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CHAPITRE V
ОглавлениеSuite de la théorie du hasard. - Le hasard n’est cause ni de ce qui est constant ni de ce qui est habituel et ordinaire ; le hasard est en dehors de l’un et de l’autre ; il est cause de ce qui se produit accidentellement, même dans les choses qui ont une fin. - Le hasard est indéterminé et toujours obscur pour l’homme ; il n’est pas raisonnable. Bonheur on malheur qu’il cause ; inconstance de la fortune.
Un premier point évident, c’est que, parmi les choses, les unes étant éternellement d’une manière uniforme et les autres étant d’une certaine façon dans la pluralité des cas, le hasard ni rien de ce qui vient du hasard, ne peut du tout être la cause ni des uns ni des autres, c’est-à-dire, ni de ce qui est nécessairement et toujours, ni de ce qui est dans la pluralité des cas. Mais comme il y a encore des choses qui ont lieu en dehors de celles-là, et que tout le monde reconnaît dans ces autres choses l’effet du hasard ; il est incontestable que le hasard et la spontanéité sont quelque chose : car nous disons à la fois et que les choses de ce genre viennent du hasard, et que les choses qui viennent du hasard sont du genre de celles-là.
Parmi toutes les choses qui ont lieu, les unes sont produites en vue d’une certaine fin ; les autres ne sont pas produites ainsi. Dans les premières, il y a tantôt préférence et intention ; tantôt il n’y en a pas. Mais ces deux cas n’en rentrent pas moins dans les choses produites en vite d’une fin. Par conséquent, il se peut évidemment que, même parmi les choses qui sont contre le cours nécessaire ou ordinaire des choses, il y en ait qui ont un certain but. Les choses ont un but toutes les fois qu’elles sont faites, ou par l’intelligence de l’homme, on par la nature ; et si ces choses arrivent indirectement et accidentellement, nous les rapportons au hasard.
De même, en effet, que l’être est ou en soi, ou par accident, de même, la cause peut être ou en soi, ou simplement accidentelle. Ainsi, la cause en soi de la maison, c’est ce qui est capable de bâtir les maisons ; indirectement et accidentellement, c’est le blanc ou le musicien.
La cause en soi est toujours déterminée et précise ; mais la cause par accident est indéterminée ; car un seul être peut avoir un nombre infini d’accidents.
Je le répète donc : lorsque dans les choses qui ont lieu en vue d’une certaine fin, il s’en produit une accidentellement, on dit alors qu’elle est fortuite et qu’elle est spontanée. Plus tard, nous expliquerons la différence que nous mettons entre ces deux termes ; mais ici nous nous bornons à dire qu’évidemment tous deux expriment des choses qui ont un but et un pourquoi.
Par exemple, quelqu’un serait bien allé au marché pour y ravoir son argent, s’il avait su qu’il pût en rapporter le prix de sa créance ; mais il n’y est pas allé dans cette intention ; et c’est accidentellement qu’il y est allé et qu’il a fait ce qu’il fallait pour rapporter son argent. Rencontrer son débiteur et se rendre dans ce lieu, n’était pour le créancier, ni un acte ordinaire, ni une nécessité.
Ici la fin, c’est-à-dire le recouvrement de l’argent, n’est point une des causes qui sont dans la chose même ; c’est un acte de préférence réfléchie et d’intelligence ; et dans ce cas, on dit que l’individu est allé au marché par hasard. Mais s’il y est allé de propos délibéré et pour cet objet spécial, soit qu’il y allât toujours ou le plus ordinairement pour recouvrer sa dette, on ne peut plus dire que c’est par hasard qu’il est allé au marché.
Donc évidemment, le hasard est une cause accidentelle dans celles de ces choses qui visant à une fin, dépendent de notre libre choix.
C’est là ce qui fait aussi que le hasard et l’intelligence se rapportent à un même objet ; car il n’y a pas de choix et d’intention réfléchie sans intervention de l’intelligence.
Ainsi, les causes qui produisent les effets du hasard sont nécessairement indéterminées ; et cela donne à croire que le hasard est dans le domaine de l’indéterminé, et qu’il reste profondément obscur pour l’homme.
Aussi en un certain sens, il semble que rien ne peut venir du hasard, et toutes ces opinions peuvent se soutenir, parce qu’elles sont très rationnelles. A un point de vue, la chose vient du hasard ; car elle se produit indirectement et accidentellement ; et dès lors la fortune peut être considérée comme cause en tant que le fait est accidentel. Mais à parler absolument, le hasard n’est jamais cause de quoique ce soit.
Par exemple, en soi la cause de la maison est le maçon qui la construit ; indirectement et accidentellement, c’est le joueur de flûte ; et il peut y avoir un nombre infini de causes qui font qu’un homme qui va sur la place publique en rapporte son argent, sans y être du tout allé dans cette intention, y allant simplement pour y voir une personne, ou parce qu’il poursuit quelqu’un en justice, ou parce qu’il y est poursuivi.
On peut dire aussi avec toute vérité que le hasard est quelque chose de déraisonnable ; car la raison éclate dans les choses qui restent éternellement les mêmes, et dans celles qui sont le plus souvent d’une certaine façon. Le hasard, au contraire, ne se rencontre que dans les choses qui ne sont ni éternelles, ni ordinaires ; et comme les causes de ce dernier ordre sont toujours indéterminées, le hasard est indéterminé comme elles.
Néanmoins on peut, dans quelques cas, se demander si ce sont bien les premières choses venues qui peuvent être les causes du hasard ; par exemple, on peut se demander si la cause de la guérison d’un malade est le bon air que le malade a pris, ou la chaleur qu’il a ressentie, et non pas la coupe de ses cheveux ; car même, parmi les causes accidentelles, il y en a qui sont plus rapprochées les unes que les autres.
On dit que le hasard est heureux, quand il survient quelqu’heureux événement ; on dit que le hasard est malheureux, quand il survient quelque malheur.
Si ces mêmes événements prennent quelque grandeur, on dit que c’est de la prospérité ou de l’infortune ; et même lorsqu’il s’en faut de très peu que le mal ou le bien ne deviennent considérables, on dit encore que c’est de l’infortune ou de la prospérité, parce que la pensée voit le mal et le bien comme s’ils étaient déjà réalisés ; et quand il s’en manque de si peu, on peut croire qu’il ne s’en manque de rien.
On a d’ailleurs bien raison de dire que la prospérité est inconstante ; car la fortune elle-même est pleine d’inconstance, puisque rien de ce qui vient du hasard ne peut être ni toujours, ni même le plus fréquemment.