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CHAPITRE VIII.

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Table des matières

Tourmens du roi à Paris. — Divorce de l’empereur avec Joséphine. — Craintes du roi sur l’envahissement de la Hollande, et projet de quitter Paris incognito. — Le roi mis en surveillance. — Bruits en Hollande sur le séjour forcé du roi à Paris. — Ordres du roi pour la défense de la Hollande. — Révocation de ces ordres, et la Hollande menacée d’être réunie à la France. — Le roi forme le projet de défendre le pays. — Occupation de Berg-op-Zoom et de Bréda par les troupes françaises. — Tentatives de paix avec l’Angleterre. — Maladie du roi et visite de l’empereur. — Ordre du roi de défendre la capitale de la Hollande. — Pour conserver la Hollande, le roi consent à de nouveaux sacrifices. — Les arrêts du roi sont levés. — Apparente réconciliation entre l’empereur et le roi. — Le roi va au-devant de l’archiduchesse Marie-Louise. — Dernière entrevue de Louis avec Napoléon.

JAMAIS souverain ne se trouva, peut-être, dans une position aussi-affligeante que celle où les circonstances avaient placé le roi de Hollande. Arraché, pour ainsi dire, du sein de son royaume, par un pouvoir despotique auquel il ne peut résister; prévoyant l’inévitable envahissement de ses états, usurpation à laquelle il lui est impossible de s’opposer; époux malheureux; excellent père sans pouvoir jouir du bonheur de posséder ses enfans, et voyant combler la mesure de toutes ses anxiétés par la dissolution du mariage de l’impératrice Joséphine pour laquelle il avait toujours en une affection aussi vive que respectueuse.

La conduite de l’empereur ne pouvait plus laisser de doute au roi sur l’intention de s’emparer de la Hollande, et quoique la diplomatie dont on l’entourait cherchât encore à lui fasciner les yeux, il n’en distinguait pas moins le but proposé. Les dangers s’accroissant de jour en jour, Louis se décida, sans en prévenir l’empereur, à retourner dans ses états, afin de s’opposer, si cela était encore possible, aux violentes et injustes prétentions de son frère. Il donna secrètement ses ordres de départ; mais l’empereur qui le faisait observer connut bientôt son projet d’évasion, et, de son côté, le roi sut qu’il était gardé à vue par des gendarmes déguisés. Parmi ces gendarmes se trouvait un ancien soldat au cinquième régiment de dragons, qui crut pouvoir trahir son incognito en faveur de son ancien colonel.

Le roi dissimula et feignit de ne pas apercevoir la surveillance dont il était l’objet, espérant trouver le moyen d’abuser son entourage. Vain espoir! Toute tentative devint inutile; ni la corruption, ni la ruse ne purent le débarrasser du filet dans lequel on l’avait enlacé. Il ne lui restait plus que d’avoir recours à un déguisement pour se sauver de son hôtel; mais quitter Paris à la nuit close, monter à cheval à la barrière et courir seul à francétrier, c’est ce qu’un homme mieux portant et plus déterminé que Louis, aurait pu entreprendre; pour lui, quoiqu’il fût jeune, sa santé toujours chancelante ne lui permettait pas une fuite aussi hardie.

Toutes les nouvelles politiques ressemblent au corps humain, elles ont leur adolescence et leur maturité. Les nouvelles de Paris relatives à la Hollande pénétrèrent d’abord doucement dans le royaume, et sans causer trop d’alarmes; mais chacun, en les commentant, y ajoutait et s’apprêtait à croire le mal plus grand qu’on ne l’avait envisagé. L’un disait le roi prisonnier chez lui, un autre qu’il avait eu avec l’empereur des entretiens très-orageux et que probablement il ne reviendrait point en Hollande; d’autres avaient tiré les plus fâcheuses conséquences du ton et des manières impérieuses que l’ambassadeur de France prenait avec les ministres du roi à Amsterdam. Tout concourant à accréditer ces bruits, que l’interception de toute correspondance du roi, ou des siens, ne permettrait pas de détruire, le roi se détermina à envoyer secrètement à Amsterdam un de ses écuyers, avec l’ordre positif au ministre de la guerre de mettre le pays en état de défense au moyen des inondations et de tout tenter pour s’opposer à l’occupation de la capitale par les troupes françaises. Le moyen était violent, mais c’était peut-être le seul de soustraire la Hollande à une domination imminente. On vit plus tard en Russie ce qu’on pouvait attendre d’une détermination grande et désespérée: l’incendie de Moscou a sauvé la Russie.

C’est ici le lieu de placer une observation sur l’un des traits les plus caractéristiques du génie de Napoléon. On vient de voir comment on répandait des bruits sur l’occupation de la Hollande avant que ce projet eût en apparence atteint sa maturité ; il était mur pourtant, et bien arrêté, mais seulement dans la tête de l’empereur. Sa profonde connaissance des hommes lui avait montré que les peuples sont plus émus par les bruits, avant-coureurs d’un événement, que par l’événement lui-même. C’est ainsi qu’un homme illustre par son talent, par son caractère et sa fidélité à toutes les gloires légitimes, fut enfermé au Temple pour avoir parlé d’un divorce déjà résolu deux ans avant ce divorce. C’est ainsi que le rédacteur d’un journal de Milan fut jeté dans une prison pour avoir prophétisé la réunion à la France du royaume d’Etrurie. Ceux qui n’ont pas été à même de connaître la politique de Napoléon se sont faits d’étranges illusions sur la cause réelle de ces châtimens despotiques. L’empereur voulait jeter de l’éclat sur des projets non encore avoués, user l’opinion, la consulter peut-être, et frapper ensuite comme un coup de foudre quand le temps était venu d’exécuter.

Revenons aux affaires de la Hollande: Napoléon connut bientôt les mesures que le roi avait prescrites de Paris pour la défense de ses états; il s’en plaignit au roi et s’emporta contre lui; mais Louis poussé dans ses derniers retranchemens opposa la fermeté à la violence, convint que tous les préparatifs de la défense pour la capitale avaient été ordonnés par lui.

» J’ai été, osa-t-il dire, trompé par des promesses

» qu’on n’a jamais eu la volonté d’exécuter;

» la Hollande est lasse d’être le jouet de

» la France.» Cette dignité inaccoutumée

irrita l’empereur qui s’abandonna à tout l’excès de la colère: Louis opposa le calme de résignation et le sang-froid d’une bonne conscience. L’empereur par un prompt retour sur lui-même se calma tout à coup, et annonça froidement au roi «qu’il fallait sur-le-champ révoquer

» l’ordre de la défense de la ville d’Amsterdam,

» destituer le ministre de la guerre, ou voir la

» Hollande réunie à la France et supprimer le

» titre de maréchal de Hollande pour le remplacer

» par celui de général ou d’amiral.»

Cette entrevue étant précisément ce que le roi craignait le plus, le coup le plus terrible qu’il voulait éviter, il céda encore à l’impérieuse nécessité, et souscrivit à tout ce qu’on exigea de lui dans cette circonstance.

Au fond de son cœur, il nourrissait toujours le noble projet de garantir son pays du péril qui le menaçait; mais pour cela il fallait s’affranchir de l’espèce de captivité dans laquelle on le retenait: il voulait absolument se défendre, et pensait comme cet orateur français qui, en se proposant de défendre à la tribune une des plus essentielles de nos libertés publiques, disait: «Dans une semblable cause, comme en défendant son pays, combattre c’est vaincre, succomber c’est triompher encore!»

Louis tenta de nouveau, mais toujours en vain, de tromper la surveillance de ses obvervateurs, espions de bon ton, et qui tous, avec les marques de la respectueuse déférence due à son rang, contrariaient ouvertement ses vues, en l’accompagnant partout, mais qui s’opposaient toujours à ce qu’il dirigeât ses promenades du côté de la barrière de Flandre.

Le premier acte d’usurpation exercé contre la Hollande fut, sans en prévenir le roi, l’occupation, par le maréchal duc de Reggio, des places de Berg-op-zoom et de Bréda: l’empereur réunit en même temps à la France tous les pays situés entre la Meuse, l’Escaut et l’Océan. Du lieu de sa captivité le roi, ne pouvant faire aucune résistance armée, protesta contre cette violation du droit des nations.

Sans être affranchi de ses entraves, le roi crut remarquer quelque relâchement dans la surveillance de ses gardes étrangers; il vit bientôt où tendaient ces adoucissemens dans les procédés du gouvernement français: on voulait le rendre médiateur entre la France et l’Angleterre, en faisant pressentir aux Anglais que la Hollande ne pouvait éviter d’être réunie à la France. Le roi ne partageait point cette opinion, qui alors n’était en effet, de la part de la France, qu’un piège tendu à l’Angleterre; et quoiqu’il en coutât beaucoup à sa loyauté de se prêter à un pareil artifice, Louis se rendit aux instances de la France, et envoya, en Angleterre M. Labouchère, homme de beaucoup de mérite, d’un esprit conciliant, très-considéré des Anglais, mais dont pourtant tous les efforts furent vains pour arriver à des négociations sérieuses.

Tant d’agitations et de contrariétés altérèrent encore plus la santé du roi; et comme en politique l’éloignement grossit souvent les objets, de sinistres bruits se répandirent en Hollande: on y publiait la nouvelle de la mort du roi; on disait que la reine, devenue régente, escortée d’un ministre étranger à la Hollande, allait changer la forme du gouvernement, et donner à la cour une physionomie plus enjouée et plus brillante; d’autres assuraient qu’un décret impérial réunissait la Hollande à la France: rien de tout cela ne se réalisa pour le moment. La seule chose qui se justifia fut la maladie du roi, qui effectivement garda le lit quelque temps, par suite des affections nerveuses, auxquelles il était sujet. Tous les souverains, assemblés alors à Paris, s’empressèrent d’aller visiter le roi de Hollande pendant sa maladie; Napoléon seul s’en était abstenu; et Louis s’affligeait de cette indifférence fraternelle, lorsqu’enfin, un jour, l’empereur parut chez son frère, et l’aborda fort amicalement. La conversation ne roula que sur des sujets assez insignifians; et si des indiscrets, les surprenant dans leur tête-à-tête, eussent pensé recueillir quelques traits intéressans de l’entretien de deux têtes couronnées, ils eussent été singulièrement trompés dans leur attente.

Louis, informé par ses ministres que l’armée française, en Brabant, s’approchait toujours de plus en plus de la ville d’Amsterdam, trouva moyen de donner des ordres précis pour mettre la capitale dans le plus imposant état de défense; et aussitôt que sa santé le lui permit, il sortit pour s’assurer par lui-même s’il était relevé des arrêts auxquels on le condamnait depuis trop long-temps: il alla à son château de Saint-Leu, et demeura bientôt convaincu qu’il n’était point encore en liberté.

La mesure des sacrifices que la France prétendait obtenir de la Hollande n’était point encore arrivée à son comble: on voulait arracher au roi des concessions bien plus importantes que celles qu’il avait déjà faites; il résista d’abord, et, comme de coutume, il finit par céder. Et quel autre moyen avait-il de conserver une souveraineté à laquelle il tenait beaucoup moins personnellement qu’à l’espoir de maintenir la nation hollandaise sur le tableau des puissances européennes. Il adhéra à beaucoup de choses, dont l’abandon lui coûtait infiniment; mais rien ne put le faire consentir à la conscription ni à une imposition sur les rentes. Dans ces malheureuses négociations Louis croyait gagner tout ce qu’il ne perdait pas. Enfin cessa la surveillance qui pesait depuis si long-temps sur le malheureux Louis. Lorsque Napoléon eut oh-tenu de lui à peu près tout ce qu’il souhaitait, il le vit avec aménité, et chercha à rétablir entre eux des rapports d’amitié ; l’empereur lui témoigna même le désir qu’il allât à Soissons au devant de l’archiduchesse Marie-Louise, pour l’accompagner au château de Compiègne, où il devait l’attendre, et où devaient aussi se trouver tous les autres souverains alliés de la France, à l’occasion de son mariage avec l ’archiduchesse Marie-Louise.

La destinée d’une puissance du second ordre est d’être toujours soumise. Louis, pénétré de cet axiome de politique, avait, quoique à regret, mais sagement, accédé à toutes les exigeances de la puissance supérieure qui tourmentait la Hollande; et quoiqu’il fût accablé par tous les sacrifices qu’avait été obligée de faire la nation, et par une foule de tracasseries personnelles, depuis son raccommodement avec l’empereur, il se sentait soulagé d’un poids douloureux; son cœur était plus à l’aise, et sa santé meilleure: il se livra même à quelques distractions, assista comme les autres souverains à toutes les cérémonies, et à une partie des fêtes qui se donnèrent à Paris, à l’occasion du mariage de l’empereur.

Après une dernière conférence avec Napoléon, le roi ne resta que quelques heures à Paris. Son absence, qui ne devait être que d’un mois au plus, en dura quatre. Combien il souffrit de la nécessité d’être aussi long-temps éloigné de ses états; mais il oublia presque tous ses chagrins en reprenant la route de Hollande, sa chère patrie.

Mémoires sur la cour de Louis Napoléon et sur la Hollande

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