Читать книгу La terre du passé - Anatole Le Braz - Страница 16
IV
ОглавлениеAu fond, ni ce Jean de Kerual, ni ses compagnons ne se consolent d'avoir dépouillé la rudesse et la simplicité des mœurs primitives. Théocrite et Virgile n'éveillent dans leur esprit que des enthousiasmes de commande. Ce sont des lettrés malgré eux qui n'aspirent qu'à redevenir des barbares. Du commencement à la fin de leurs études, ils restent au collège des dépaysés. Notre auteur raconte, à cet égard, une anecdote bien caractéristique.
Il avait pour voisin, dans la salle de travail, un compatriote, enfant de la campagne comme lui, qui, profitant de ce que son pupitre occupait l'embrasure d'une fenêtre, imagina, le lendemain de la fête des Morts, de semer dans un pot à fleurs un grain de blé recueilli, l'été précédent, sur l'aire paternelle. Jour à jour, il le soigna, le cultiva, l'exposant, selon qu'il le croyait nécessaire, tantôt au soleil, tantôt à la pluie. Ce grain leva, grandit, reçut un tuteur le long duquel monta lentement la tige, et, avant la clôture de l'année scolaire, le jeune laboureur en chambre eut la joie de voir la plante mûre se couronner d'un épi.
Tels étaient ces clercs, mélange singulier de littérature superficielle et de rusticité foncière. Renan fut toujours un isolé parmi eux: ils le coudoyèrent sans le comprendre, et peut-être en le dédaignant. Lui-même nous a révélé le sobriquet dont ils l'affublèrent: ils l'appelaient Mademoiselle, le sentant de race plus fine et d'âme plus complexe. Entrés dans les Ordres, ces «mastodontes» faisaient, d'ailleurs, d'excellents prêtres, vénérés de leurs ouailles. C'était pour eux une façon de retourner à leurs origines. Ils vivaient, dans leurs presbytères de campagne, de la vie de leur entourage paysan. Leur pensée, peu active, ne se hasardait guère au delà d'un cercle borné. Il en fut ainsi de Jean de Kerual; ce qui ne l'a pas empêché de se raconter à nous dans un livre peut-être un peu gauche de forme, mais d'un sentiment exquis.