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II

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Né dans un manoir du Goélo, d'une famille de laboureurs, il partagea, jusque vers sa quatorzième année, l'existence toute patriarcale des hommes de son clan rustique, l'esprit meublé seulement de quelques oraisons en langue bretonne et des légendes qu'aux veillées d'hiver contaient dans l'âtre les fileuses. Entre temps néanmoins, un de ces magisters nomades, sous-officiers en demi-solde ou tabellions en déconfiture, qui voyageaient alors de ferme en ferme pour offrir leurs services, lui apprit à lire dans un alphabet primitif dont toutes les majuscules étaient ornées d'une croix de Malte et que l'on désignait, pour cette raison, par le nom bizarre de Croix de Dieu. Puis, quand il sut à peu près tenir la plume, le recteur du bourg lui inculqua, non sans de vigoureuses bourrades, les éléments du latin. Au bout d'un an de ce régime, on le jugea suffisamment mûr pour le collège.

Un matin, en s'éveillant, Jean de Kerual, par les volets à jour de son lit clos, vit toute la maison en rumeur; un feu d'enfer illuminait le vaste foyer et les servantes s'empressaient, affairées, autour des marmites fumantes: c'étaient les préparatifs du dîner des adieux. On y avait convié, selon l'usage, les proches parents et les ecclésiastiques de la paroisse. Ils vinrent par grandes charretées, burent et mangèrent jusqu'au soir, et, bien repus, donnèrent au futur clerc, qui une accolade, qui une bénédiction. Lui se sentait triste et troublé. Tréguier lui apparaissait comme une mystérieuse ville de songe dont l'idée, d'avance, le terrifiait. Il fallut cependant se mettre en route.

Jean de Kerual noua ses livres d'une ficelle, aida son père à charger dans la voiture le bagage de literie; et, au petit jour, tous deux partirent. Sur le trajet, on racola trois ou quatre étudiants qui, les vacances finies, regagnaient à pied le collège; leurs propos rassurèrent le pauvre Jean et lui adoucirent les étapes de l'exil.

Bientôt surgit de derrière les collines la haute flèche de la cathédrale, et, après de longs détours aux abords de la cité sainte, nos voyageurs s'engagèrent enfin dans la ruelle étroite, flanquée d'antiques murailles, qui conduit à la porte du séminaire. Le «supérieur» les reçut aimablement; mais, quand il s'agit de caser le nouveau pensionnaire, on ne trouva plus de place où dresser sa couchette. Dortoirs et chambres étaient combles. Il ne restait de libre qu'une cage d'escalier. Le supérieur invita Jean de Kerual à s'en contenter, en lui rappelant que pareille aventure advint à saint Alexis.

Pénibles furent les débuts du jeune paysan dans l'apprentissage de la vie cléricale. Comme la plupart de ses compagnons, la nostalgie des champs et des horizons libres l'obsédait. Durant les récréations, on se réunissait par groupes dans les angles des cours pour se lamenter en commun; ou, si l'on circulait en devisant, il n'était jamais question dans ces entretiens que de labourage, de bétail, de jeux rustiques, de fêtes agricoles. Peu à peu, toutefois, ces cerveaux doux et têtus, à qui le français était presque étranger, parvenaient à puiser quelque divertissement dans l'étude du latin et du grec. Subjugués par l'ascendant de leurs maîtres, ils s'humanisaient, s'appliquaient au travail avec une ardeur résignée de tâcherons.

Leur installation était, au reste, des plus précaires. Ils vivaient entassés dans des salles sombres où ils n'avaient pour les éclairer que d'affreux quinquets dont le contenu s'égouttait en un pleur nauséabond sur leurs vestes de toile bise, sur leurs livres et sur leurs cahiers. C'est d'eux qu'on pouvait dire sans métaphore que leurs élucubrations sentaient l'huile.

Sur les méthodes d'enseignement, Jean de Kerual demeure muet. Voici, en revanche, une silhouette de professeur. Ce «saint prêtre, le Lhomond du collège» était un homme fort instruit, mais d'un caractère extrêmement nerveux et impressionnable. Le moindre bruit l'agaçait; la chute d'une plume ou d'un crayon suffisait à le mettre hors de lui. Il se surveillait, d'ailleurs, tout le premier. Par exemple, ayant l'habitude de se promener en classe, toujours chaussé, comme un paysan, de lourds sabots garnis de paille, il trouvait moyen de marcher avec une telle circonspection qu'on eût dit le pas étouffé d'une ombre. Un jour, il eut une belle colère. C'était dans la saison des fourrages: brusquement, la porte s'ouvrit et on vit paraître sur le seuil une bonne figure béate de campagnard qui demanda,—sans malice aucune, je suppose,—«si l'on avait pas besoin de foin». Les écoliers rirent de tout cœur, mais le régent, furieux, faillit se colleter avec le rustre.

La terre du passé

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