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CHAPITRE IV
ОглавлениеDu hasard et de la spontanéité. - Théories diverses sur le hasard ; les unes le nient positivement, et les anciens sages ne l’ont pas admis dans leurs systèmes ; les autres, et parmi eux Empédocle, admettent le hasard comme cause du ciel et des phénomènes du monde, tout en ne le reconnaissant point pour cause des animaux et des plantes. D’autres théories font du hasard quelque chose de divin, qui est au-dessus de l’homme.
Parfois aussi on met le hasard et la spontanéité au rang des causes ; et l’on dit de bien des choses qu’elles sont produites, ou qu’elles existent, d’une manière spontanée et par hasard. Examinons donc de quelle façon il est possible de placer parmi les causes énumérées par nous le hasard et le spontané ; examinons de plus si fortune et spontanéité sont la même chose ou des choses différentes, en un mot, ce que c’est que spontanéité et hasard.
Il y a des philosophes qui révoquent en doute l’existence du hasard, et qui soutiennent que rien ne se produit jamais par hasard, attendu que toutes les choses qu’on prend pour l’effet du hasard et qu’on croit spontanées, ont toujours une cause déterminée. Ainsi, disent-ils, quelqu’un va par hasard au marché, et il y rencontre une personne qu’il voulait joindre, mais qu’il ne pensait pas trouver là ; or, la cause de ce prétendu hasard, c’est la volonté qu’on avait d’aller au marché acheter quelque emplette. De même pour tous les autres cas qu’on attribue au hasard ; et en y regardant de près, on y découvre toujours une cause qui n’est pas du tout le hasard qu’on suppose.
On ajoute que si en effet le hasard était quelque chose de si réel, il serait vraiment par trop étrange, et tout à fait incroyable, qu’aucun des anciens sages, en étudiant les causes de la production et de la destruction des choses, n’en eût pas dit un seul mot ; et l’on en conclut que ces sages étaient persuadés aussi que rien ne vient du hasard.
Cependant ce silence même est fait pour étonner ; car il y a une foule de choses qui se produisent et qui sont par l’effet du hasard et spontanément ; et bien qu’on n’ignore pas qu’on peut les rapporter chacune à quelqu’une des causes ordinaires, comme le veut cette maxime de la sagesse antique qui nie le hasard, cependant tout le monde n’en dit pas moins que certaines choses viennent du hasard et que d’autres n’en viennent pas.
Il fallait donc que d’une façon ou d’une autre les sages dont nous venons de parler, fissent mention de ces doutes ; et parmi eux pourtant, personne n’a cru que le hasard fût un de ces principes : par exemple, ou l’Amour, ou la Haine, ou le feu, ou l’Intelligence, ou quelqu’autre principe analogue. Il est donc bien étrange que les sages n’aient pas admis le hasard ; ou s’ils le reconnaissaient, qu’ils l’aient si complètement passé sous silence.
Plus d’une fois cependant ils en ont fait usage ; et c’est ainsi qu’Empédocle prétend que l’air ne se secrète pas toujours dans la partie la plus haute du ciel, mais qu’il se secrète au hasard selon que cela se trouve. Dans sa cosmogonie, il dit en propres termes : « L’air alors court ainsi, mais parfois autrement. » Il dit encore que les parties des animaux sont presque toutes le produit d’un simple hasard.
Il y en a d’autres qui rapportent le ciel tel que nous le voyons, et tous les phénomènes cosmiques à une cause toute spontanée. Selon eux, c’est le hasard qui a produit la rotation, ainsi que le mouvement qui a divisé les éléments et combiné l’univers entier, selon l’ordre où il est aujourd’hui.
Mais c’est ici qu’il y a vraiment de quoi s’étonner ; car on soutient que les animaux et les plantes ne doivent point leur existence et leur reproduction au hasard, et que la cause qui les engendre est ou la nature ou l’Intelligence, ou tel autre principe non moins relevé, attendu que la première chose venue ne nuit pas fortuitement d’un germe quelconque, mais que de tel germe c’est un olivier qui sort, tandis que de tel autre c’est un homme ; et en même temps on ose prétendre que le ciel et les choses les plus divines, parmi les phénomènes visibles, sont le produit spontané du hasard, et que leur cause n’est pas du tout analogue à celle qui produit les animaux et les plantes.
Mais même en admettant qu’il en soit ainsi, un tel sujet pris à un tel point de vue mérite assurément qu’on s’y arrête, et il est bon d’en parler quelque peu ; car outre que cette opinion est absurde à bien d’autres égards, ce qu’il y a de plus absurde encore, c’est de la soutenir quand d’ailleurs on voit soi-même que rien dans le ciel ne se produit fortuitement, et que dans des phénomènes d’où l’on prétend exclure le hasard, il y a cependant beaucoup de choses qui sont produites par lui. Or, on devrait à ce qu’il semble, se former une opinion précisément contraire.
Enfin il y a des philosophes qui, tout en faisant du hasard une cause, le regardent comme impénétrable à l’intelligence de l’homme, en tant que c’est quelque chose de divin et de réservé aux esprits et aux démons.
Ainsi donc, il nous faut étudier ce que c’est que le hasard et le spontané ; il nous faut voir si c’est une seule et même chose ou des choses distinctes, et enfin comment ils rentrent dans les causes que nous avons reconnues et déterminées.