — Le tribunal, qui peut prononcer la défense d’exploiter, ne pourrait, sans excès de pouvoir, ordonner la démolition de l’établissement, excepté dans certains cas spéciaux (C. pén., art. 151, etc.) comme le font observer avec raison MM. Avisse et Dufour . C’est qu’en effet, d’une part, la contravention résulte moins, comme on l’a ait, dé l’existence de l’établissement que de son exploitation; et que d’autre part, s’il ordonnait la démolition, le tribunal entraverait le libre exercice de l’autorité administrative, en mettant obstacle à ce qu’une autorisation régulière pût intervenir utilement en faveur de l’établissement en question. Le juge ne pourrait pas davantage, diaprés le même principe, déterminer les conditions auxquelles l’exploitation condamnée pourrait être reprise, conditions qu’il appartient exclusivement à l’administration de régler.
87. Prescription annale; point de départ. — Aux termes de l’art. 640 du C. d’inst. cr., la prescription en matière de contraventions est accomplie, au point de vue de la pénalité et au point de vue des dommages-intérêts, après une année révolue. Cette année court à compter du jour où l’infraction a été commise, même lorsqu’il y aurait eu procès-verbal, saisie, instruction ou poursuite, si dans l’intervalle, il n’est point intervenu de condamnation. il faut faire observer toutefois que la contravention résultant ici moins de la formation non autorisée de l’établissement que de son exploitation illégale, celle-ci constitue, chaque fois qu’elle se renouvelle au mépris des règlements, un fait nouveau qui doit être l’objet d’une répression. Il suit de là ? que le fabricant qui exploite illégalement ne peut se prévaloir du long temps pendant lequel cette exploitation aurait eu lieu antérieurement à la poursuite, et qu’il suffit, pour qu’il puisse être condamné, que le dernier fait d’exploitation n’ait pas plus d’un an de date .
88. Quaud a lieu la chose jugée. — Il résulte du même principe, au point de vue de la chose jugée, qu’un premier jugé-ment qui aurait renvoyé le prévenu des fins d’une première poursuite, ne mettrait pas obstacle à ce qu’une condamnation intervînt pour la même exploitation ultérieurement continuée .
89. Le juge de police apprécie la légalité des règlements. — Une remarque essentielle est que l’art. 471, n° 15, n’est applicable qu’en cas de règlements légalement faits. De ces termes la jurisprudence a déduit le droit, désormais incontesté, pour le tribunal de police chargé de juger le fabricant prévenu d’avoir violé un règlement sur la matière, de rechercher, non-seulement si l’infraction existe, mais encore si le règlement est légal. «L’autorité judiciaire, dit la Cour de cassation, a toujours le droit d’examiner si les dispositions réglementaires qu’elle est appelée à sanctionner par l’application d’une peine, ont été prises par l’autorité de laquelle elles émanent, dans les limites légales de sa compétence .»
Il suit de là que le fabricant poursuivi devant le tribunal de police peut toujours exciper de l’illégalité de l’arrêté sur l’inobservation duquel serait fondée la condamnation. Il peut soutenir, par exemple, s’il est poursuivi pour avoir exploité en contravention avec un arrêté qui révoque son autorisation, que cette révocation a été prononcée par une autorité dont les attributions ne comprenaient pas un tel droit. De même un fabricant accusé d’avoir contrevenu aux conditions prescrites pourrait, à notre sens, soutenir que son établissement ne rentre dans aucune des trois classes établies par le décret de 1810, que toute autorisation était dès lors superflue, et que c’est à tort que l’autorité administrative a soumis son établissement à des conditions applicables seulement aux établissements classés. — En présence de semblables exceptions, le tribunal de police est tenu de résoudre préjudiciellement la question de légalité qui lui est soumise, et la décision qui prononcerait une condamnation sans solution préalable de cette question encourrait inévitablement la censure de la Cour de cassation .
90. Sursis obligatoire en cas de questions administratives préjudicielles. — Si le juge de police a le droit d’apprécier lui-même la question préjudicielle de légalité des règlements, ainsi que, en général, toute autre exception proposée par le prévenu, il n’en est pas de même des moyens de défense qui soulèveraient un débat de la compétence spéciale et exclusive de l’administration. Le juge devrait alors surseoir jusqu’à ce qu’il eût été statué par l’autorité administrative.
91. Question d’interprétation d’actes administratifs. — Il en est ainsi, par exemple, quand, dans une poursuite pour contravention aux conditions imposées, il y a doute su r le sens et la portée de ces conditions. En vertu d’une règle générale sans cesse proclamée par la Cour de cassation comme par le conseil d’État, les autorités judiciaires, compétentes pour appliquer les actes de l’administration dans leurs dispositions claires et précises, ne le sont pas pour interpréter celles de ces dispositions qui sont obscures ou incertaines. Cette règle a été appliquée dans l’espèce suivante. Le tribunal de police avait condamné un industriel pour emploi dans sa fabrication de matières autres que celles qui étaient désignées dans l’arrêté d’autorisation, nonobstant la prétention émise par le fabricant que l’autorisation sainement entendue s’appliquait à ces matières; le conflit a été élevé sur l’appel de ce jugement, par le motif que le tribunal ne devait statuer qu’après que la portée et l’étendue de l’acte d’autorisation auraient été expliquées par l’autorité administrative, et ce conflit a été confirmé en conseil d’État .
9%. Question d’antériorité à 1810 ou d’interruption d’exploitation. — Il en est de même lorsque le fabricant oppose à l’accusation fondée sur l’absence d’autorisation que son établissement en était dispensé comme antérieur à 1810 (art. 11), ou quand il conteste qu’une interruption de travaux de plus de six mois lui ait fait perdre le bénéfice de l’autorisation (art. 13). Les tribunaux doivent surseoir jusqu’à ce que l’autorité administrative ait prononcé sur l’exception: «Attendu
«que, d’après les dispositions du décret du 15 octobre
«1810, tout ce qui concerne Rétablissement, la conservation
«ou la suppression des manufactures et ateliers qui répandent
«une odeur insalubre ou incommode, appartient à l’autorité administrative;
«que, par suite de ce principe, lorsque le prévenu
«poursuivi pour avoir exploité un établissement de cette
«espèce, sans y être autorisé, soutient, pour sa défense, qu’il
«a une autorisation, soit expresse, en exécution de l’art. 1er de «ce décret, soit tacite, en vertu de la disposition de son art. 11, «les tribunaux ne peuvent décider cette question préjudicielles; «qu’il en est de même lorsque le point controversé entre les «parties est de savoir si l’établissement, originairement autorisé, «a perdu son privilége par une interruption de plus de «six mois dans ses travaux.» (Cass., 30 avril 18415 3 octobre 1845.)
93. Résumé sur les questions administratives préjudicielles. — En un mot|, «dès qu’il est constaté et déclaré par le juge qu’un établissement ventre dans la nomenclature des ateliers classés, ou qu’il a été régulièrement assimilé à ces ateliers, le débat, dans tout ce qui a trait à la question de savoir s’il y a eu autorisation, ou si le fabricant n’était pas dans les conditions voulues pour être dispensé de la demander ou de la faire renouveler (ajoutons, ou s’il en a observé les termes), est de la compétence exclusive de l’autorité appelée à statuer sur les demandes d’autorisation.» (M. Dufour, t. 2, n° 602.)
§II.
Réparations civiles qui peuvent être obtenues des tribunaux par les particuliers lésés.
SOMMAIRE.
94. Dommages-intérêts en cas d’exploitation illégale. — 95. L’autorisation ne rend pas l’action en dommages-intérêts irrecevable. — 96. Compétence des tribunaux civils. — 97. La suppression ne peut être ordonnée par le juge. — 98. Conciliation nécessaire des intérêts de l’industrie et de ceux de la propriété. Principes. — 99. Distinction proposée entre les dommages matériels et moraux. 100. Tempérament tiré des obligations ordinaires du voisinage. — 101, Influence nécessaire du principe de la liberté industrielle.
94. Dommages-intérêt» en cas d’exploitation illégale. — Les précautions prises par l’autorité administrative, dans l’intérêt de la salubrité et de la sûreté publiques, ne font pas obstacle à ce que les particuliers lésés par l’exercice de l’industrie qui s’exploite dans leur voisinage obtiennent les réparations dues, aux termes d’un droit commun, à toute personne qui subit un dommage par le fait d’autrui (art. 1382, Cod. Nap.).
Ainsi, et tout d’abord, il n’est pas douteux qu’en cas d’exploitation illégale de la part du fabricant, les tiers lésés ne puissent réclamer des dommages-intérêts pour un fait qui présente nécessairement alors le caractère d’une faute, soit en se portant parties civiles devant le tribunal de police (art. 161, Cod. d’instr. crim.), soit en formant une demande principale devant les tribunaux civils.
95. L’autorisation ne pend pas l’action en dommages-intérêts irrecevable. — Mais des difficultés s’élèvent alors que le préjudice allégué provient d’une exploitation régulièrement exercée dans les termes mêmes de l’acte d’autorisation, et où par conséquent le fabricant n’est pas en faute. Or, en ce cas même, le principe du droit des parties lésées à la réparation civile est maintenu par la disposition finale de l’art. 11 du décret du 15 octobre 1810, ainsi conçu: «Sauf les
«dommages dont pourront être passibles les entrepreneurs des
«établissements qui préjudicient aux propriétés de leurs
«voisins.» Ce principe est applicable à tous les établissements autorisés ou non, soit postérieurs, soit antérieurs au décret de 1810 .
La jurisprudence du conseil d’État et celle de la Cour de cassation sont d’accord sur ce point. Il est constant que l’autorisation accordée à un établissement et le rejet même des oppositions dirigées contre la demande d’autorisation n’élèvent aucune fin de non-recevoir contre l’action en dommages-intérêts intentée par fauteur même des oppositions écartées administrativement .
96. Compétence des tribunaux civils. — Les mêmes monuments de jurisprudence établissent que cette action en dommages-intérêts est de la compétence exclusive des tribunaux civils, à laquelle le décret du 15 octobre 1810 n’a pas dérogé sous ce rapport. «Il appartient, dit l’arrêt du 28 février 1848,
«aux tribunaux, seuls compétents pour statuer sur de purs intérêts
«privés, de constater si un dommage susceptible d’indemnité
«ou de réparation a été causé aux propriétés voisines,
«et de prononcer, s’il y a lieu, des réparations et
«indemnités.»
97. La suppression ne peut être ordonnée par le juge. — Toutefois le respect dû par la justice civile aux actes de l’autorité administrative interdit aux tribunaux, tout en prononçant la réparation pécuniaire du préjudice, d’ordonner la suppression d’un établissement légalement autorisé. Autrement l’autorisation administrative deviendrait absolument illusoire, puisque tous les effets pourraient en être anéantis par un acte de l’autorité judiciaire. Cette restriction aux pouvoirs des tribunaux civils est exigée par les intérêts généraux de l’industrie qui sont ici en lutte avec les droits de la propriété territoriale.
98. Conciliation nécessaire des intérêts de l’industrie et des droits de la propriété. — Principes . — Ce n’est pas la seule atteinte que ces droits aient à subir; et dans l’allocation même des réparations pécuniaires, les tribunaux, sans sacrifier la propriété, doivent tenir compte des nécessités de l’industrie. Il est certain, d’un côté, que la plupart des ateliers classés causent un préjudice plus ou moins direct aux habitations voisines, par les émanations, le bruit, l’agitation, l’aspect même des établissements. Il en résulte parfois une dépréciation notable des immeubles situés à proximité. D’un autre côté, si tous ces divers dommages devaient être indistinctement et intégralement réparés, tous les ateliers industriels succomberaient sous des charges exorbitantes. L’exercice de l’industrie deviendrait véritablement impossible, et le propriétaire d’une usine serait privé du bénéfice de l’art. 544, Cod. Nap., qui permet à chacun de jouir et de disposer de sa chose comme il l’entend, pourvu qu’il n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Il est juste, en outre, de compenser le préjudice spécial que peuvent éprouver tels ou tels propriétaires par les avantages généraux que ces mêmes propriétaires recueillent, avec la société tout entière, des développements des arts industriels. Enfin, il ne faut pas oublier que les dispositions du Code Napoléon, qui posent le principe de l’indemnité pour préjudice résultant des faits d’autrui (art. 1382, 1383), exigent qu’il y ait faute imputable à l’auteur du dommage, pour qu’il soit tenu à le réparer: or, on aurait peine à admettre qu’il y ait faute de la part de l’industriel qui soumet sa fabrication à toutes les conditions protectrices exigées par la sollicitude de l’administration .
Sous l’influence de ces considérations diverses, entre lesquelles il est difficile de faire pencher la balance, la doctrine et la jurisprudence ont fait des tentatives plus ou moins heureuses pour concilier les droits et les intérêts opposés.
99. Distinction proposée entre les dommages matériels et moraux. — Nous ne nous arrêterons pas à l’opinion isolée d’un jurisconsulte renommé ( M. Duvergier, Revue étrangère et française de législation, t. 10, p. 425 et 601), qui croit pouvoir induire de l’art. 544, Cod. Nap., la négation de toute action en dommages-intérêts pour le préjudice causé par l’exploitation régulière d’une industrie autorisée, opinion que repousse, d’après le texte formel de l’art. 11 du décret de 1810, l’unanimité des auteurs et des arrêts. Parmi ceux qui admettent en principe l’action en dommages-intérêts, une grande divergence s’est manifestée quant à l’étendue et à la portée de cette action. Les uns ont distingué entre les dommages matériels, c’est-à-dire occasionnant un retranchement, une détérioration physique à la propriété, comme l’ébranlement des édifices, l’altération de la végétation par des gaz délétères, pour lesquels on a admis l’action, et les dommages moraux, c’est-à-dire la dépréciation, la diminution d’utilité, d’agrément, de valeur, que le bruit, la fumée, etc., peuvent faire éprouver à la propriété, pour lesquels l’action a été déniée .
D’autres ont soutenu, au contraire, qu’aucune distinction n’étant faite par l’art. 11 du décret de 1810, la réparation était due, dès qu’il y avait dommage, soit matériel, soit même moral ou d’opinion .
100. Tempérament tiré des obligations ordinaires du voisinage. — Enfin la Cour de cassation, mitigeant cette dernière doctrine si rigoureuse pour l’industrie, a posé en principe dans ses plus récents arrêts que, si une réparation civile peut être due pour tout dommage réel, quelle qu’en soit la nature, celui, par exemple, provenant d’un bruit considérable, elle ne l’est cependant que lorsque le préjudice excède les obligations ordinaires du voisinage et dépasse les bornes de la tolérance réciproque que se doivent les propriétés contiguës . C’est ainsi qu’elle a cassé un arrêt de Paris pour avoir condamné un fabricant à payer des dommages-intérêts, tant qu’il y aurait un préjudice quelconque, sans borner l’obligation de la réparation à la limite où devrait commencer la tolérance mutuelle.
101 Influence nécessaire du principe de la liberté industrielle. — Cette jurisprudence a peut-être le tort de ne pas donner une importance suffisante au rôle d’arbitre entre l’industrie et la propriété que l’administration exerce en autorisant les établissements classés; toutefois elle laisse une grande latitude à l’appréciation des tribunaux. Le devoir de ceux-ci sera donc, en tenant compte de tout le respect dû à la propriété privée, de se pénétrer de l’esprit des décret et ordonnance de 1810 et 1815, qui ont eu pour objet de protéger, à tous les points de vue, le libre exercice de l’industrie contre une application abusive des règles du droit commun.
APPENDICE.
POUVOIRS DE L’AUTORITÉ ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE À L’ÉGARD DES
ÉTABLISSEMENTS NON CLASSÉS EN GÉNÉRAL.
SOMMAIRE.
102. Les ateliers non classés sont soumis aux mesures de police et dé sûreté. — 103. Jurisprudence. — 104. Action en dommages-intérêts devant les tribunaux civils. — 105. Droit du juge d’ordonner toute mesure pour faire cesser le préjudice.
102. Les ateliérs non classés sont soumis aux mesures de poliee et de sûreté. — En dehors des établissements classés vu susceptibles de l’être, il existe un grand nombre d’établissements étrangers à toute classification, et qui pourtant ne sauraient être entièrement soustraits à l’action de l’autorité chargée de là policé et de la salubrité publique. Si les règlements de 1810,1815 et 1852, ont eu pour but et pour effet de placer exclusivement les ateliers classés sous l’empire des autorités qu’ils spécifient, et de les soustraire à l’exercice du pouvoir municipal, celui-ci n’a été dessaisi par aucune disposition quelconque de ses attributions de police, en ce qui concerne les établissements non classés: il reste donc investi du droit de prendre les mesures nécessaires pour obvier aux inconvénients que peut présenter une exploitation industrielle non classée, sans pouvoir d’ailleurs en interdire l’existence. Les arrêtés pris en ce sens par l’autorité municipale sont légaux et obligatoires; en vertu des art. 50, L. du 14 déc. 1789; 3, n° 5, T. XI; Li des 16-24 août 1790; 46, T. I, L. des 19-22 juillet 1791, aux termes desquels les maires sont chargés de faire jouir les habitants d’une bonne polices et spécialement d’assurer la salubrité publique, de prévenir les épidémies, etc..., de prendre des arrêtés prescrivant des précautions locales sur ces objets. L’inobservation de ces arrêtés soumet le contrevenant à l’application de l’art. 471, n° 15, du C. pén.
103. Jurisprudencé. — La Gour de cassation a formellement établi ce principe par un arrêt du 21 décembre 1848, qui a déclaré légal un arrêté du maire de Lons-le-Saulnier, ordonnant qu’un dépôt d’os (non classé), répandant une odeur putride et dangereuse pour la salubrité publique, serait transporté hors de la ville . Il résulte d’ailleurs de cet arrêt sainement entendu, ainsi que de plusieurs autres arrêts , que le pouvoir municipal, restreint aux établissements non classés, et presque sans action à l’égard des établissements classés (voir n°81 ci-dessus), continue à s’exercera l’égard des premiers dans sa plénitude.
104. Action en dommages-intérêts devant les tribunaux civils. — Quant au droit des tiers d’obtenir la réparation du préjudice causé par l’exploitation d’une industrie non classée, il rentre sous l’application du droit commun, et n’est plus soumis à l’influence que peut exercer jusqu’à un certain point l’autorisation administrative, tant sur l’appréciation des dommages que sur les mesures à prendre pour les faire cesser, comme on l’a dit ci-dessus (n° 98).
Seulement les tribunaux auront à concilier les droits et les intérêts respectifs de la propriété industrielle et de la propriété territoriale, et à tenir compte de la tolérance réciproque qu’entraîne le voisinage. Tél est l’esprit de l’arrêt de la Cour de cassation du 27 nov. 1844, qui, tout en admettant en principe l’indemnité pour le bruit causé par une industrie non classée, entend qu’elle ne soit allouée que si le bruit présente un caractère suffisant d’intensité.
105. Droit du juge d’ordonner toute mesure pour faire cesser le préjudice. — Le juge saisi de la demande en dommages-intérêts contre celui qui exploite une industrie non classée pourra non-seulement allouer une indemnité pécuniaire, mais prescrire les travaux et mesures de toute nature, nécessaires pour prévenir le préjudice dans l’avenir, et au besoin même interdire l’exploitation, tandis qu’à l’égard des établissements classés, il ne peut, sans empiéter sur les droits de l’administration, aller au delà d’une condamnation à des dommages-intérêts purement pécuniaires (voir n° 97).